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Police du quotidien : le grand flou derrière le discours d’Emmanuel Macron
©Reuters

Défi

Dans son discours sur la sécurité du 18 octobre, Emmanuel Macron a reparlé d'une de ses grandes promesses de campagne : la police de sécurité du quotidien (PSQ). Un grand défi du quinquennat dont on sait encore peu de chose. Mise au point.

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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Atlantico : La conférence sur la sécurité du 18 octobre était consacrée  à l'une des grandes promesses de campagne du président Macron : la police de sécurité du quotidien (PSQ), prévue pour le début 2018. Selon le président, il ne s'agit pas du "retour à la police de proximité", quelle serait alors la fonction de cette police ? A quoi peut-on s'attendre ?

Xavier Raufer : Qu'à entendu d'heureux le criminologue dans les propos du président Macron ? Que "les Français ne supportent plus l'impuissance publique ; que "La sécurité reste l'une de leurs préoccupations majeures" ; que "nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde", chiffon rouge agité au nez de bobo-bienséants milliardaires libertaires et leurs loufiats médiatiques ; enfin, l'urgence de "réformer [l'absurde et écrasante] procédure pénale", assurant aujourd'hui l'impunité des voyous et paralysant les forces de l'ordre.

Deux injonctions inquiètent en revanche : celle de "lutter contre les délits, les incivilités". Non M. le Président : ce qu'il faut combattre sans relâche, ce sont des crimes : homicides, braquages, agressions physiques, enlèvements, attentats. Et la différence entre un délit et un crime, le président de la République, qui "joue un rôle éminent en matière de justice" et est "le garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire" (art. 64 de la Constitution), devrait la connaître. Enfin, l'injonction de "lutter contre la ghettoïsation de certains quartiers". Or, cette mutation de quartiers et cités en ghettos est accomplie depuis parfois quarante ans. Et ces ghettos, il faut désormais les récupérer pour les rendre au droit commun.

Cela nous amène à une PSQ - dont à vrai dire, on ne sait pas grand chose de plus depuis la conférence présidentielle, sauf qu'elle devrait résoudre l'essentiel des problèmes précités, sans être le copier-coller de la police de proximité de Jospin-Joxe. Au delà des effectifs et des moyens, importants, que sera la philosophie de cette PSQ ? Quel diagnostic en aurait établi l'utilité et dessiné les perspectives ? Mystère. Attendons le concret pour en juger.

Ne risque-t-on pas de voir se former une "inégalité de résultat" se produire ? Quels peuvent être les risques d'une telle police (Dans certaines villes, elle sera plus acceptée que dans une autre…) ?

Il y a en France 700 quartiers plus ou moins hors contrôle (selon les policiers experts), une centaine étant même "en sécession", terme terrible dont usa jadis M. Michel Vauzelle, alors président de la région PACA, pour désigner les quartiers nord de Marseille. De plus, l'essentiel du crime au quotidien en France émane de bandes organisées (racailles du pourtour des métropoles, clans nomades criminalisés de la France péri-urbaine et rurale) coupables ensemble de sans doute 70% des trafics de stupéfiants, cambriolages et braquages ; tout ce qui, jour après jour, pourrit la vie des Français. 

Au centre de ces bandes, des noyaux durs de "criminels d'habitude" (comme disait la criminologie du XIXe siècle) : 3 000 à 4 000 individus en France métropolitaine, selon notre base documentaire. Quelle sera l'effectivité de la PSQ sur le ciblage-démantèlement de ces bandes, sur la mise de ces bandits endurcis hors d'état de nuire ? Les policiers de terrain ont de gros doutes - et les criminologues aussi. 

Car, comme dit maintes fois, l'outil crucial pour cette tâche est un service ramassé, proactif et dynamique de renseignement criminel, à présent inexistant. Sans lui, comment rétablir (par exemple) l'ordre dans des coupe-gorge comme la Grande Borne, le Clos Saint-Lazare ou (à Paris même) Curial-Cambrai ?

Le ministère de l'Intérieur doit subir une réduction de son budget, 525 millions d'euros cette année, mais souhaite engager des effectifs supplémentaires ; ce dans un contexte où les policiers déplorent leurs conditions de travail : n'y a-t-il pas un paradoxe à vouloir créer une telle police ? Comment peut-elle s'inscrire dans le budget du ministère ? Qui pourrait payer le prix de l'arbitrage ?

L'appareil d'Etat français est le second plus ancien du monde ; depuis la fin de l'empire chinois en 1911, seul le Saint-Siège est plus vieux que le nôtre. Cet appareil que les libéraux critiquent étourdiment, est certes peu rapide, mais efficace. Sa pratique est connue : le sommet de l'Etat décrète une priorité et lentement, plutôt rouleau compresseur que Ferrari, il s'ébranle. Doté de la bonne doctrine, des bonnes instructions, des bonnes cibles, cet appareil peut s'emparer du problème de la sécurité au quotidien des Français. Commencer par rétablir le continuum entre le maintien de l'ordre public et une justice qu'aujourd'hui (merci Mme Taubira) les voyous méprisent et moquent ; cibler les quartiers hors-contrôle et les bandes criminelles (sédentaires ou nomades). En un an, l'appareil d'Etat peut diviser par deux les formes les plus prédatrices de criminalité : une fois encore, homicides, cambriolages, enlèvements, agressions, attentats. Le président Macron le veut ans doute. Le pourra-t-il ? A voir.

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