Plongée au coeur du patrimoine immobilier considérable de l’institution des Pieux Etablissements de la France à Rome et à Lorette<!-- --> | Atlantico.fr
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Michel Turin a publié « Sacré business L'incroyable marché des biens immobiliers du clergé » aux éditions Robert Laffont.
Michel Turin a publié « Sacré business L'incroyable marché des biens immobiliers du clergé » aux éditions Robert Laffont.
©Alberto PIZZOLI / AFP

Bonnes feuilles

Michel Turin publie « Sacré business L'incroyable marché des biens immobiliers du clergé » aux éditions Robert Laffont. Plus de cent ans après la séparation de l'Eglise et de l'Etat, cette enquête expose la réalité du patrimoine immobilier du clergé en France. Les biens de l'Eglise n'ont jamais suscité autant de fantasmes et de convoitises. Extrait 2/2.

Michel Turin

Michel Turin

Michel Turin a été dix ans journaliste aux Échos, et chroniqueur économique à Radio Classique. Il est l’auteur de La Planète Bourse (« Découvertes Gallimard », 1993), Le Grand Divorce – Pourquoi les Français haïssent leur économie (Calmann- Lévy, 2006), Prix de l’Excellence Économique, et Profession Escroc (François Bourin Éditeur, 2010).

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« Voyons-nous aux Pieux ! » Quand deux membres de la petite communauté française de Rome se téléphonent pour se donner ainsi rendez-vous, il n’y a, pour l’un comme pour l’autre, pas matière à quiproquo. Il s’agit tout simplement de se retrouver en tout bien tout honneur au 12 de la Via Santa Giovanna d’Arco. C’est l’adresse des Pieux Établissements de la France à Rome et à Lorette, une structure inclassable qui gère les églises françaises et des immeubles alentour de la capitale italienne.

Les Pieux, comme on les appelle familièrement, sont propriétaires de l’autre côté des Alpes d’un patrimoine immobilier religieux insoupçonné. Institution héritière des œuvres pieuses d’origine française existant à Rome et à Lorette depuis le Moyen  Âge, cette fondation est porteuse d’une histoire incroyable. Les premières communautés constituées de Français, clercs ou laïcs, résidant à Rome ont été créées à l’époque carolingienne. Bretonnes, lorraines, francs-comtoises ou françaises, ces confréries possédaient chacune une église et disposaient de locaux capables d’accueillir aussi bien les malades et les pauvres de la colonie que les pèlerins. Ces derniers disposaient ainsi, lorsqu’ils se rendaient à Rome, de points de chute à côté de « leurs » églises, dans lesquels ils pouvaient séjourner gratuitement trois jours après être allés par monts et par vaux. Il fallait alors douze jours pour relier à cheval la Bretagne à la ville éternelle. À Rome, les pèlerins se regroupaient par origine géographique autour d’églises dites « nationales » qui les hébergeaient, les soignaient et les nourrissaient. Celles-ci se sont constitué au fil des siècles des patrimoines immobiliers grâce aux dons qu’elles recevaient de la part des pèlerins. Ayant eux-mêmes été bien traités, ils souhaitaient que d’autres arrivants puissent être à leur tour tout aussi bien accueillis.

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Sous l’Ancien Régime, ces confréries nationales et leurs églises ont eu une existence et une gestion distinctes. Après la Révolution française, elles ont perdu leur autonomie. Le pape Pie VI, par un bref pontifical de 1793, a réuni en une seule administration les différentes fondations et institutions constituées grâce aux dons et aux legs des pèlerins. Le pontife a chargé le cardinal de Bernis, qui avait été ambassadeur de France auprès du Saint-Siège pendant vingt-cinq ans, d’administrer les différentes fondations. Il a alors été nommé « Visiteur apostolique de tous les établissements dans Rome et dans l’État ecclésiastique ». Napoléon a donné, après la campagne d’Italie, l’instruction suivante au cardinal Fesch, son oncle, ambassadeur à Rome  : « L’un des premiers soins de Votre Éminence sera de protéger les fondations religieuses dont la France jouit à Rome. » Ainsi sont nés les Pieux Établissements de la France à Rome et à Lorette. « Pieu » est la traduction française de pie qui signifie en italien « charitable ». Quand l’Italie est entrée en guerre contre la France en 1940, les Pieux ont été placés sous séquestre. Celui-ci a été levé en 1943, après que le Saint-Siège est intervenu pour rétablir la fondation dans ses possessions immobilières.

