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Pourquoi il est urgent de réconcilier le peuple et les élites ainsi que les populismes et leurs adversaires
©BERTRAND GUAY / AFP

Bonnes feuilles

Alexandre Devecchio publie "Recomposition" aux éditions du Cerf. Faut-il avoir peur des "démocraties illibérales" ? Et si l'âge des populismes était un moment de reconstruction ? Alexandre Devecchio nous fait voyager à travers le "nouveau monde populiste". Extrait 2/2.

Alexandre  Devecchio

Alexandre Devecchio

Alexandre Devecchio est journaliste au Figaro. Il est responsable du FigaroVox. 

Il a notamment publié "Recomposition" aux éditions du Cerf

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Malgré les succès économiques, la réélection de Donald Trump n’est pas assurée. Ceux qui avaient jugé son élection impossible prédisent désormais sa victoire en 2020. Ils n’avaient pas vu arriver le milliardaire, peut-être ne le verront-ils pas partir. Le président américain n’est pas à l’abri d’un retournement de conjoncture, d’une escalade des tensions au Moyen-Orient qui déboucherait sur des évènements imprévus. Du reste, dans une société américaine extrêmement polarisée, en pleine période de bouleversements démographiques, le résultat de l’élection de 2020 sera forcément serré. Mais, victoire de Trump ou pas, les clivages profonds qui traversent les sociétés occidentales ne disparaîtront pas rapidement. Lorsqu’on demande à Christophe Guilluy, «combien de temps encore les Gilets jaunes vont-ils manifester?», il répond sous forme de boutade: «une centaine d’années!» Le géographe souligne que vouloir reculer l’échéance du Brexit en expliquant que les Britanniques regrettaient déjà leur vote a été un échec. L’establishment a gagné du temps, mais les classes populaires n’ont pas abandonné. «Elles ont fait un diagnostic concernant la mondialisation. Après y avoir adhéré, elles ont pu constater que celle-ci les appauvrissait socialement et les fragilisait culturellement. Elles ne vont pas changer d’avis. Elles veulent préserver leurs acquis, leur capital social, leur capital culturel. Et vont s’organiser pour», constate-t-il. 

Les classes populaires ne se plieront désormais aux politiques d’adaptation que par la contrainte. De sorte que ceux qui se revendiquent «libéraux» aujourd’hui risquent demain de mettre en place des politiques coercitives ou liberticides pour imposer leur libéralisme à la majorité. C’est, semble-t-il, déjà la tentation d’Emmanuel Macron depuis la crise des Gilets jaunes. L’écologie et la «légitime» sauvegarde de la planète pourraient également à l’avenir justifier ce «libéralisme autoritaire». Il serait donc illusoire de croire que les populistes vont disparaître. Le conflit entre le « bloc populaire » et le «bloc élitaire», tel que défini par Jérôme Sainte-Marie, est appelé à se perpétuer longtemps. Au risque de dégénérer en lutte des classes stérile qui ne ferait que des perdants. 

Macron comme Trump ont tous les deux conquis le pouvoir en s’inscrivant dans cette nouvelle configuration politique. Ils sont en quelque sorte les deux faces d’une même pièce. Le premier incarne le «bloc élitaire» tandis que le second incarne le «bloc populaire». Les deux ont cependant échoué sur le même point: réconcilier les deux. Le mouvement des Gilets jaunes a révélé le gouffre qui opposait la «start-up nation» de Macron et la France des ronds-points. Il a aussi offert une occasion unique au président de la République de se transcender pour devenir le président de tous les Français. Le barnum médiatique du grand débat, qui s’adressait surtout à son propre camp, puis les élections européennes, ont permis d’éteindre les braises. Cependant, l’incendie couve toujours. Le président de la République a consolidé sa base, extrêmement minoritaire du reste, mais a radicalisé ses opposants les plus déterminés. Aucun des grands enjeux posés par la crise n’est résolu. Et si Macron est bien placé pour être de nouveau élu par défaut en 2022 avec une abstention record, seul un désastre démocratique peut en résulter. Le bilan économique du président américain peut faire pâlir d’envie le président français. Dirigeants et médias européens feraient peut-être bien de se montrer moins condescendants à l’égard de la politique hétérodoxe américaine et d’en tirer les leçons. Mais on mesure aussi la grandeur d’un homme d’État à sa capacité à dépasser les clivages et rassembler son pays. Sur ce point, comme Macron, Trump a échoué. «Je m’engage à être le président de tous les Américains», avait-il assuré dans un discours de victoire au ton inhabituellement apaisé, avant d’ajouter : «À ceux qui n’ont pas voté pour moi, je vous tends la main». À la Maison Blanche, Donald Trump a consolidé sa base, plus large que celle du président français, en exacerbant lui aussi les divisions. Il a bien été aidé en cela par le camp démocrate qui quatre ans durant n’a eu pour seul programme que le repli sur une logique identitaire et la diabolisation de Trump et de son électorat. 

