Pourquoi baisser le salaire des élus ne redressera pas les comptes publics... mais pourrait avoir quelques vertus<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Les Français souhaiteraient diminuer le salaire des élus pour redresser les finances publiques.
Les Français souhaiteraient diminuer le salaire des élus pour redresser les finances publiques.
©Reuters

Démago ?

Selon un sondage Opinionway, 86% des Français estiment que pour faire des économies il faut s'attaquer en priorité au train de vie des élus, vient ensuite la baisse du nombre de fonctionnaires (34%).

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

Voir la bio »

Atlantico : Selon un sondage Opinionway pour Tilder et LCI publié jeudi, 86% des Français considèrent que le gouvernement doit en priorité s'attaquer au train de vie des élus afin de redresser les comptes publics. De manière générale, les élus sont-ils trop payés ?

Eric Verhaeghe : Il me semble que les Français sont d'abord à la recherche de symboles qui les rassureraient sur le caractère démocratique de notre régime. Beaucoup de Français perçoivent bien que nous vivons une période de réaction nobiliaire: la noblesse républicaine (les élus, les hauts fonctionnaires) impose des efforts aux Français, mais s'en exonère volontiers. Tout se passe comme si les élus n'avaient qu'une idée en tête : échapper à l'austérité qui frappe le pays, et faire endosser aux citoyens le coût d'une survie d'un régime aristocratique où l'intérêt général n'existe plus.

En ce sens, les débats sur l'indemnité parlementaire qui ont sévi cet automne, au moment où le gouvernement décidait d'augmenter fortement les impôts qui touchent les entrepreneurs, ont eu un effet dévastateur. Lorsque Claude Bartolone, président de l'Assemblée nationale, qui avait fait lors de son élection au perchoir une campagne médiatique sur ses racines prolétaires, a tout fait pour préserver le train de vie des députés et l'opacité de leurs dépenses, il a frappé un coup très dur. Il a en effet donné le sentiment que la majorité présidentielle élevait au pinacle les professionnels de la politique, les apparatchiks qui empestent les couloirs des partis politiques, et sanctionnait durement les entrepreneurs qui créent de la richesse et de la valeur sans demander de subventions publiques. En période de crise très dure, ce message est terrifiant : il insinue dans l'esprit des Français que les rentiers des partis sont privilégiés par le régime, et que les créateurs de richesse sont stigmatisés.

Le même phénomène se vérifie pour les grands corps de l'Etat. Les hauts fonctionnaires se sont accordés d'importantes augmentations depuis la crise de 2008. Le Conseil d'Etat a créé un nombre extravagant d'emplois nouveaux en 2013, alors que l'activité de la justice administrative stagne depuis 5 ans. Toutes ces opérations n'ont qu'un objectif : nourrir l'arrogance des grands corps qui s'estiment au-dessus des lois, qui les violent allègrement d'ailleurs (il y aurait long à dire sur l'imaginaire impartialité du Conseil d'Etat), et qui trouvent tout à fait justifié d'appliquer aux autres des règles qu'ils refusent pour eux-mêmes.

C'est tout cela me semble-t-il qui exaspère les Français. Ils ont en assez de se faire traiter de populistes chaque fois qu'ils demandent un partage juste de l'effort collectif. Ce n'est pourtant pas être populiste que de demander aux états-majors de partager l'effort et les sacrifices de la troupe. C'est tout simplement être efficace : comment penser que la France peut-être bien dirigée si ses décideurs sont coupés de la réalité du pays? De ce point de vue, je comprendrais qu'une mesure symbolique soit prise en prochaine loi de finances : imposer une contribution exceptionnelle de 1.000 euros nets mensuels à chaque parlementaire, à chaque membre d'un exécutif régional ou départemental, et à chaque haut fonctionnaire.

Sur le fond, nous savons tous que cette contribution serait symbolique. En soi, les montants qui seraient ainsi économisés ne permettraient certainement pas de rembourser la dette publique. En revanche, ils légitimeraient la politique d’austérité : chaque Français saurait que ses élus font eux-mêmes l'expérience des sacrifices qu'ils demandent aux autres.

Le problème ne vient-il pas davantage du cumul que du montant ?

Je dirais plutôt que le problème vient de l'opacité que crée le cumul des mandats. Beaucoup de fantasmes circulent sur la rémunération des élus, et sur le cumul dont ils peuvent bénéficier. Ces fantasmes ne sont pas sains pour la démocratie, car il n'y a aucune raison que les indemnités qui sont versées au titre de mandats publics ne soient pas rendues publiques. Ces indemnités sont de l'argent public destiné à financer des missions publiques. Il est donc normal que le public, c'est-à-dire les contribuables, sache quel usage est fait de cet argent. De ce point de vue, l'instauration d'un "say on pay" des élus serait salutaire. Il s'agirait tout simplement de permettre l'application de la déclaration des Droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui prévoit la transparence sur des informations de ce genre.

