Plongée dans les coulisses du plan patient de la droite pour reconquérir son électorat agricole <!-- --> | Atlantico.fr
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François-Xavier Bellamy et Céline Imart lors de leur visite au Salon, ici avec Eric Ciotti, répondent à l’apostrophe des agriculteurs de la Coordination rurale. (Crédit : Antoine Jeandey / DR)
François-Xavier Bellamy et Céline Imart lors de leur visite au Salon, ici avec Eric Ciotti, répondent à l’apostrophe des agriculteurs de la Coordination rurale. (Crédit : Antoine Jeandey / DR)
©DR / Antoine Jeandey

Salon de l'agriculture

Dans les allées du Salon de l’agriculture, l’argument du sérieux et du savoir-faire fait l’unanimité chez les élus ou candidats de la droite républicaine, dans l’objectif de refaire naître leur « électorat naturel ».

Une observation fine de l’accueil des politiques au Salon de l’agriculture donne un aperçu « grandeur nature » de l’accueil fourni aux uns et aux autres par les agriculteurs déjà, et par prolongement par le monde rural. Ce segment électoral a longtemps été l’apanage, dans sa majorité, de la droite républicaine. Avant d’être bousculé, puis détrôné, à sa gauche par la Macronie, et à sa droite par le FN (le RN aujourd’hui). Cela s’est senti aussi au Salon de l’agriculture, l’applaudimètre ne vibrant plus vraiment pour les visiteurs de cette tendance, depuis le passage de François Fillon en 2017. Ce jour-là, le candidat à la Présidentielle avait failli jeter l’éponge devant les accusations qui s’accumulaient contre lui, puis avait fait volte-face justement au Salon de l’agriculture, provoquant un enthousiasme des plus stimulants, dont il a bénéficié ensuite pour n’échouer finalement que de peu pour le second tour quelques semaines plus tard. Depuis, aucun homme (ou femme) politique de ce segment n’a réussi vraiment à montrer une adhésion populaire dans les allées de la Porte de Versailles.

Selon le politologue Eddy Fougier, il est « désormais très difficile de connaitre le vote agricole avec précision : le nombre d’agriculteurs a baissé si significativement qu’il ne représente plus un segment représentatif pour les instituts de sondage ». Pour autant, il reste « caractérisé par trois éléments d’ordre général : 1. C’est l’une catégorie socioprofessionnelle qui vote le plus. 2. Vote majoritairement conservateur. 3. Vote davantage pragmatique que protestataire. » Le « pragmatique » en question peut expliquer le seul sondage qui existe, commandité par la Fnsea, sur les intentions de vote au premier tour de la dernière présidentielle (en 2022 donc), qui plaçait Emmanuel Macron largement en tête avec 30 %, Valérie Pécresse en deuxième position mais talonnée par Eric Zemmour et Marine Le Pen (13, 12 et 11 %). En d’autres termes, le vote agricole n’est plus acquis par la droite républicaine, il a basculé en partie chez Emmanuel Macron mais semble surtout s’éparpiller. Et est donc susceptible de changer à nouveau. Et même avec la baisse des agriculteurs, leur influence sur le vote rural était évaluée jusqu’à 3 millions de personnes (actifs, retraités agricoles, salariés agricoles, mais aussi conjoints et conjointes et membres de la famille) en 2011 (dernière étude connue en la matière), soit plus de 6 % du corps électoral de 2017, toujours selon Eddy Fougier. 

Élections européennes, de la survie au tremplin ?

Ces données sont évidemment connues de nos politiques. L’édition 2024 du Salon montre une nouvelle évolution. On ne peut certes pas parler de renversement de tendance, plutôt d’un frémissement. Du commencement de quelque chose. Si les médias ont choisi de montrer quasi in extenso les visites d’Emmanuel Macron et de Jordan Bardella, entrainant de fait (comme à chaque fois avec les caméras) une foule de badauds (en plus des manifestants), la visite de François Xavier-Bellamy et de sa colistière Céline Imart est passée moins inaperçue qu’on n’aurait pu le pronostiquer. Les numéros 1 et 2 de la liste LR aux prochaines européennes, le plus souvent nantis d’Eric Ciotti ou encore d’Olivier Marleix, ont passé une journée du lundi 26 février sans le moindre temps mort, pris entre une dizaine de rendez-vous prédéfinis dans différents stands (ça, c’est « normal »), mais aussi dans chaque déplacement par des questionnements ou des messages de sympathie. 

