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Pourquoi il faut aussi savoir s’imposer des jeûnes… technologiques
©David Becker / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

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Peut-être serait-il temps de déconnecter un peu des écrans (mais lisez tout de même cet article avant afin de comprendre pourquoi).

Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : En moyenne, les individus passeraient six heures et demi sur internet chaque jour. Si il a souvent été dit que les réseaux sociaux pouvaient avoir un impact psychologique désastreux sur les individus (troubles du comportement alimentaire, angoisse...), quels sont les effets et ceux d'internet en général sur le cerveau ?


Pascal Neveu : Dans un premier temps, rappelons quelques chiffres qui permettent de mieux comprendre que nous sommes face à une réflexion socio-psychologique à ne pas négliger. Nous parlons là de 4,12 milliards d’internautes, soit 54% de la population mondiale (+8% entre 2017 et 2018). Dont 3,36 milliards d’inscrits sur les réseaux sociaux, soit 44% de la population mondiale (+11% entre 2017 et 2018).

88% des Français ont accès à Internet, contre 73% en Amérique, 80% en Europe, 34% en Afrique et 48% en Asie du Sud.Concernant l’accès à internet, 93% des Français ont un mobile, 71% un smartphone, 81% un ordinateur, 41% une tablette.

En France on passe en moyenne 4h48min par jour sur Internet et 1h22min sur les réseaux sociaux (56% des Français sont membre d’au moins un réseau social, dont 84% des Français de moins de 40 ans).Car 58% des Français sont des utilisateurs actifs de réseaux sociaux  soit 38 millions de personnes (+6% entre 2017 et 2018).

Les premiers sites consultés (en ordre décroissant) sont Google, Youtube, Facebook, Amazon, Wikipedia, LeBoncoin, sans oublier les applications Facebook Messenger, WhatsApp, Snapchat, Instagram, Twitter. Enfin, 95% des 18-24 ans accèdent à Internet tous les jours, contre seulement 31% des 70 ans et plus.

Comprenons donc bien qu’il ne s’agit pas que d’un effet de mode, mais d’un comportement de vie, d’un usage dans notre quotidien.

Nous sommes très loin de l’utilisation d’internet au milieu des années 90. Je me rappelle très bien en 1996 que nous utilisions internet pour des recherches scientifiques, échangions avec des universitaires étrangers…

Dès 1998 nous avions l’usage quotidien de messageries internet et les années passant, internet est devenu un outil indispensable tant sur le plan administratif… mais avant tout les achats en ligne, la communication avec nos amis et familles, les rencontres sociales et amoureuses… mais aussi la formation, les cours en ligne, la recherche d’emploi, le visionnage de films, le téléchargement de musiques…

Depuis un peu plus de 20 ans, Internet fait dorénavant partie de notre vie et non plus seulement sur un ordinateur, via les smartphones que nous portons dans nos poches. Nos doigts sont connectés à internet ! Aussi, les Français sont-ils accros à Internet ? La réponse est oui, notamment chez les jeunes.

63% des 12-24 ans ne peuvent pas « se passer 3 jours d’Internet sans que ça leur manque ». Cette proportion a beaucoup augmenté depuis 10 ans. 14% des internautes de 12 ans et plus se sentent en manque au bout de quelques heures. 18% des Français consultent leur smartphone avant de se coucher, dont 39% chez les 18-24 ans.

Quels sont les coupables dans notre cerveau ? Nos neuromédiateurs ! Les chercheurs ont pu observer une augmentation de la sécrétion de 6 d’entre eux.

- La Sérotonine, sécrétée lorsque nous sommes connectés et contribuons notamment sur les réseaux sociaux, blogs et autres…

- Les Endorphines, communément dénommées « l'analgésique » du corps. Il existerait un lien avec l’apaisement procuré quand on se connecte sur internet.

- L’Ocytocine, libérée lorsque nous avons des échanges affectifs avec autrui, lorsque nous recevons des likes, lorsque nous nous sentons aimés.

