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+60% d'accros au smartphone dans le monde : c’est grave docteur (ou juste pratique) ?
©Reuters

Forfait épuisé

L'utilisation intensive des smartphones est venue peu à peu changer radicalement les habitudes des personnes. Utilisés à la fois comme téléphone portable tout simple et comme nouvel ordinateur portable, leur utilisation frénétique vient révéler des angoisses et une peur de la solitude présente chez une vaste majorité de gens.

Michael Stora

Michael Stora

Michael Stora est l'auteur de "Réseaux (a)sociaux ! Découvrez le côté obscur des algorithmes" (2021) aux éditions Larousse. 

Il est psychologue clinicien pour enfants et adolescents au CMP de Pantin. Il y dirige un atelier jeu vidéo dont il est le créateur et travaille actuellement sur un livre concernant les femmes et le virtuel.

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Atlantico : Une récente étude conduite par Yahoo montre une progression de 60% en 1 an de l'utilisation intensive des smartphones chez les consommateurs. Les avancées technologiques sont-elles les seules explications à une utilisation toujours plus régulière d'un smartphone ? Quels autres facteurs sont en jeu ?

Michel Stora : Au fond la technologie est surtout un révélateur de nos nouvelles manières de travailler, de gérer notre vie privée, et vient révéler et amplifier des phénomènes avant tout psychologiques qui montrent à quel point notre rapport au smartphone devient avant tout un rapport compulsif. Le smartphone a désormais un usage qui dépasse celui du téléphone, c’est devenu un véritable ordinateur personnel. Il permet de gérer sa vie professionnelle, surtout dans le secteur tertiaire, majoritaire dans notre pays. Il va parfois permettre de manière un peu inquiétante à abolir la fameuse frontière entre vie privée et vie professionnelle. Ce même smartphone permet de répondre à sa famille mais aussi à son patron. Il va aussi avoir une fonction parfois plus "inutile", pouvoir jouer à des jeux pour passer le temps, mais aussi obtenir les récompenses nécessaires que l’on n’obtient pas nécessairement dans sa vie privée. De pouvoir avoir, en lien avec la confiance en soi, d’avoir une sorte d’audimat intime, qui va faire que l’on va voir le nombre de commentaires suite à un post sur Facebook, voir si notre tweet a été retweeté. Tout cela montre à quel point l’individu est révélé dans sa fragilité, ce que nous appelons la fragilité narcissique. Le téléphone va venir colmater des profondes angoisses, qui sont celles d’être seul.

Que recherche l'utilisateur intensif d'un smartphone ? Que viennent nous apporter les smartphones ? Au contraire, qu'y perd-t-on ?

C’est une sorte de gain de temps bien sûr, on peut assimiler certains frontières, quand j’envoie un sms, dans l’idéal, je souhaite que l’autre me réponde. Cela peut servir de mémoire affective, les sms, les mots d’amour, les photos que l’on garde et que l’on revoit à certains moments. Cela vient peut-être remplir un vide dans lequel on peut être A ce moment-là, les smartphone peuvent devenir des doudous sans fil. Et vous savez à quoi servent les doudous, à faciliter la séparation entre la mère et l’enfant. Il ne s’agit pas uniquement de la mère dans la vie des adultes, cela peut être l’autre, il ne s’agit pas d’une addiction au téléphone en lui-même, mais à l’autre, cet objet-là devient une sorte de médiateur entre soi et l’autre. Et cela montre à quel point on a besoin d’exister dans le regard de l’autre.

Quel usage faisons-nous des smartphones hors usage professionnel ? A-t-on perdu l'habitude de se sentir seul ou d'être seul ? Cette utilisation frénétique compense-t-elle la solitude que l'on cherche à fuir ?

Oui, on se demande à quel point le nombre de fois que l’on va allumer son portable ne serait pas révélateur d’un moment où l‘on veut éviter de se retrouver seul face à soi-même, ou même de penser. De penser à certaines choses qui peuvent être désagréables. Et c’est vrai que l’évitement, l’échappatoire, que va être ce téléphone va permettre de ne pas penser à certaines choses. La fonction de l’addiction est aussi une fonction d’éviter de penser. Après, il y a quelque chose de tout à fait étonnant, les smartphones sont des écrans tactiles, d’un point de vue sensoriel et le lien que l’on peut faire avec la capacité à être seuls : il y a des sensorialité du toucher, du goûter et du senti qui nous renvoie à une relation très proches à l’autre, c’est une sensorialité proximale. D’autre visions, la vision et l’audition nous renvoie à quelque chose de très lointain, à la distance. Au fond, toucher l’image, c’est le principe même du tactile, serait une manière étonnante de combler cette distance. Le smartphone c’est avant tout des images, que l’on voudrait toucher. On veut la faire défiler, la maîtriser. On voit bien ici que c’est un révélateur de la capacité à être seuls, car ce n’est pas parce que l’on est seul derrière son écran que l’on se sent seuls.

Cette utilisation quasi addictive ne laisse plus aucune place aux temps morts, à la réflexion ou simplement à l'ennui. Que cherche-t-on à venir combler ? 

Comme je l’ai dit, je pense que derrière nous sommes dans des problématiques de séparation, qui est une des inquiétudes les plus anciennes. Certains vont même jusqu’à dire que la première du traumatisme de séparation, c’est la naissance… Mais notre vie n’est faite que de séparation et de deuils successifs. Rentrer à l’école, quitter chez soi, ses enfants, son amoureuse. Tout cela va renvoyer à cette incapacité à se sentir libre lorsqu’on est seuls. Maintenant, on peut aussi, et il est intéressant de se dire qu‘on a le droit d’avoir des espaces inutiles, comme le jeu, qui finalement sont des moments de récréations. Dans cette société qui a tendance à être dans la tyrannie de la performance à tout prix, ça peut être intéressant de perdre son temps sur son téléphone. Après, là où ça devient inquiétant, c’est quand on se rend compte que le téléphone, au-delà de nous éviter de penser, va nous empêcher d’être en relation avec nos proches, et peut venir révéler un dysfonctionnement psychologique chez la personneperformance. 

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