Encore une fois, on n’en est pas au concert de klaxons. Cependant, depuis 2017, on n’avait pas ressenti l’éveil d’un quelconque intérêt envers des personnalités de la droite républicaine, (en dehors de soutiens localisés, par exemple pour les présidents de régions). Et s’il se passait quelque chose ? François Xavier Bellamy explique sa stratégie électorale : « D’un côté, il y a la comm’, les chaines de télévision d’information en direct axées uniquement sur Emmanuel Macron et Jordan Bardella. Nous, au Parlement européen, nous sommes dans le concret. Ne me posez pas la question à moi, mais demandez aux agriculteurs, eux ils savent ce que nous faisons. » En d’autres termes, face à la démonstration médiatique du camp au pouvoir et de celui qu’il désigne comme son principal adversaire, la droite républicaine oppose une compétence et du concret. Sans chercher la surenchère de communication pour les faire valoir, mais en tablant sur le fait que cela ne peut que se remarquer sur le terme... 

De son côté, Céline Imart est connue depuis longtemps dans le microcosme agricole. La vidéo Youtube datant de 2014 de son passage sur une scène TEDx, où elle expliquait avec clarté ce qu’est l’agriculture en France, dépasse allégrement les 500 000 vues et fait toujours référence aujourd’hui. Depuis, Céline Imart est passée par la case syndicale (elle a été vice-présidente des Jeunes Agriculteurs) et son engagement chez LR, qui plus est comme colistière de François Xavier Bellamy, vient d’être révélé. Avec ses propres mots, et interviewée séparément, elle reprend le même thème que François Xavier Bellamy. À la question « comment la droite républicaine, que vous représentez désormais, peut-elle reconquérir l’électorat agricole ? », elle répond : « Nous, nous ne sommes pas dans la comm’. Les résultats obtenus par toute l’équipe sont visibles de tous, c’est le meilleur argument. » 

À travers ces petites phrases recueillies chez les candidats LR à l’élection européenne, on comprend que le processus est en cours, mais aussi qu’il peut prendre du temps. À l’ère de l’immédiateté, de l’image virale dans une position ridicule qui fait le buzz sur le net, argumenter à travers des compétences apportant des résultats apparait presque illusoire. Pour autant, malgré la lenteur du chemin arpenté, à bien y regarder, en particulier dans la période compliquée que traversent les agriculteurs actuellement, il correspond à une attente. Et c’est peut-être cette attente qui donne cette impression de frémissement favorable que j’évoquais plus haut. 

Comment cela va-t-il se traduire dans les urnes ? La liste LR aux élections européennes a deux enjeux de survie. Le premier, dépasser les 5 % pour avoir des élus. Le second, ne pas être relégué pour la deuxième fois après la présidentielle derrière le parti d’Éric Zemmour, conduit en l’occurrence par Marion Maréchal. Le troisième objectif consiste à poser la première pierre d’un avenir chargé d’espoirs pour l’ensemble de ce camp électoral... 

« Les agriculteurs ? Il ne faut pas leur mentir ! » (Xavier Bertrand)

... Des espoirs, trois visiteurs du mercredi (28 février) en ont, et commencent à poser des jalons pour la présidentielle de 2027. 

David Lisnard a déjà jeté les bases d’un programme agricole (ligne directrice : responsabiliser l’agriculteur, mais au sens entrepreneurial du terme, pas en le rendant « responsable » du respect de normes en inflation continue) qu’il enrichit au fil des années. Au Salon, il partage ses idées avec différents interlocuteurs, responsables de filières, syndicaux... 

Laurent Wauquiez se montre très solide... Avec sa région Auvergne Rhône Alpes, où il semble effectivement plébiscité. 

Xavier Bertrand a aussi ses inconditionnels pour sa région, les Hauts de France. Il y développe d’ores et déjà un positionnement offensif pour la reconquête de l’électorat agricole : « Les agriculteurs, il ne faut pas leur mentir. Si on leur promet de ne pas signer les accords du Mercosur, alors il faut dans la foulée ouvrir des tractations avec les autres pays européens pour obtenir ce rejet. » Sous-entendu, la critique du « en même temps » présidentiel, la promesse d’un côté, et l’impossibilité de la tenir de l’autre. « Moi, dans ma région, je suis dans le concret. » Donc pas dans la promesse. Précisant notamment où il en est de son engagement de trouver des solutions face aux crues à répétition : « Pour le curage des fossés, j’avance. Sous deux aspects. Les travaux ont commencé [sous-entendu : de la part des services régionaux sur lesquels il a la main], et les demandes sont formulées sur le plan administratif même si c’est plus long [pour autoriser soit des collectivités soit des agriculteurs à curer eux-mêmes les fossés]. » 

Du concret face aux promesses pour Xavier Bertrand, cela rejoint le travail sérieux face à la comm’ prôné par François Xavier Bellamy et Céline Imart.De tous côtés, la droite républicaine joue la carte du savoir-faire face aux paillettes et à l’instantané. C’est cela, son plan patient pour reconquérir le vote agricole. 

Antoine Jeandey

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