Petit bilan des libertés publiques pendant un quinquennat Macron percuté par des crises exceptionnelles <!-- --> | Atlantico.fr
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Alors que s’achève le mandat d’Emmanuel Macron, quel regard pouvons-nous porter sur ses actions en matière de libertés publiques ?
Alors que s’achève le mandat d’Emmanuel Macron, quel regard pouvons-nous porter sur ses actions en matière de libertés publiques ?
©PASCAL ROSSIGNOL / POOL / AFP

Démocratie

Le quinquennat d’Emmanuel Macron aura été marqué par des crises politiques et sanitaires et des tensions lors des manifestations, notamment lors du mouvement des Gilets jaunes. Les défenseurs des libertés publiques pointent du doigt l’action d’Emmanuel Macron et certaines lois, accusées de mettre à mal nos libertés, voire d’être liberticides.

Frédéric Mas

Frédéric Mas

Frédéric Mas est journaliste indépendant, ancien rédacteur en chef de Contrepoints.org. Après des études de droit et de sciences politiques, il a obtenu un doctorat en philosophie politique (Sorbonne-Universités).

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  La Brède

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Collectif de hauts-magistrats, respectivement de l’ordre judiciaire et administratif, tenus au devoir de réserve

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Atlantico : Alors que s’achève le mandat d’Emmanuel Macron, quel regard pouvons-nous porter sur ses actions en matière de libertés publiques ? Quelle a été sa philosophie ? Quel est son bilan, hors crise, en la matière ?

Collectif La Brède : La critique de l’action d’Emmanuel Macron en matière de libertés publiques a été absente du débat présidentiel chez ses adversaires. Il faudra s’interroger sur cette lacune. Mais dans la continuité de François Hollande, on aura eu un Président élu par 18% du corps électoral au 1er tour de 2017, donc par une minorité, méprisant les droits de l’addition des minorités s’opposant à la sienne, par l’abus du droit qu’il en aura fait. Ce qui avait eu lieu hier, avec le mépris du million, sur l’instant, de Français manifestant pour « La Manif pour tous », s’est reproduit avec le mépris du million, cumulé, de Français manifestant pour « les Gilets jaunes » ou présentés comme « anti-vax ». Au mépris des libertés publiques (droit de manifester, liberté de consentement en santé, subordination de jouir de libertés à un « passe ») s’est ajouté le mépris des droits du Parlement. Macron aura été le recordman du recours aux ordonnances, du recours aux procédures accélérées, du recours aux votes bloqués. L’Assemblée nationale à la majorité LREM théorique aura été à la fois chambre d’enregistrement, ce qui est déjà le mépris de sa propre majorité, et chambre unique, ce qui aura été le mépris du bicaméralisme à la française, par l’indifférence au Sénat.

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Frédéric Mas : Impossible de voir le bilan d’Emmanuel Macron autrement que globalement négatif en matière de libertés publiques. Certes, ses prédécesseurs ont tracé le sillon, puisque la guerre contre le terrorisme a été en quelque sorte la matrice de toutes les menaces contemporaines, qu’elles soient sanitaire, sécuritaire, économique ou climatique. Elle a permis la normalisation de la surveillance et de l’encadrement toujours plus étroit des citoyens ordinaires par la peur et la coercition. Seulement, non seulement Emmanuel Macron en a repris la grammaire, mais il l’a perfectionné à l’occasion de la crise covid.

Il est difficile de ramener l’attitude du président de la République à une philosophie substantielle. C’est plutôt une idéologie solutionniste, cette technocratique de la fin des idéologies, qui s’est construite en piochant à droite à gauche des projets « qui marchent ». L’efficacité supposée de l’action publique pilotée par des experts prime sur l’esprit de l’état de droit, et repose sur une vision hiérarchique de la société, qui divise le monde entre administrateurs éclairés et administrés priés d’obéir. D’un côté l’élite cognitive qui incarne la raison raisonnante, de l’autre la vile multitude qu’il convient de maîtriser et d’éduquer, par la persuasion ou par la coercition.

Peut-on vraiment séparer le bilan d’Emmanuel Macron entre crise et hors crise ? Le président de la République a participé pleinement de l’hystérisation permanente du débat public en la matière pour justifier ses coups de canifs contre les libertés. Dès son arrivée au pouvoir en 2017, Macron a cherché à encadrer la parole publique au nom de la lutte contre les fake news, avec dans le rétroviseur l’élection américaine de Donald Trump.