- La Dopamine,  sa libération étant en lien avec la dépendance et l’excitation de la connexion.

- L’Adrénaline: mieux connue pour réguler nos réponses sociales, d’adhésion, de fuite ou de combat…

- Le Cortisol, qui caractérise davantage les personnes stressées, privées de sommeil.

Autrement dit, Internet 2019 répondrait à toutes les sollicitations possibles de notre cerveau, y satisfaisant, et créant une dépendance. Le virtuel l’emporterait sur le réel, notre cerveau devenant accaparé par cette suractivité cérébrale qui nous échappe. 

Stéphane Gayet : Internet est un réseau mondial d’information et de communication. Il a commencé à se généraliser au début des années 1990 et il est devenu aujourd’hui un monde virtuel gigantesque qu’une immense partie de l’humanité utilise presque quotidiennement. Au moins dans les pays développés industrialisés, internet est à présent indispensable aux entreprises et aux services publics ; il s’est imposé à une grande majorité de personnes ; l’attitude qui consiste à ne pas vouloir utiliser internet n’est plus possible actuellement. Beaucoup d’entreprises ne sont plus joignables par téléphone, ne pouvant être contactées que par internet. Les services de l’état privilégient de plus en plus ce mode de communication. Longtemps réservé aux ordinateurs portables et de bureau, internet est - depuis l’invention des téléphones de dernière génération à écran tactile - couramment accessible à la téléphonie mobile. Il est consternant de voir une grande majorité de personnes attendant un bus, un car ou un train les yeux et doigts rivés à leur mobile.

Internet est tout sauf un problème. C’est une invention et une technique révolutionnaires, un progrès extraordinaire pour l’humanité. Ce réseau mondial a quelque chose de féérique, de magique : depuis un téléphone mobile, on peut accéder au monde entier 24 heures sur 24. C’est fascinant et cette fascination s’exerce surtout sur les adolescents et les adultes jeunes chez lesquels l’accès permanent à internet donne un sentiment de toute-puissance, ce qui est bien sûr une douce illusion. Toujours est-il que les adolescents et les adultes jeunes peuvent passer la moitié de leur journée en étant connectés à internet, pour y avoir des activités fort variées : messagerie instantanée souvent à plusieurs, lecture de vidéos, écoute de musique, participation à des réseaux sociaux, à des jeux vidéo en solo ou à plusieurs, réception et envoi de courriels ou messages électroniques, consultation de tarifs et d’horaires de transport, réservation de billet, achat, lecture de journaux d’information en ligne, consultation de blogs, etc.

L’usage d’internet peut évidemment être tout à fait bénéfique, mais il peut également être au contraire néfaste. Car étant donné qu’internet est une possibilité d’accéder à tout ou presque – de façon virtuelle, certes, mais tout de même -, on peut accéder au meilleur comme au pire et l’on peut utiliser internet pour le meilleur comme pour le pire.

On a constaté un glissement de la télévision vers internet. On retrouve les mêmes types de comportements, à cette grosse différence près qu’avec la télévision le téléspectateur est entièrement passif, alors qu’avec internet l’internaute est actif.

Quand on fait un usage réfléchi, prudent et raisonnable d’internet, tout se passe bien en général : on utilise ce réseau pour consulter son compte en banque et y faire des opérations, lire des informations sur les quotidiens en ligne, lire des vidéos sur l’actualité un sujet qui nous intéresse ou nous concerne, télécharger des documentations, effectuer des achats sur des sites sûrs, écrire et recevoir des messages électroniques, etc., internet apparaît comme un outil qui facilite l’information, la communication et les démarches. Cet usage modéré est un confort pour l’internaute qui effectue facilement depuis son domicile ce qui aurait demandé de l’énergie, du temps et des déplacements il y a quelques décennies. On navigue sur des sites connus et de qualité, pour s’instruire, se cultiver, se divertir, acheter et parfois vendre quelque chose. Un tel usage de l’internet que l’on peut qualifier de modéré est manifestement bénéfique, hormis la question de l’impact de l’écran sur la vue et le cerveau qui reste encore mal connu chez l’adulte. Cet usage modéré n’exclut nullement l’utilisation des réseaux sociaux (web 2.0) dont l’usage limité et bien ciblé est bénéfique ; les réseaux sociaux professionnels sont pleins d’intérêt.

