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Pourquoi il est urgent d'abandonner les stéréotypes réducteurs et les rôles sociaux assignés aux personnes âgées
©STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Bonnes feuilles

Nicolas Menet publie "Construire la société de la longévité : Une opportunité pour l'économie ?" aux éditions Eyrolles. L'accroissement exponentiel de la longévité affecte désormais la vie sociale, politique et économique. L'allongement de l'espérance de vie incite à les revoir. De là est né le concept de société de la longévité. Ce projet global de société est un enjeu majeur pour la prochaine décennie. Extrait 1/2.

Nicolas Menet

Nicolas Menet

Nicolas Menet était sociologue, directeur général de Silver Valley, l'un des plus importants pôles d'innovation en Europe dédié à la longévité. Il nous a quittés en février 2023.

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AU PLAN SOCIÉTAL, CHANGER NOTRE REGARD SUR LES PERSONNES ET LA VIEILLESSE

Pour bâtir ce nouveau type de société, le premier plan à faire bouger est celui des représentations non seulement de la vieillesse comme processus mais de la personne. Pour ce faire, il convient de lutter contre les stéréotypes réducteurs et les rôles sociaux assignés qui obèrent l’expression de la singularité des personnes. Il s’agit de montrer que les personnes dont le vieillissement est visible sont dans une continuité identitaire par rapport à ce qu’elles ont toujours été et qu’il leur reste des possibilités d’évolution et de transformation. Il s’agit d’affirmer les possibilités de changement, de questionnement, de remise en cause, sans pour autant produire une nouvelle pression sociale de la quête identitaire. 

Depuis plusieurs décennies, de nombreux acteurs demandent une grande campagne nationale de communication qui appellerait au changement de regard sur les personnes qui avancent en âge. Évidemment la communication ne peut pas tout, ainsi toutes les courroies possibles sont les bienvenues pour démontrer que la longévité nous concerne tous, et surtout qu’elle est la préfiguration de notre futur commun ; une société intégrant tous les âges, même les plus avancés, et une société dans laquelle le sens et l’utilité que l’on souhaite développer l’emporter sur le statut social professionnel. Que ce soit par le biais de l’éducation, de la prise de parole politique et médiatique, de la culture, il semble fondamental de véhiculer des messages qui relatent de la complexité d’un processus, de la richesse d’une population, là encore, sans pour autant faire de « l’âgisme  bienveillant » en espérant, par exemple, donner une image trop positive, mais erronée, de la vieillesse. Ce qui compte, c’est avant tout de restituer une multiplicité de parcours et d’être le plus proche possible de ce que vivent les personnes les plus âgées d’entre nous. 

La manière forte de changer le regard consisterait à sanctionner toutes les manifestations d’âgisme comme on le fait pour le racisme, l’antisémitisme, le sexisme et l’homophobie. Une telle approche constituerait un levier de transformation puissant accélérant la prise de conscience que la stigmatisation liée à l’âge chronologique est clivante et appauvrissante pour l’ensemble de la société. 

Un autre pilier de la transformation sociétale est la revalorisation de l’expérience unique accumulée par les personnes avancées en âge par le biais du renforcement des activités intergénérationnelles. Cette remise en lien peut passer par l’accès au travail temporaire ou partiel mais aussi par de nouvelles formes de bénévolat  et de système de transmission  de compétences et d’expériences. L’économie collaborative et les plates-formes de mises en relation sont des accélérateurs de ces liens, mais rien n’empêche de favoriser les relations sociales intergénérationnelles – en dehors de la famille – via la construction d’habitat partagé ou plus simplement par l’ouverture vers la cité de lieux dédiés à l’intergénérationnel. En outre, dans un contexte dans lequel la relation grands-parents à petits-enfants n’a jamais été aussi rapprochée, il est fort probable que ces initiatives rencontrent le succès. 

Enfin, le changement de regard sur la vieillesse passe aussi par notre rapport à la mort. « Réhabiliter la mort » est une image certes un peu dérangeante, mais il semble nécessaire de remettre cette suite logique de la vie au rang de « tabou » et non de « déni » en en parlant et en l’acceptant, et surtout en nous préparant. Vieillir mieux  ne signifie pas rester jeune et comme le dit le célèbre proverbe africain « La mort est un vêtement que tout le monde portera », il est donc inutile de la nier. Il vaut mieux que la société la regarde en face et qu’elle n’identifie pas les personnes âgées à la mort, risquant de les stigmatiser encore davantage, mais qu’elle prenne conscience de la finitude de l’homme comme un acte aussi banal que celui de respirer ou de s’alimenter.

 AU PLAN POLITIQUE, ANTICIPER LE VIEILLISSEMENT POUR MIEUX Y RÉPONDRE

Le plan politique représente les choix collectifs que nous faisons et ferons concernant le traitement de l’allongement de la vie. À ce stade, on l’a vu, l’action politique concerne en grande partie le sujet de la dépendance et de son coût, même si des signaux expriment une vision plus large du vieillissement, notamment en considérant la personne inscrite dans un parcours de vie.

