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Pourquoi Bruno Le Maire a raison de penser qu’il faut refonder le capitalisme des inégalités (et voilà pourquoi les vrais libéraux seraient bien inspirés de le soutenir)
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Table rase

Bruno Le Maire, ministre de l'économie a déclaré, lors d'une interview donnée à France Inter "Le capitalisme des inégalités est mort, il ne nous mènera nulle part. Il est injuste moralement et je pense en plus qu’il est inefficace économiquement".

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Atlantico : Comment analyser cette déclaration de Bruno Le Maire qui a pu être critiquée en raison de la sortie de la pauvreté de centaines de millions de personnes depuis les années 2000, par le biais de la mondialisation ? 

Nicolas Goetzmann : Cette question de la refonte du capitalisme est le sujet majeur qui découle des événements politiques de ces dernières années. Il est devenu, de fait, le thème central des dernières recherches économiques et politiques du monde anglo-saxon, mais reste encore trop marginal en Europe. La déstabilisation des démocraties occidentales provient de la formation des inégalités de revenus et de patrimoine au sein même de ces pays, et dont le résultat a été de créer une majorité de perdants, ce qui est mécaniquement intenable dans un régime démocratique. Ne pas se préoccuper de cette question de la refonte du capitalisme, c'est se mettre des œillères face aux risques politiques encourus, et face à la réalité des données économiques de ces 35 dernières années. 
Cette thématique été parfaitement illustrée par l'économiste Branko Milanovic dans son graphique de l'Éléphant qui démontre que la progression des revenus, au cours de ces dernières années, s'est concentrée sur les plus bas revenus (principalement en Chine) et sur les "1%" les plus riches de la planète. Entretemps, ce sont les classes moyennes et populaires occidentales qui ont été laissées de côté. 

World Inequality Report 2018

Une tendance qui se vérifie dans la distribution des revenus, principalement aux Etats-Unis : 

Il est toujours possible de contrer cet argumentaire en évoquant la question de la France, qui est effectivement parvenue à maitriser la progression des inégalités de revenus depuis les années 80. Mais cette particularité française masque un fait tout aussi problématique, qui avait pu être révélé par l'INSEE dans une enquête datant de 2015 concernant les inégalités de patrimoine : en France "Entre 1998 et 2015, le patrimoine double, mais diminue pour les 20 % les moins dotés". Or, les 10% les plus riches concentrent 47% du patrimoine en France. La France se place ainsi parmi les plus inégalitaires en termes de patrimoines, et la tendance est encore à l'accroissement. Que cela soit la mondialisation, le détricotage progressif des États providence, ou le choix de politiques monétaires qui ont abusivement privilégié le capital par rapport au travail (principalement en Europe), les causes de la formation des inégalités sont diverses. 
Bruno Le Maire se positionne donc logiquement sur cette thématique à l'approche du G7 qui se tiendra à Biarritz au mois de juillet prochain, donc sous présidence française, et dont le thème sera justement les inégalités. Il y a donc bien une logique politique ici, même si l'angle choisi par le ministre de l'économie est avant tout celui de la fiscalité des grands groupes du numérique. Ce qui reste une approche relativement restrictive, mais il est effectivement intéressant d'imposer une telle thématique dans le débat public. 

Quels seraient les moyens théoriques de provoquer une telle refonte du capitalisme ? 

Une récente recherche de l'Economic Policy Insiutute a mis un accent particulier sur la politique monétaire américaine depuis les années 80 comme cause de cette situation. Cette politique, théoriquement, doit poursuivre deux objectifs, le plein emploi et la maitrise des prix. On voit très bien ici que le premier volet tend à favoriser les revenus du travail, par la recherche du plein emploi, tandis que le deuxième volet protège le capital par la maitrise de l'inflation. Or, il apparaît que la politique menée par la Fed a été disproportionnément favorable à la protection du capital, au détriment du travail depuis les années 80. Le résultat est la fragilisation du monde du travail, la perte progressive du pouvoir de négociation, le développement des contrats courts, du travail partiel etc…parce que les gens n'ont pas vraiment le choix. Depuis 2008, la Fed cherche à corriger ce qui a été fait lors de ces dernières décennies, il est à espérer qu'elle continue en ce sens. Il s'agirait là de la cause majeure du processus, qui a été amplifié par les moindres ressources attribuées à l'État providence américain, mais également par la compétition entre travailleurs issue de la mondialisation, ou encore le "capitalisme de connivence". 
Concernant l'Europe, ce sujet ne se discute même plus puisque la politique monétaire ne dispose que d'un objectif unique qui est la maitrise des prix. De fait, institutionnellement, l'Europe privilégie le capital par rapport au travail. C'est ce qui explique un taux de chômage structurellement plus élevé en Europe parce que le travail est devenu la seule variable d'ajustement. C'est aussi ce qui explique, notamment en France, la taille importante de l'État providence dont le but est finalement de réparer les dégâts économiques provoqués par la stratégie économique poursuivie au niveau européen, et dont les racines remontent au début des années 80. C'est le paradoxe : les Français payent un État providence qui a pour objectif de corriger les effets d'une politique favorable aux patrimoines les plus élevés. C'est un robin des bois à l'envers institutionnel. 
Donc, théoriquement, pour permettre de retrouver une tendance plus égalitaire, et finalement libérale (à moins de considérer que le libéralisme ait pour objectif de déséquilibrer le rapport de force entre capital et travail, ce qui serait absurde), serait simplement de promouvoir une politique monétaire duale sur le modèle américain. Un Etat providence digne de ce nom restera également un impératif, bien que moins couteux si l'on accepte de mener l'économie sur le seuil du plein emploi effectif. 
Curieusement, les critiques relatives à la question des inégalités aiment pointer le fait que celles-ci seraient le résultat du travail, donc légitimes. Mais ce n'est pas le cas. Le travail ne permet plus de s'enrichir, seul le capital le permet dans un tel système. Refuser le changement vers un système dual, c'est accepter que la rente ait une valeur supérieure au travail.  

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