Dans ce cas, internet n’est pas une drogue, mais un merveilleux outil. L’effet sur le cerveau est bénéfique : il se développe sur le plan cognitif et psychologique ; les relations sociales sont entretenues et développées ; certains sites favorisent en outre la créativité, d’autres stimulent la curiosité intellectuelle.

Si l’on excepte le fait de regarder des films de long métrage en flux continu (« streaming », ce type d’utilisation d’internet ne devrait pas dépasser deux heures et demie par jour (utilisation qui ne comprend pas l’usage professionnel d’internet).

En revanche, de plus en plus de personnes – surtout des adolescents et des adultes jeunes – font un usage immodéré de cet outil merveilleux qu’est internet. Sou utilisation est souvent ludique ou même lubrique (recherche de photos et de vidéos sur des sites de pornographie, utilisation des réseaux sociaux dans un but sexuel agressif) : il y a en tout premier lieu les réseaux sociaux où l’on peut passer un temps époustouflant à lire des messages, regarder des photos et des vidéos, écrire des commentaires, publier des photos et des vidéos ou s’adonner à jeux. Ces réseaux sociaux (non professionnels) sont à l’heure actuelle des plateformes où les flux d’informations sont gigantesques. Les publications s’enchaînent à un rythme effréné et la messagerie interne (« instantanée ») de ces réseaux est dynamique : cette dimension quantitative et réactive du web 2.0 s’ajoutant à la magie de l’image et de la vidéo exerce une fascination sur beaucoup de personnes, spécialement les plus jeunes qui se trouvent subjugués par la merveilleuse puissance de cette technologie et il y a de quoi, en effet.

Internet devient alors pour ces utilisateurs une plateforme magique, où l’on peut pratiquement tout se permettre grâce à l’anonymat, où l’on joue, s’amuse, se moque, critique, dénigre, bluffe, s’illusionne. Ce monde virtuel ludique devient alors une drogue : c’est le phénomène d’addiction à internet ou cyberaddiction. Le terme addiction est un anglicisme de plus, tiré du latin. La cyberaddiction ou addiction à internet est le fait d’éprouver un besoin pratiquement irrépressible de se connecter à internet quotidiennement et longtemps –de manière compulsive: quasi automatique -, au point d’en subir un retentissement défavorable sur sa santé physique et mentale. L’addiction est proche de la dépendance qui est plus grave. Car lorsqu’il y a dépendance, le sujet doit augmenter régulièrement l’usage de la drogue et le sevrage a des conséquences sévères sur la santé : ces deux notions ne sont pas contenues dans le terme addiction et ne s’appliquent pas à internet, sauf dans le cas d’une véritable cyberdépendance.

Sur le plan des conséquences sur le cerveau, elles sont fonctionnelles et non pas organiques. C’est-à-dire que les effets de l’internet sur le cerveau restent en principe réversibles, à la différence des drogues chimiques qui altèrent durablement le cerveau (cannabis et amphétamines, notamment).

On constate un repli relationnel qui peut avoir une tendance autistique, une régression de la sociabilité, un émoussement de la sensibilité en raison de la succession d’excitations et d’émotions malsaines, parfois même une indifférence affective, des troubles de l’humeur et du sommeil et une tendance à l’agressivité. C’est un effet déstructurant, "névrosant", qui est favorisé par une personnalité préalablement pathologique associant une tendance anxieuse et dépressive et un manque d’estime de soi. La cyberaddiction est à ce jour considéré comme une pathologie à part entière. Le sujet atteint d’addiction désinvestit ses autres activités. Des conséquences sur ses soins de corps, son habitus et sa santé apparaissent tôt ou tard. Il faut encore ajouter que l’addiction à internet s’associe souvent à une ou plusieurs addictions à des substances telles que le tabac, l’alcool, la chicha, le cannabis ou d’autres drogues.