Les Pieux se sont ainsi retrouvés, plus de deux siècles après leur création, propriétaires d’un étonnant patrimoine immobilier, composé d’édifices religieux et d’immeubles. La fondation possède les cinq églises « nationales » françaises de Rome : Saint-Louisdes-Français, entre le Panthéon et la place Navone ; La  Trinité-des-Monts, dominant la place d’Espagne ; Saint-Nicolas-des-Lorrains et Saint-Yves-des-Bretons, près de la place Navone ; Saint-Claude-des-FrancsComtois-de-Bourgogne, entre la Chambre des députés et la place d’Espagne. Les cinq édifices sont tous magnifiques, mais certains le sont plus que les autres, et pas seulement parce que leur architecture est admirable : Saint-Louis-des-Français, par exemple, renferme un fabuleux triptyque du  Caravage, qui raconte l’histoire de saint Matthieu. L’ensemble, dans une chapelle latérale, est épouvantablement mal éclairé.

Les Pieux détiennent également un parc locatif considérable : 141 appartements, 27  bureaux et 12  commerces, parmi lesquels la pharmacie du Sénat ou le restaurant Camilleri, en face de la villa Médicis. Les Pieux détiennent par ailleurs un petit immeuble à Lorette (d’où leur nom complet), la Chapellerie nationale de France dans le centre-ville, et quelques hectares de terres dans les Marches italiennes. La jolie petite ville de Lorette est située dans la province d’Ancône, sur la côte adriatique, à environ 200  kilomètres de Florence, au sud-est, et autant de Rome au nord-est. La fondation est propriétaire de près de 21 000 m2, toutes superficies confondues, d’une valeur estimée à 250 millions d’euros. Les immeubles des Pieux situés autour de chaque église nationale sont des immeubles de rapport  : les locataires sont publics ou privés. Plusieurs étages d’un bâtiment appartenant à la fondation sont occupés par les bureaux de l’ambassade de France à Rome, qui abrite également le centre culturel français ainsi que les bureaux de l’ambassade de France auprès de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et la délégation militaire auprès de l’ambassade. Les loyers perçus par les Pieux s’élèvent chaque année à 5,5 millions d’euros. Les revenus locatifs servent à entretenir les communautés religieuses qui desservent les cinq églises et les églises elles-mêmes, ainsi que les immeubles.

Les contours des possessions immobilières de la fondation sont relativement faciles à dessiner. Il en va tout autrement de leur statut  : les Pieux sont un ovni juridique. Une sénatrice représentant les Français établis hors de France, s’intéressant à la question, a interrogé le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères. La réponse de celui-ci établit des distinguos plus que subtils : « Le statut des Pieux Établissements résulte donc d’un enchevêtrement juridique qui en fait un système sui generis. Ils n’appartiennent pas à une catégorie juridique reconnue par le droit italien (ni en tant qu’association, ni en tant que fondation, ni en tant qu’organisation internationale). Même s’ils sont sous une double tutelle (de la France sur le plan temporel, du Saint-Siège sur le plan religieux), les Pieux Établissements relèvent du droit privé italien  : en effet, le siège et le patrimoine des Pieux sont sur le territoire italien et aucun texte ne fonde une quelconque extraterritorialité. Leurs biens sont inscrits au cadastre italien. Les litiges éventuels sont portés devant les tribunaux italiens. Les salariés des Pieux Établissements ont des contrats de droit italien. » L’imbroglio juridique maximal dans lequel vivent les Pieux est merveilleusement décrit dans Le Monde par un ancien ambassadeur de France près le Saint-Siège qui dit drôlement : « Les Pieux ne sont ni de droit français, ni de droit italien, ni de droit du Vatican, peut-être de droit divin, mais ce n’est pas sûr. »

Les Pieux tirent des avantages considérables du grand flou juridique dans lequel ils évoluent. « Tout ce qui dépend des Pieux Établissements bénéficie du privilège d’extraterritorialité », rappelle François de Coustin, historien, familier de la ville. Dans les années 1950, Rome a voulu rendre le parking payant dans les rues situées autour de l’église de La  Trinité-des-Monts. Les Pieux ont refusé, invoquant le fait que la chaussée leur appartenait. Et ils ont obtenu gain de cause. La fondation ne paye aucun impôt, étant aussi exemptée de la taxe foncière, de quoi faire rêver tous les propriétaires d’immeubles de France et de Navarre et… d’Italie. Les Pieux ne comptent en tout et pour tout que deux salariés permanents. Il n’y a pas si longtemps encore, ils étaient payés de la main à la main, recevaient des enveloppes remplies de billets de 50 euros. Considérées comme des monuments historiques français, les cinq églises reçoivent des subventions de l’État français pour leur entretien. En somme, les biens immobiliers des Pieux sont des biens religieux français, sur lesquels l’Église de France n’a pas son mot à dire. Les services administratifs des Pieux Établissements de la France à Rome et à Lorette, quand ils sont interrogés, s’empressent de préciser que « le patrimoine des Pieux n’appartient aucunement à l’Église de France ». Bref, les Pieux dépendent de l’Hexagone sans en dépendre et leurs biens immobiliers sont des biens d’Église français sans en être tout à fait.

Extrait du livre de Michel Turin, « Sacré business L'incroyable marché des biens immobiliers du clergé », publié aux éditions Robert Laffont

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