Sociologie  et prospective sont convoquées 

En préambule, il est nécessaire de répéter que le renforcement de la prise en compte systématique de l’évolution démographique pour planifier les actions politiques s’avère plus que jamais nécessaire. La démographie est une science exacte qui permet de juger les volumes populationnels qu’il va falloir traiter. Au-delà de cette approche statistique, la sociologie et la prospective sont des alliées de choix qu’il va falloir renforcer. En effet les chercheurs spécialisés dans cette discipline ainsi qu’en gérontologie  sont bien trop rares alors même qu’ils sont les seuls à pouvoir investiguer les aspirations, les modes de vie et les représentations des publics concernés grâce à leurs méthodologies d’enquête. Les financements  de ce type d’approche doivent être renforcés car c’est dans ces deux disciplines en particulier que de nombreuses solutions peuvent être proposées.

À noter 

Cela est d’autant plus fort quand sciences humaines et sciences médicales collaborent étroitement.

Anticiper la désinstitutionnalisation des futurs retraités et le mieux vieillir 

L’un des tout premiers leviers d’une politique de la longévité consisterait à accompagner de manière massive les futurs retraités à l’avancée en âge et à les sensibiliser aux pièges de l’assignation de rôles sociaux afin de leur éviter de tomber dans le conditionnement qui guette toute personne qui arbore des signes manifestes de sénescence. Autrement dit, les stages de préparation à la retraite (ou à la maturité) pourraient devenir un droit, voire un passage obligé, permettant de faire face à la crise identitaire connue afférente à la perte de son rôle social professionnel. 

Dans un futur un peu plus lointain, quand le parcours de vie sera désinstitutionnalisé, il s’agira davantage de sensibiliser les personnes à la nécessité de se questionner sur leur participation sociale  et leur intégration au sein de projets de société. Ce type de pratique concernera d’ailleurs toute personne « en redéfinition » de soi et de son rôle au sein de la communauté. De tels dispositifs sont de véritables courroies de sensibilisation à la prévention de l’isolement, l’amélioration de la santé, la lutte contre la fragilité et de façon plus générale au développement personnel et à l’épanouissement de son identité.

À noter 

Il va de soi que ces stages ne doivent en aucun cas produire de nouvelles pressions sociales autour de la performance  de la personne qui avance en âge.

Il s’agira également de moments d’apprentissage et d’acculturation à l’innovation pour le mieux vieillir permettant à chacun d’accéder aux solutions les plus pertinentes en lien avec ses choix de vie et ses aspirations. Concernant les personnes les plus fragilisées et pour renforcer la continuité entre la vie travaillée et la vie retraitée, il apparaît opportun de mettre fin au clivage entre handicap pour les moins de 60 ans et aide personnalisée à l’autonomie (APA) pour les plus de 60 ans. Cette distinction qui complique considérablement l’accès aux aides ne plaide pas en faveur d’une « société pour tous les âges » dans laquelle la longévité est l’affaire de tous.

Anticiper l’impécuniosité des retraités 

Un autre des leviers de transformation de la politique en faveur des personnes retraitées est aussi de permettre, dans un droit statutaire spécifique, le cumul emploi-retraite. De nombreux acteurs ont identifié cet axe comme prioritaire tant pour l’économie des finances publiques, que pour le maintien en activité des personnes, que pour la stabilité du pouvoir d’achat. Une telle mesure – bien qu’il existe déjà un statut d’autoentrepreneur – soulignerait l’importance pour une personne vieillissante de continuer sa participation sociale. En outre, cette mesure deviendra rapidement dans les années à venir nécessaire car les futurs retraités qui auront cumulé de nombreux statuts différents et alterné périodes de travail et de chômage, n’auront probablement jamais suffisamment de ressources pour vivre dignement à la retraite et chercheront – comme cela se fait aux États-Unis par exemple – d’autres sources de revenus, que ce soit par les activités ubérisées ou la mise en valeur du patrimoine immobilier cumulé. 

Concernant les activités ubérisées (comme les heures de garde d’enfants, l’aide ponctuelle à domicile, la location d’un bien immobilier, le covoiturage…), il serait opportun, au vu des difficultés tant à financer les retraites que de générer des pensions suffisantes à l’avenir, d’imaginer un déplafonnement des revenus générés par les plates-formes d’économie collaborative pour les retraités les moins aisés. Cette pratique permettrait tant de stimuler l’innovation, que de favoriser la participation sociale  et de maintenir un bon niveau de vie. Il en est de même concernant le financement  de la dépendance  potentielle elle-même. On le sait, les personnes de plus de 60 ans possèdent 60 % du patrimoine immobilier français. Ce qui implique que les moins aisés d’entre eux sont, certes, propriétaires occupants de leur logement, mais propriétaires précaires, leur source de revenu ne suffisant pas à l’entretenir correctement, qui devient un lieu de danger inadapté, accélérant la fragilité. Ainsi, il apparaît nécessaire et même urgent d’imaginer des procédures accélérées ou des aides spécifiques permettant une liquéfaction rapide et juste du patrimoine lorsque celui-ci n’est plus que la seule épargne.

Extrait du livre de Nicolas Menet, "Construire la société de la longévité: Une opportunité pour l'économie ?", publié aux éditions Eyrolles.

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