Lorsque nous passons beaucoup de temps à surfer le web, notre cerveau libèrerait -entre autres- des endorphines, de la dopamine, de la sérotonine... Comment expliquer que ces neurotransmetteurs soient alors relâchés ? Quels sont leurs impacts sur notre état psychique ? Est-ce en partie pour cette raison que nous passons des heures devant notre ordinateur ?

Stéphane Gayet : Notre cerveau ainsi que toutes les autres formations nerveuses de notre corps sont constitués de neurones et de cellules de la névroglie ou cellules gliales qui sont les auxiliaires des neurones. Les neurones forment entre eux des réseaux de fibres nerveuses d’une extrême complexité. Ils produisent des neurotransmetteurs dont le rôle est de permettre la transmission de l’influx nerveux d’une fibre nerveuse à l’autre et des neuromédiateurs qui activent les organes effecteurs des neurones (muscles et glandes surtout). Ces deux types de substances chimiques sont à la base du fonctionnement du tissu nerveux. Certaines de ces substances peuvent passer dans le sang et jouer le rôle d’hormones en agissant sur tel ou tel organe situé à distance de la structure nerveuse les ayant produites.

C’est dire que notre cerveau et nos structures nerveuses en général produisent en permanence des neurotransmetteurs et des neuromédiateurs, dont on peut mesurer la libération de différentes façons. Dès qu’il fonctionne d’une manière qui n’est pas habituelle, le type et la quantité des neurotransmetteurs et neuromédiateurs secrétés et libérés se modifient, ce que l’on peut apprécier grâce aux méthodes modernes d’exploration neurophysiologique.

Les endorphines produisent une euphorie et une diminution de la sensation douloureuse et de mal-être. Elles sont libérées lorsque l’on reçoit de la gratitude, que l’on médite intensément et que l’on fait de l’exercice physique.

La dopamine est libérée lors d’un plaisir immédiat lié à une satisfaction que l’on a obtenue. C’est un effet momentané. La dopamine peut conduire à la dépendance. Certains contenus et applications visent à faire sécréter de la dopamine pour créer cette dépendance, ou au moins une addiction.

La sérotonine est libérée lorsque nous créons quelque chose (texte, illustration, vidéo, raisonnement).

L’adrénaline est libérée en cas de compétition, de lutte, de débat, d’agressivité, d’hostilité, d’insultes, de grossièreté.

L’ocytocine est libérée lorsque nous avons des échanges approfondis et suivis avec des personnes que nous estimons et en lesquelles nous avons confiance, c’est-à-dire qui comptent pour nous.

Au total, on considère que les endorphines, la sérotonine et l’ocytocine sont des neuromédiateurs favorables allant dans le sens du bien-être et de l’épanouissement, à la différence de la dopamine et de l’adrénaline.

Lors d’une addiction à internet ou cyberaddiction, l’individu recherche en particulier des plaisirs immédiats et de fortes émotions. La dopamine et l’adrénaline ont un effet significatif sur la personne entière qui est complètement investie dans cette activité qui devient aliénante.

Comme on le voit, les effets de l’internet sur notre cerveau dépendent étroitement de l’usage que l’on en fait.


A quel point est-il important de se couper d'internet et de notre écran ? Combien de temps ces digital detox devraient-elles durer et à quelles fréquences devrions nous les faire ?


Pascal Neveu : A nouveau quelques chiffres éclairants. Le coupable n°1 de cette cyberaddiction est le smartphone. Il est devenu l’objet connecté indispensable au quotidien. En France, 70% de la population possède un smartphone. La plupart des utilisateurs s’en servent partout, pour tout et tout le temps.

38% des 18-24 ans utilisent leur smartphone en traversant une rue contre 16% pour les 45-54 ans et 72% en marchant. 59% des Français le consultent dans l’heure qui suit leur réveil.

Les coupables n°2 sont Facebook, Twitter, Instagram, Snapchat… Les réseaux sociaux sont loin d’être étrangers à cette dépendance au numérique. Les Français en raffolent, notamment Facebook qui détient la palme de l’addiction avec ses 30 millions d’utilisateurs (c’est la 9ème  communauté mondiale), soit près de la moitié de la population française!

En moyenne, les Français passeraient 6h45 par mois sur Facebook. Chez certains, la durée de connexion à ces réseaux sociaux dépassent l’entendement et peut conduire à une rupture du lien social voire, au court-circuitage cérébral…

Une vie étalée, exhibée, parfois inventée… en lien avec le vide de notre propre vie ? Pour eux, il est donc effectivement temps de faire une petite « digital detox ».
Même si l'impact de la technologie sur notre santé physique et mentale fait encore l'objet d'études scientifiques. Un peu comme le Dry January, le Royaume-Uni et les USA recommandent une déconnexion complète, salutaire… ce qu’ils nomment le Tech dieting.

Il s’agit bel et bien d’une désintoxication numérique complète. Cela peut aller de la fermeture d'un compte de réseau social à la suppression d'applications, en passant par une réduction considérable du temps passé en ligne. Nous savons par exemple qu’une personne totalement incapable de se passer d’un verre d’alcool pendant 15j est reconnue comme alcoolique. L’addiction, la compulsion apparaissent lorsque l'internaute ne juge plus son comportement normal, mais ne peut pour autant éviter de se connecter. Si l'individu ne faisait pas cette action, son anxiété en deviendrait difficilement soutenable, voire insupportable.

Aussi, les consultations se font grandissantes dans les centres spécialisés. Tout comme l’addiction au jeu, au sexe, aux jeux vidéos… qui ont provoqué des morts, les patients restant reclus chez eux, sans dormir, sans l’alimenter… sans vie sociale… sans plus aucun lié avec la réalité.

Cependant internet n’a pas seulement envahi notre quotidien. Nous avons besoin de nos connexions emails professionnelles et personnelles, de l’immédiateté de l’information et des échanges.

Dominique Wolton, François Jost, grands spécialistes de la communication annonçaient cette nouvelle ère des technologies et de ce qui deviendrait une soif de la connexion. Il n’est pas question de sevrage brutal, souvent inefficace… mais d’interroger son lien à internet.

Tout comme un workaholic… dépendant du travail… auquel je conseille de comptabiliser les heures de travail, de vie sociale, de vie familiale, de sommeil… sur un agenda… plaçant des couleurs… et de constater s’il existe un équilibre raisonnable.

Stéphane Gayet : Il faut bien distinguer l’écran de l’internet. Ici, nous parlons de l’internet ; car on utilise aussi son ordinateur portable pour rédiger des textes, écrire des programmes informatiques, créer des dessins, etc. Il faut également distinguer l’usage professionnel de l’usage personnel. L’usage professionnel est contraint et non ludique ; il est encadré, balisé, méthodique, opérationnel et productif. Cet usage est peu souvent addictif, mais cela arrive.

Le principe d’un week-end complet (du samedi matin au dimanche soir) sans aucune navigation internet – ce qui n’exclut pas le travail sur traitement de texte, grapheur ou tableur et l’envoi et la réception de courriels – paraît une sage mesure. Ce week-end complet de rupture peut être mis en œuvre une fois par mois, c’est une fréquence raisonnable. Un week-end sur deux est encore mieux ; au-delà, c’est un peu utopique. Mais il faut jouer le jeu : une exception ne pourrait se justifier qu’en cas d’urgence (accident, impératif quelconque).

Rappelons le principe du sabbat des Juifs pratiquants : aucun contact avec l’électricité pendant 24 heures, du coucher du soleil le vendredi soir au coucher du soleil le samedi soir. Chez les Juifs, cette rupture avec la technologie moderne qui est un corollaire du deuxième commandement de Dieu énoncé dans le Livre de l'Exode, doit être interprétée comme une condition nécessaire au recueillement, à la méditation et à la pratique religieuse.