Au demeurant, il s'agirait d'une simple mesure d'équité par rapport aux entreprises. Les élus aiment bien se répandre sur les rémunérations scandaleuses des patrons. Le gouvernement a même pris des mesures sur la rémunération des patrons des entreprises publiques. Ce mouvement ne me choque pas : une entreprise où la rémunération du président est plus de dix fois supérieure à celle du plus bas salaire ne peut pas fonctionner raisonnablement. On oublie trop souvent que, dans une économie vraiment libérale, le patron est un manager qui doit être légitime vis-à-vis de ses salariés. Aucune entreprise ne peut fonctionner en économie ouverte, concurrentielle, avec des disparités salariales trop grandes. Si ces disparités existent, c'est le signe que l'économie n'est pas un marché, qu'elle a mis en place des barrières cachées et des rentes, qui permettent la survie d'activités de façon totalement viciée, avec des disproportions, des biais et des démesures caractéristiques des économies administrées.

Donc, lorsque les élus réclament une limitation dans la rémunération des patrons, ils portent une revendication assez légitime, que les pays anglo-saxons ont résolu par la transparence, aussi appelée "say on pay". Les assemblées générales, et plus largement le public, doivent être clairement informés de la rémunération dont profitent les dirigeants d'entreprise. C'est tout à fait légitime.

Parallèlement, il est légitime, démocratique, salutaire, que les électeurs sachent qui touche quoi dans les mandats électifs. Lorsqu'un maire d'une commune de 100.000 habitants, membre de l'exécutif d'une intercommunalité, membre de l'exécutif d'un conseil général et d'un conseil régional se présente aux législatives, il est sain que chaque électeur sache quels sont ses moyens d'existence. Non seulement en termes d'indemnités, mais aussi de train de vie : logement de fonction, voiture, chauffeur, frais de représentation. A l'électeur de se prononcer, ensuite, en son âme et conscience.

A niveau de responsabilité équivalent, leurs rétributions sont-elle inférieures à celle du secteur privé ?

Cette question est assez naturelle, mais elle en même temps compliquée à traiter. La particularité d'un député est évidemment que sa responsabilité n'a pas vraiment d'équivalent dans le privé. En revanche, je suis assez partisan d'une comparaison avec les fonctionnaires, où elle a un sens.

Dans la pratique, un directeur d'administration centrale de l'Etat gagne entre 10.000 et 15.000 euros nets par mois, parfois un peu plus. En intégrant les primes annuelles, ces sommes ressemblent de près à des rémunérations équivalentes à celles du secteur privé, à responsabilité égale. Et elles sont supérieures aux rémunérations des parlementaires.

Dans les rémunérations des hauts fonctionnaires, je mets à part les rémunérations extravagantes touchées par certains fonctionnaires de Bercy, qui sont un vrai scandale du point de vue de la démocratie. Les salaires versés à Bercy ont pris des proportions écoeurantes, quand on sait quel cataclysme le ministère des Finances organise aujourd'hui. Par exemple, le surcoût produit par la fusion des réseaux du Trésor Public, qui a servi à acheter la paix sociale, est au moins égal à la somme que le gouvernement cherche pour boucler 2013. Pour quel résultat en termes de productivité? aucun. Les hauts fonctionnaires qui sont à l'origine de ce scandale qui justifierait une commission d'enquête parlementaire devaient percevoir des rémunérations mensuelles plus proches des 20.000 euros que des 10.000 euros.

Quand on connaît ces sommes, les rémunérations perçues par les élus paraissent plutôt médiocres. De ce point de vue, elles ne me choquent pas, si elles sont utilisées à bon escient.

L'un des arguments communément avancés pour justifier le niveau des indemnités est qu'elles préviennent la corruption. Qu'en est-il réellement ?

Je ne présenterais pas forcément le sujet de cette façon, car je ne sais pas à partir de quel seuil un élu s'estime suffisamment bien payé pour être incorruptible. Prenez l'exemple parisien : la plupart des élus d'arrondissement sont honnêtes. Mais, à rémunération égale, certains se sont laissés aller à la corruption, comme dans l'équipe Tibéri. Le sujet ne tient pas à la rémunération, mais au choix des personnes.

En revanche, il y a, derrière la question de l'indemnité de l'élu, le sujet de sa représentativité. Si l'indemnité est trop basse, elle fait fuir des chefs d'entreprise, des professions libérales, des indépendants, ou des salariés du privé, qui ne peuvent s'offrir le luxe de quitter la vie professionnelle pour une période de 5 ou 6 ans, et de perdre leur mandat sans garantie de retrouver un emploi par la suite.

