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Laurent Dandrieu : "Sur les migrants, l’Eglise se tire une balle dans le pied"
©Osservatore Romano / Reuters

Changement de dogme

Dans son dernier ouvrage, "Eglise et immigration : le grand malaise", Laurent Dandrieu revient sur l'histoire de l'Eglise catholique vis-à-vis de l'immigration. Auparavant rempart à l'avancée musulmane, l'Eglise a aujourd'hui changé de politique. Pour l'auteur, ce revirement est un danger.

Laurent Dandrieu

Laurent Dandrieu

Laurent Dandrieu est rédacteur en chef des pages "Culture" de Valeurs actuelles, pour lequel il suit également l'actualité religieuse. Il est l'auteur de plusieurs livres dont Woody Allen, portrait d'un antimoderne (CNRS Éditions), Dictionnaire passionné du cinéma (Éditions de l'Homme nouveau) et La Compagnie des anges. Petite vie de Fra Angelico (Éditions du Cerf).

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Atlantico : Dans votre dernier ouvrage, "Eglise et immigration : le grand malaise", vous rappelez qu'il y a cinq siècles, l'Eglise catholique, et notamment la papauté, constituait le "fer de lance de la résistance à l'avancée musulmane" à travers la mise en place de la Sainte-Ligue qui défit les Ottomans à Lépante,  alors qu'aujourd'hui, les papes paraissent avoir abandonné la "résistance acharnée qu'ils ont menée durant des siècles contre toute velléité d'islamisation de l'Europe". Quels sont les facteurs à l'origine de ce changement majeur de la part de l'Eglise catholique, et notamment de la papauté ?

Laurent Dandrieu : Il me semble que deux phénomènes se conjuguent pour arriver à ce résultat : d’abord, une position de l’Eglise très favorable aux migrations, qui sont le vecteur historique emprunté par l’islam, au XXe siècle, pour s’implanter sur le continent européen. Le magistère de l’Eglise sur l’immigration, qui naît sous Pie XII – c’est donc un magistère récent –, se développe à un moment de l’histoire de l’Eglise où sa réflexion sur la politique et sur le bien commun est à un point historiquement bas. Il en résulte, dans sa position sur les phénomènes migratoires, deux erreurs fondamentales qui vont biaiser son discours depuis l’origine. La première erreur est de considérer les migrations quasi exclusivement du point de vue des migrants, et d’un "droit à migrer" dont la portée va peu à peu être étendue – au point que Benoît XVI en vient à parler de "la faculté pour chacun de s’établir là où il l’estime le plus opportun" comme un droit humain fondamental. La seconde erreur est de mêler les plans politiques et eschatologiques, et de voir dans le phénomène migratoire l’image même du plan de rédemption qu’a Dieu pour l’homme, comme le dit Jean-Paul II, ou selon le mot de Benoît XVI "la préfiguration anticipée de la cité sans frontières de Dieu". De ces deux erreurs, il résulte que, si le droit des Etats à réguler l’immigration est en principe reconnu, en pratique toutes les politiques qui tentent de mettre en œuvre cette régulation sont condamnées comme l’expression d’un manque d’ouverture, d’une infidélité à l’esprit d’accueil du christianisme. Finalement, si l’immigration est la préfiguration de la Jérusalem céleste, alors ceux qui tentent de la limiter s’opposent à l’avènement du Royaume des Cieux ! Et c’est ainsi que l’islam a tout loisir de renforcer massivement sa présence en Europe, avec la bénédiction de l’Église.

D’autant que le second phénomène qui vient se conjuguer à cette vision favorable de l’immigration est un regard biaisé sur l’islam. Depuis les années 1960, l’Eglise est entrée dans une phase active de dialogue interreligieux qui, en ce qui concerne l’islam, me paraît fondamentalement vicié parce qu’il ne se fait pas dans un esprit de vérité : sous prétexte de préserver les “fruits de ce dialogue” – qui sont en réalité inexistants –, on en est venu à tenir un discours angélique sur l’islam, qui nie son problème avec la violence et qui fait l’impasse sur son incompatibilité avec les valeurs occidentales. L’Eglise regarde l’installation progressive de millions de musulmans en Europe comme une simple conséquence de phénomènes migratoires globalement positifs, et la progression du culte musulman sur notre continent comme une manifestation inéluctable de la liberté religieuse. Mais la question civilisationnelle n’est tout simplement jamais posée.

Nombreuses sont les actions et les paroles du pape François en faveur de l'accueil des migrants en Europe. Peut-on le considérer comme le pape qui a le plus contribué à ce que vous appelez la "dérive humanitariste"du christianisme ?

L’action du pape François paraît plus spectaculaire sur ce plan-là parce qu’il aime les gestes symboliques (comme de ramener des familles de clandestins musulmans de Lesbos dans son avion) et que, tant à cause de l’actualité (crise des migrants, terrorisme islamique en Europe) que par tempérament, il a multiplié les déclarations sur le sujet. Mais mon livre fait la démonstration que, sur le fond, il est dans la continuité des papes précédents. Même Jean-Paul II, qui a un discours très fort sur les nations et sur "la valeur religieuse" de "la fidélité à l’identité nationale", ne semble pas percevoir la contradiction avec la sanctification du phénomène migratoire qu’il opère par ailleurs, en en faisant la clef "d’un avenir de paix pour l’humanité tout entière". Tout le problème est que c’est un magistère qui est né au moment où l’Eglise semblait dans une sorte d’euphorie de la “mondialisation heureuse” et qu’il n’a jamais été remis en cause, tout simplement parce qu’il n’y a jamais eu au sein de l’Eglise le moindre débat sur la question. Je pense qu’il faut reprendre toute la réflexion sur ce sujet à zéro. Mon livre a pour vocation de créer l’électrochoc qui permettra l’ouverture de ce débat.

Quel est l'impact de ce discours de l'Eglise à propos de l'accueil des migrants sur les fidèles ?

Je pense qu’il a un énorme pouvoir d’intimidation. Depuis des années, on nous fait croire dans l’Eglise qu’être opposé à l’immigration de masse c’est être contre l’Evangile, contre la parabole du bon Samaritain et la parole du Christ ("J’étais un étranger et vous m’avez accueilli"). Depuis le pape François, on nous fait croire en outre que c’est aussi s’opposer à l’autorité du pape. Il y a sur ces sujets, dans l’Eglise, un discours cléricaliste qui tend à l’infantilisation des fidèles, en contradiction flagrante avec le texte de Vatican II Gaudium et Spes, qui reconnaît aux fidèles "une juste liberté de faire connaître humblement et courageusement leur manière de voir, dans le domaine de leur compétence". Or, nous sommes là sur des enjeux politiques et civilisationnels, qui ne sont pas de la seule compétence de l’Eglise, loin de là….

Qu’est-ce qui explique, selon vous, l’aveuglement de l’Eglise catholique quant au danger que représentent, pour la civilisation européenne dont le christianisme est l’un des fondements, ces millions de réfugiés arrivés en Europe ? Quel risque d’être le prix à payer pour cet aveuglement ? 

Outre les explications que j’ai déjà soulignées, il y a une certaine confusion entre politique et charité, et une tentation de faire des préceptes évangéliques, qui sont des chemins de salut personnel, des principes de gouvernance politique. Il me semble que la confusion s’étend aussi à la notion même de la charité, dont on oublie qu’elle doit être juste, responsable, efficace, et qu’elle obéit à un ordre de priorité : "Les plus proches ont un droit de priorité", écrit saint Thomas d’Aquin. Si l’on oublie ces adjuvants, la charité devient l’une de ces "vertus chrétiennes devenues folles" décrites par Chesterton, une caricature humanitariste d’elle-même qui n’a plus grand-chose de chrétien.

Le risque est double : pour l’Europe, que l’Eglise participe à la plonger dans le chaos et l’anarchie, sans profit pour personne, car les migrants n’y trouveront aucun secours si le continent ne possède plus ni stabilité, ni prospérité. Pour l’Eglise elle-même, qu’elle contribue à se marginaliser encore davantage en favorisant la progression en Europe d’un islam conquérant, et qu’elle se coupe encore plus profondément des populations européennes, qui sentent leurs souffrances ignorées au profit d’une attention exclusive donnée aux migrants, et qui s’indignent de voir que leurs inquiétudes quant à leur avenir et à celui de leur civilisation sont balayées d’un revers de main comme autant de “crispations identitaires”. Or ces inquiétudes pourraient constituer un formidable terreau pour cette nouvelle évangélisation à laquelle aspire l’Eglise en Europe, et qui jusqu’à présent, peine à prendre de l’ampleur : car il faudrait peu de choses pour que cette crise d’identité que traverse l’Europe accouche d’un retour vers le christianisme. Au lieu de quoi, l’Eglise prend ces inquiétudes de haut, adoptant vis-à-vis d’elles le même discours surplombant et moralisateur qu’une caste politico-médiatique pourtant massivement rejetée. En se coupant de ces populations autochtones européennes et de ses préoccupations légitimes, l’Eglise ne conduit pas seulement l’Europe à l’impasse, elle se tire aussi une balle dans le pied.

Dans quelle mesure l'Eglise catholique pourrait-elle participer à la sauvegarde de la civilisation européenne, et ce "sans renier les impératifs de la charité"  

Ce livre est écrit pour susciter le débat chez les catholiques, mais aussi pour montrer à ceux qui se sont éloignés d’elle ou qui n’ont pas la foi que le discours de l’Eglise sur les migrants, qui les hérisse, n’est pas une fatalité. L’Eglise a tous les éléments dans le trésor de sa tradition pour en revenir à une position équilibrée, responsable, où la charité n’est pas une fuite en avant, où elle renoue avec l’équilibre qui fut presque toujours le sien entre le souci de la fraternité universelle et la bénédiction des identités enracinées. Il faut pour cela qu’elle se rappelle qu’elle doit la charité aussi aux populations européennes, et d’abord aux fidèles dont elle a la charge. Il faut aussi qu’elle cesse de considérer la migration comme une panacée et qu’elle consente à privilégier les solutions durables, de développement et de stabilité politique, plutôt que favoriser le déracinement des peuples. C’est dans les pays dont les populations sont tentées de venir en Europe, en y créant les conditions de la prospérité, que se résoudra la crise migratoire. Pour cela, il y a besoin d’une Europe forte, fière de ses racines chrétiennes, et à laquelle l’Eglise sache redonner le supplément d’âme qui lui fait aujourd’hui cruellement défaut.

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