Post RIP : votons sur les retraites même sans la permission de l’Etat<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Conseil constitutionnel a censuré une nouvelle fois le projet de référendum d’initiative partagée (RIP).
Le Conseil constitutionnel a censuré une nouvelle fois le projet de référendum d’initiative partagée (RIP).
©LUDOVIC MARIN / AFP

Crise démocratique

Suite à la seconde censure du projet de référendum d’initiative partagée, les citoyens devraient lancer leur propre référendum par voie électronique.

Gilles Mentré

Gilles Mentré est président d’Electis, et conseiller métropolitain (Paris XVIème) du Grand Paris. Il est l’auteur de Les deux pouvoirs : la démocratie directe au secours de la démocratie représentative (Gallimard, 2024) et de Démocratie – Rendons le vote aux citoyens (Ed. Odile Jacob, 2021).

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Le conseil constitutionnel vient de censurer une seconde fois le projet de référendum d’initiative partagée (RIP) déposée par des parlementaires. Cette décision nous frappe davantage encore que la première, car le second projet était sensé mieux correspondre au texte constitutionnel. Il faut se rendre à l’évidence, le RIP ne peut être utilisé pour annuler une loi. Y recourir, c’est prendre le risque de contempler la sœur du Corse dans Astérix : quelle que soit la question posée, on a toujours tort. Si le projet de RIP est déposé avant que la loi ne soit promulguée, alors il est censuré au motif qu’il ne change rien au droit. Et s’il est déposé après qu’elle a été promulguée, alors le Conseil jugera qu’un référendum ne peut se tenir sur une loi qui vient d’entrer en vigueur. Des deux côtés la porte est fermée.

Et pourtant, nous sommes deux Français sur trois à soutenir l’idée que la procédure législative n’a pas épuisé le débat sur les retraites et qu’un référendum est nécessaire. Face au rejet du texte par l’opinion et les syndicats et l’absence de vote à l’Assemblée nationale, nombreux sont ceux qui estiment que le mandat qu’Emmanuel Macron a reçu sur ce sujet lors de l’élection présidentielle doit être revalidé. Puisque les dernières élections législatives n’a pas fait apparaître de majorité, recréons-en une, sur ce sujet au moins, grâce à la démocratie directe.

Le problème est que le référendum en France porte mal son nom car il demeure obstinément plébiscitaire. La Constitution ouvre au seul Président de la République la possibilité, souvent utile, parfois dangereuse, d’en appeler directement aux électeurs. Si ceux-ci souhaitent eux-mêmes contester une loi, alors aucun instrument n’existe. Le Parlement reste maître jusqu’au bout de son œuvre. Quand bien un autre projet de RIP, mieux rédigé, aurait passé les fourches caudines du Conseil constitutionnel, quand bien même il aurait recueilli les 4,8 millions de signatures possibles, alors le texte serait revenu devant le Parlement qui aurait encore pu décider de se saisir du sujet et de délibérer par lui-même.

Plusieurs démocraties connaissent pourtant un référendum abrogatif sans sombrer dans l’anarchie ou le populisme. En Suisse ou dans plusieurs Etats de l’Ouest américain dont la Californie, les citoyens disposent d’un droit de véto immédiat sur toute loi votée par le Parlement, conduisant à une suspension de celle-ci le temps que le référendum soit organisé. Il s’agit d’une pratique active, avec plus d’un référendum abrogatif par an en moyenne en Suisse depuis son instauration en 1874, conduisant dans 40% des cas au retrait de la loi. En Italie, un référendum d’initiative populaire permet de revenir sur toute loi déjà votée. La participation doit être d’au moins 50% pour qu’il soit adopté, ce qui conduit à des rejets très rares (un seul référendum ayant abouti depuis 1995).

Il est urgent de réfléchir à l’introduction d’un référendum abrogatif en France sur ces modèles. Le nombre de signatures nécessaires, autour de 1% dans tous les exemples précédents, ne peut être aussi élevé que le seuil aujourd’hui fixe pour le RIP – rappelons qu’Emmanuel Macron s’était engagé à le réduire à un million. Entre la Suisse et les Etats-Unis qui ne fixent pas de quorum, et l’Italie qui en impose un très élevé, une participation minimale autour de 25% de l’électorat pourrait être exigée. S’il n’est pas réuni, c’est la preuve que le référendum n’était pas assez largement souhaité. Un tel dispositif, maîtrisé, permettrait une respiration démocratique nécessaire lorsque les représentants s’éloignent trop de leurs représentés – comme aujourd’hui avec la loi sur les retraites.

Mais faut-il attendre ce changement constitutionnel ? Les opposants à la réforme devraient organiser sans attendre, et par eux-mêmes, la consultation qu’attendent les Français. Celle-ci n’aura pas de valeur juridique, mais son poids politique serait sans commune mesure avec les sondages d’opinion, toujours sujets à interprétation, ou les comptages de manifestation, eux aussi incertains et ne représentant qu’une partie de l’électorat.

Des solutions technologiques existent. Sans avoir besoin de recourir aux listes électorales, il peut être demandé à chaque citoyen de s’identifier en ligne à partir de sa carte bancaire ou de sa carte d’identité d’une manière garantissant le non-stockage des données. Des systèmes de vote vérifiables de bout en bout sont disponibles, permettant de recompter de manière ouverte les bulletins, comme dans un bureau de vote, et de s’assurer qu’aucune interférence extérieure n’a eu lieu. Ce vote électronique à distance est déjà utilisé en France pour l’élection des députés des Français de l’étranger, ainsi qu’au Canada, en Australie ou en Estonie pour les élections locales ou nationales. Par ailleurs, ce vote en ligne permettrait de dépasser le simple vote par oui ou non en soumettant à l’électeur des alternatives, sous forme d’un choix multiple, avec éventuellement un classement par préférence. On passerait de la simple abrogation à la contre-proposition, et le débat public s’en trouverait considérablement enrichi.

Il est temps de sortir le référendum français de ses limbes plébiscitaires. Si l’Etat ne veut pas laisser les citoyens exprimer leur refus, ceux-ci ont désormais les moyens de le faire par eux-mêmes. Les utilisateurs de trottinettes en libre-service à Paris, frustrés par un référendum qui ne leur a pas permis de voter à distance (alors qu’un tel dispositif existe pour le budget participatif), regrettent probablement de ne pas avoir organisé leur propre scrutin. Le sujet des retraites, autrement plus important, offre l’occasion d’un réveil citoyen. Notre démocratie a passé l’âge de demander à l’Etat la permission de voter.

Gilles Mentré est président d’Electis, et maire-adjoint du XVIème arrondissement de Paris. Il est l’auteur de Démocratie – Rendons le vote aux citoyens (Ed. Odile Jacob, 2021).

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