Les Français oublient trop souvent qu'être élu n'est pas qu'une source de prestige. C'est aussi un risque : celui de fragiliser sa situation professionnelle en faisant campagne, en s'affichant sur des listes qui sont parfois aux antipodes de ce que croient vos clients, vos partenaires, vos fournisseurs, et en passant beaucoup de temps à se consacrer à autre chose qu'à ses affaires. Quand on est élu, ce risque s'accroît: on se dévoue corps et âme à ses fonctions, et on affronte le risque de ne pas être réélu. Pendant ce temps-là, on ne fait pas autre chose. Si on est artisan, ou entrepreneur, cela se traduit par une perte sèche de revenus.

De façon très inégalitaire, les fonctionnaires échappent à cette règle. Un fonctionnaire élu bénéficie de toutes les facilités nécessaires pour exercer son mandat, et ses services d'élus sont comptabilisés comme services actifs dans la carrière.

Voilà pourquoi baisser l'indemnité des élus est une menace pour la démocratie. Cette mesure accroîtrait la surreprésentation des fonctionnaires dans les mandats, et écarteraient un peu plus les talents venus du privé.Elle nourrirait aussi l'exécrable tendance contemporaine à la professionnalisation de la politique, qui veut que l'engagement politique commence à la sortie du lycée et se termine vers 75 ans, une fois toutes les possibilités de mandat épuisées.

Dans le même temps, il y a élu et élu : tout le monde n'est pas logé à la même enseigne...

On a en effet tendance à confondre l'élu national, qui bon an mal an constitue une TPE avec un chiffre d'affaires de plus de 250.000 euros quand on comptabilise tous ses revenus, et le maire rural qui touche une indemnité symbolique.

Les élus souffrent-ils d'un défaut de reconnaissance ? Faut-il créer un statut de l’élu ?

Je ne pense pas que ce soit un problème de reconnaissance. L'enjeu n'est pas de satisfaire le narcissisme de l'élu qui souffre méprisé. L'enjeu est de mettre en place un système où chaque citoyen ait les mêmes chances d'être élu, car la représentativité politique est un problème de démocratie. Pour cela, il faut mettre chacun en position d'avoir un intérêt objectif à être élu s'il en a les capacités.

Cela passe forcément par une rémunération du risque que l'on prend en se présentant aux élections. De ce point de vue, garantir des droits sociaux suffisants en cas de non-réélection, garantir une prise en compte effective dans la carrière, et au moment de la retraite, des années passées dans les mandats, me paraîtrait extrêmement sain d'un point de vue citoyen. A nous, les électeurs, de savoir si nous voulons une classe politique médiocre ou des élus qui réussissent dans leur vie professionnelle, mais qui veulent mettre leur énergie au service du pays.

En réalité, le statut de l'élu est indissociable de la grandeur de la France. Voulons-nous une France étriquée, au rabais, à l'économie, qui mégote sur les détails et se contente de l'absence de vision qui prédomine dans le paysage politique français depuis 30 ans? Ou bien voulons-nous retrouver notre grandeur naturelle, assumer notre rôle historique, en amenant au pouvoir les gens qui le méritent?

Pourrait-on imaginer un système de rétribution au résultat ?

Je serais partisan d'aller plus loin ! Il ne me semblerait pas choquant que, suivant un processus qui doit être mûri et accepté de façon raisonnable, les citoyens évaluent leurs élus et décident ainsi d'une part de leur rémunération. Les réseaux sociaux permettent cela, notamment par la technique de l'endorsement, et il me semble qu'il s'agit d'une voie à suivre.

Dans la pratique, on sait tous que certains élus somnolent ou profitent de leur mandat pour mener la belle vie. Ce sont les effets indésirables du scrutin proportionnel : il favorise l'élection sur des étiquettes politiques déconnectées du travail concret de l'élu. Le parlement européen en est un exemple : certains députés européens ont le don de ne rien faire en étant grassement payés. Pas tous bien entendu. Mais certains paressent allègrement.

Mettre en place un système transparent d'évaluation des élus : participation aux réunions, clarté sur les votes dans les assemblées, mesure des résultats concret, améliorerait le contenu démocratique du débat public.

Ces évolutions seraient salutaires. La démocratie représentative agonise. Elle ne renaîtra probablement jamais, car les moyens technologiques d'aujourd'hui l'ont définitivement ringardisée. La question qui reste en suspens est de savoir si elle sera remplacée par un système autoritaire. De ce point de vue les propos de Manuel Valls sur les Roms ou l'invocation des ordonnances par François Hollande montre bien que la tentation autoritaire et identitaire est autant à gauche qu'à droite. Ou bien si elle sera remplacée par une démocratie liquide, qui est la forme contemporaine de la démocratie libérale.

'est aussi aux élus de se prononcer sur cette question là.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !