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Peut-on rire des juifs ?
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Bonnes feuilles

Peut-on rire... du physique des gens, du malheur des autres, des pauvres, des riches, des vieux, des jeunes, des arabes, des juifs, des politiques, des autres, de soi-même, du pape... ? Extrait de "Peut-on rire de tout ?" (1/2).

Philippe  Geluck

Philippe Geluck

Philippe Geluck est l’héritier de l’humour noir et iconoclaste de ses maîtres (Siné, Cavanna, Choron, Gébé, Chaval…). Il a créé Le Chat en 1983, mais aussi Lollipop, Docteur G, Le Jeu des Dictionnaires et La Minute du Chat. Ses derniers livres, Geluck enfonce le clou (2011) et Le Chat erectus (2012) ont été des best-sellers.

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Ah, ça, c’est très différent. On ne peut pas rire des Juifs si c’est de l’antisémitisme, mais autrement, on en a le droit. Et voilà toute la difficulté. Où se situe la limite ?

Si celui qui fait la plaisanterie n’est pas soupçonnable du moindre sentiment antisémite, alors, il peut à peu près tout se permettre. Par exemple, s’il est lui-même rabbin. Par contre, lorsque la « plaisanterie » est proférée par un militant d’extrême droite, un catholique intégriste ou le président Ahmadinejad, elle risque très vite d’être mal interprétée par la communauté juive.

– Tu vois, me disait récemment un ami juif, le type qui dit que les Juifs ont des grands nez et des gros yeux, eh bien, ce type c’est un antisémite.

–– Mais, lui répondis-je, en le regardant droit dans ses gros yeux situés à la base de son énorme nez, toi-même, on ne peut pas dire que tu aies un physique neutre.

Et il éclata de son bon gros rire de Juif avant de me dire : – Mais toi, tu peux. Je sais que tu es insoupçonnable !

– Et comment le faire savoir aux autres ? Je ne porte aucun signe distinctif m’autorisant à plaisanter sur les Juifs.

– Quoi, tu voudrais qu’on te couse sur la veste un badge certifiant ta bonne foi ? Un badge jaune, par exemple, pour que ça se voie bien ?

– Arrête, t’es con.

– Je conçois que ça doit être très embarrassant pour vous, les goïs, d’arriver à rire de nous avec la crainte perpétuelle de vous prendre un procès de la Licra sur le dos.

– Tu sais, moi qui suis belge, j’ai beaucoup souffert des blagues dégradantes que les Français racontaient sur nous.

– Tu ne peux tout de même pas comparer ! Vous n’avez pas eu six millions de Belges exterminés dans les camps.

– Pas six millions, mais vingt-cinq mille.

– Je ne te crois pas.

– Si, vingt-cinq mille Belges, de confession juive.

– Ah tu vois, c’étaient des Juifs.

– Ils étaient belges.

– Oui, mais ils n’ont pas été déportés parce qu’ils étaient belges, mais parce qu’ils étaient juifs.

– Oh, tu sais, juif ou belge, c’est un peu la même chose. Les Belges, à eux aussi, on leur a fait le coup de la Terre promise en leur attribuant un territoire improbable situé entre la Hollande, l’Allemagne et la France au début du xixe siècle. Et maintenant, on voudrait le leur retirer. Je ne sais pas si tu te rends compte du traumatisme ? Et comble de malheur : chez nous, les Belges ashkénazes ne s’entendent pas avec les Belges séfarades. Et ils racontent de méchantes histoires belges les uns sur les autres. Et donc, chez nous, la souffrance estdouble : non seulement nous sommes rejetés par les autres, mais nous nous rejetons nous-mêmes. Et ça, personne ne le dit.

– Excuse-moi, j’ignorais.

– Désormais, tu ne pourras plus dire « Je ne savais pas ».

– J’en prends bonne note.

– Y a intérêt.

Conclusion : oui, on peut rire des Juifs, si on est juif soi-même ou si on est belge et à condition de ne pas dire qu’ils ont des grands nez, des gros yeux, des doigts crochus et qu’ils mangent des enfants. Mais si on dit d’eux qu’ils font preuve d’antinazisme primaire, qu’ils répugnent à pratiquer le Shoah l’élastique et que les enfants, après l’école, doivent faire leurs devoirs de mémoire, alors, ça va.

Il y a cependant une exception à tout ce que nous venons de dire : on peut rire des Juifs ultra- religieux, pas parce qu’ils sont juifs, mais parce qu’ils sont ultra-religieux et, donc, ultraénervants. Ce sont ces malades qui tondent le crâne de leurs femmes (même pas parce qu’elles ont couché avec un Allemand) et ne leur font l’amour qu’à travers un trou dans un drap, pauvres cons. La seule chose qu’on peut leur laisser, au moins, c’est qu’ils ne veulent pas imposer leurs tocades à la terre entière, et ça, c’est plutôt sympa. Sauf que leur guignolerie, ils l’imposent à leurs enfants et ça, c’est moche. Je rappelle juste que tous les êtres humains naissent égaux en droits et en devoirs et qu’est-ce qui donne le droit à un père dérangé de déranger sciemment l’esprit malléable d’un môme qui n’a rien demandé à personne, le pauvret ?

Extrait de "Peut-on rire de tout ?", Philippe Geluck (JC Lattès éditions), 2013. Pour acheter ce livre,cliquez ici.

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