Même en cas de défaite du président américain, suivi d’échecs en cascades des autres leaders populistes, scénario peu probable, le rétablissement du statu quo n’aura pas lieu. Et ce n’est pas le retour d’un fascisme à la mode des années 30, dont les populismes nationalistes actuels seraient les héritiers, qu’il faut craindre, comme le redoutent ceux qui ont toujours une guerre ou deux de retard, mais la balkanisation ou la libanisation des sociétés occidentales. La libération des forces du marché conjuguée au multiculturalisme n’a pas produit le village mondial pacifié espéré, mais au contraire le grand retour d’un féodalisme meurtrier. Pour paraphraser Jean Jaurès, on pourrait dire que la globalisation porte en elle la guerre comme la nuée porte l’orage. Non la guerre entre nations, mais la guerre du tous contre tous. Jérôme Fourquet, mieux que personne, a décrit ce processus de morcellement dans L’Archipel français. Mais ce sont toutes les sociétés occidentales qui semblent en voie de «zadisation». Les vieilles nations sont attaquées par le haut par les multinationales et pas le bas par les tribus. Sans un sursaut collectif, le nouveau monde sera celui des Gaffa et de la burka, du McWorld et du djihad comme prophétisé dès les années 90 par Benjamin Barber. L’obstination dans l’affrontement populisme/élitisme, s’il devait se prolonger, mènerait inéluctablement au chaos. 

C’est pourquoi, la raison commande de réconcilier le peuple et les élites, les populismes et leurs adversaires en conciliant les aspirations nationales des premiers avec les aspirations transnationales des seconds. David Goodhart a raison lorsqu’il affirme que le plus grand défi pour la prochaine génération est la création d’une nouvelle règle du jeu politique entre «Anywheres» et «Somewheres» qui prendrait en compte de manière plus équitable les intérêts et les valeurs des «Somewheres» sans écraser le libéralisme des «Anywheres». Ainsi seulement ceux de quelque part et ceux de n’importe où pourront recomposer un ordre politique fondé à la fois sur la souveraineté des peuples et sur la liberté des individus. Un ordre démocratique en somme. La responsabilité de cette réconciliation incombe d’abord aux «élites». D’une part, parce que ce statut dont elles se prévalent implique le devoir de prendre en compte les souffrances et les aspirations des plus humbles. D’autre part, parce que ce sont les élites qui ont fait sécession. À elles, désormais, de réintégrer le cadre national qu’elles ont déserté en tendant la main à ceux qu’elles ont injustement traités comme des «plouc-émissaires» (Philippe Muray). Cette réconciliation passe par la reconnaissance de la légitimité politique et démocratique des populismes. Ils le sont parce que les partis traditionnels ont pour l’heure échoué à répondre aux inquiétudes et aux souhaits d’une grande partie de la population. Ils le sont aussi tout simplement parce qu’ils respectent les règles du jeu démocratique: l’immense majorité d’entre eux acceptent et soutiennent le règne de la loi, les droits individuels, y compris ceux des minorités, la séparation des pouvoirs... 

Refuser de l’admettre et les rejeter hors du champ démocratique légitime, c’est prendre le risque de voir émerger des mouvements beaucoup plus radicaux et extrémistes, de voir les citoyens se replier sur leur communauté et s’identifier à des idéologies réellement meurtrières. La montée en puissance de l’islamisme en Europe, en particulier chez les jeunes, doit nous inquiéter. De même que la banalisation au sein de la gauche radicale d’un indigénisme racialiste qui enferme les individus dans des identités fantasmées. Il serait préférable par exemple de reconnaître la légitimité du Brexit et de permettre à Boris Johnson d’en assumer la mise en œuvre paisiblement. Car l’accession de l’antisémite et communautariste Jeremy Corbyn, chef de file des travaillistes, au 10 Downing Street serait bien plus préjudiciable pour les idéaux des Lumières que la victoire de n’importe quel Trump, Orbán ou Salvini. Certains présenteront peut-être ce livre comme un plaidoyer pour le populisme. C’est qu’ils auront mal lu ou qu’ils sont malhonnêtes. Il s’agit, d’abord et avant tout, d’un plaidoyer pour la démocratie. Il est illusoire de croire qu’une démocratie peut fonctionner sans élite pour la représenter et la guider. Mais il est encore plus déraisonnable de penser qu’une démocratie pourrait fonctionner sans le peuple ou, pour reprendre la célèbre formule de Bertolt Brecht, qu’on pourrait le dissoudre lorsqu’il vote «contre». «Le peuple est à ma connaissance le dépositaire le plus sûr des pouvoirs ultimes de la société», écrivait Thomas Jefferson, l’un des pères fondateurs de la démocratie américaine. Les populismes sont là pour nous le rappeler.

Extrait du livre d’Alexandre Devecchio, "Recomposition", publié aux éditions du Cerf.

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