Enfin, comment entretenir une relation plus saine avec internet et les ordinateurs ?


Pascal Neveu : Otto Fenichel a été le premier à soulever la question des « toxicomanies sans drogues », c'est-à-dire de l'addiction comportementale. Dans les années 1970, l'Organisation Mondiale de la Santé proposait une première définition internationale de l'addiction basée sur une obligation comportementale (agir par besoin et non plus par plaisir), une perte de contrôle, un syndrome de sevrage et l'existence de rechutes.

Depuis cette date, en 2018, plus de deux mille publications ont été consacrées sur ce sujet controversé qu’est la cyberaddiction (addictions aux jeux, au sexe, aux achats, aux blogs, aux forums…)

Car les spécialistes ne cessent de rappeler que la dépendance à Internet est un symptôme et non un trouble à proprement parler, la dépendance à Internet pouvant déterminer la négation ou l’évitement d’autres problèmes de la vie courante.

En effet, Internet peut devenir un échappatoire à une réalité difficilement supportable ou encore un exutoire à des pulsions impossibles à assouvir dans la réalité.

Beaucoup de test émergent car la cyberaddiction reste un secteur économique sulfureux tant dans le camp de ceux qui créent l’addiction que ceux qui veulent aider à en sortir.

Posons-nous quelques questions fondamentales :

- Je suis sur internet tous les jours

- Je suis connecté sur de longues périodes (3 à 4 heures)

- Je me connecte en ressentant une certaine excitation

- Je suis de mauvaise humeur quand je ne peux pas me connecter

- Je délaisse d’autres activités (sociales, sportives...).

 Et la vie rappelle que nous devons encore dormir huit ou neuf heures par nuit, que nous devons bouger notre corps deux à trois heures par jour, que nous devons vivre à l'extérieur, que nous devons avoir une vie sociale et affective. Nous sommes toutes et tous aptes à ressentir le trop…

Stéphane Gayet : Il est difficile de se limiter de soi-même. Un conjoint, une mère ou un père peuvent être plus qu’utiles. Il faut se fixer des règles qui vont de soi, mais qui ne sont pas toujours faciles à mettre en œuvre : le principe général à suivre est qu’internet ne doit pas interférer avec le sommeil, ni avec les repas, ni avec l’activité physique, ni avec les soins du corps, ni avec les relations sociales, ni avec les passions. C’est essentiel, car ces domaines sont primordiaux.

Il faut affirmer que l’internet ne peut pas être considéré comme une passion : c’est un réseau performant et extrêmement utile ; cela peut devenir une addiction aliénante. Mais dire qu’internet est une passion est un non-sens.

La limite de deux heures et demie par jour à titre personnel est une limite raisonnable à ne pas dépasser. Mais il ne faut pas y mettre les navigations purement utilitaires (achats, assurances, transports). Pourquoi deux heures et demie ? : c’est la limite que l’on s’impose en général en milieu professionnel pour la durée des réunions ; au-delà, on ne progresse plus et on est trop fatigué pour être efficace (il y a toujours des exceptions inévitables).

Il s’agit donc de chronométrer le temps que l’on passe pour ses loisirs sur internet, de la même façon que, lorsque l’on veut améliorer son sommeil, il faut noter l’heure à laquelle on se couche et celle à laquelle on se lève chaque jour.

Dès l’instant où l’on empiète sur son sommeil à cause d’internet, que l’on néglige ses repas, ses soins de corps, ses relations sociales, son activité physique ou ses passions du fait de l’utilisation d’internet, il faut tirer la sonnette d’alarme (pour soi ou pour ceux qui nous entourent).

Si une addiction commence à s’installer, il faut procéder comme avec les drogues : repousser chaque matin l’heure de la première connexion ; chaque soir, avant de se coucher, faire le point : combien de temps ai-je passé sur internet, que m’a apporté de bien internet aujourd’hui ? C’est une discipline de vie, une discipline nécessaire. L’aide des autres est précieuse.



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