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Cela s’est traduit par la loi Avia, finalement retoquée, mais qu’il a défendu sous une nouvelle forme au niveau européen avec le Digital Services Act. L’alarmisme climatique lui a aussi servi de prétexte pour passer au-dessus des institutions démocratiques légitimes et créer de toute pièce une improbable convention citoyenne pour le climat chargé d’adouber sa politique écologique désastreuse. On peut aussi évoquer la loi sécurité globale, dont les dispositions attentatoires à la liberté de la presse ont failli passer sous le radar à cause de la crise. En d’autres termes, en temps politique ordinaire, c’est Emmanuel Macron qui va « découvrir » des crises à surmonter pour justifier ses interventions politiques, ici au détriment des libertés démocratiques.

Le pays a été traversé par des crises, politiques, sanitaires, importantes. Celles-ci se sont accompagnées de restrictions de libertés publiques. Quelle est la part réellement imputable aux crises et nécessaire à leur gestion ? Surtout, quelle est la part de restrictions proportionnées ?

Collectif La Brède : La France au cours du mandat d’Emmanuel Macron n’a réellement traversé aucune crise politique du fait du système dévoyé de la Ve République depuis 2002, à savoir une majorité à l’Assemblée nationale asservie à l’Elysée et indexée sur sa durée -on ne peut affirmer que les départ de députés LREM ont menacé le Pouvoir- en revanche il est vrai que l’irruption de la pandémie de la covid puis l’attaque russe sur la Russie auront été de sérieuses crises exogènes. La gestion sanitaire du pouvoir aura stupéfait par le matraquage de l’empilement de lois, ordonnances et décrets, brouillon sur la méthode, et les atteintes les plus inouïes depuis la crise d’Algérie aux libertés individuelles ou collectives, liberticide sur le fond. La sidération de nos concitoyens face à cet état d’exception de deux années représentera pour longtemps ce qu’on fait de pire dans la croyance du « je cède de mes libertés en contrepartie de la sécurité par l’Etat ». L’Etat n’a rien sécurisé, face à un « vaccin » ou des « mesures barrières » d’inefficaces à peu efficaces, et la pandémie est venue comme elle repartira selon un cycle « naturel », mais pour longtemps on aura poussé le degré d’acceptation de renoncer à des droits, parfois à des droits les plus sacrés, tels les droits funéraires. Nous sommes mûrs pour d’autres « passes », de nature écologique ou sociétaux. Il n’existe plus de contrôle à ces actions liberticides de l’Etat dans la mesure où le Parlement n’est plus un pouvoir séparé, au sens de Montesquieu, et où l’expression des contre-pouvoirs juridictionnels -qui ont été sollicités (explosion des recours devant le Conseil d’Etat)- a été dévoyée par les nominations individuelles « Macron compatibles » à leur tête. L’Etat macronien n’a donc plus à craindre de personne. C’est le temps de la minorité majoritaire.

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Frédéric Mas : La réponse aux crises est toujours une question de choix politique. Choix de la stratégie à suivre, des réponses à adopter, des restrictions temporaires à apporter aux principes de l’Etat de droit, premiers en démocratie libérale. Dans le cas de la crise covid, on remarque que presque par réflexe, l’exécutif a choisi de décréter l’état d’exception, devenu par la suite état d’urgence sanitaire. Ce régime a calqué la pratique des pouvoirs publics sur celle de la gestion de guerre : confinements, couvre-feu, réquisitions, fermeture des commerces assignations à résidence sauf attestation dérogatoire. Emmanuel Macron a fait le choix de l’autoritarisme, en s’appuyant sur un conseil scientifique qu’il a lui-même désigné pour soutenir des actions prises sous le sceau du secret en conseil de défense. Bien sûr, au plus fort de l’incertitude autour de la nature du covid, la restriction de la liberté de circuler ou de commercer pouvait se justifier comme une mesure temporaire et conservatoire. Seulement les atteintes aux libertés se sont systématisées jusqu’à appliquer au citoyen un régime de semi-liberté d’ordinaire associé au domaine pénal, comme l’a très bien vu l’avocat Arié Halimi. L’esprit de la législation antiterroriste a fait ‘tache d’huile’ au-delà de son domaine pour s’appliquer au citoyen ordinaire, au pire de la crise. Plus tard, Emmanuel Macron a choisi de faire reposer sa politique vaccinale sur la discrimination et la stigmatisation des non vaccinés. Ce ne sont pas des événements météorologiques, mais des actes pris en conscience face à une situation que d’autres pays ont surmontée sans régler son pas sur celui de la Chine.

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Le choix premier d’avoir géré la crise en prenant appui sur un régime d’exception, régime d’exception qui non seulement n’a cessé d’être prolongé en deux ans et dont les principales dispositions ont été intégrées au droit commun, est en soi critiquable. Cela signifie que pour Emmanuel Macron, la démocratie libérale n’a pas assez de ressources internes pour surmonter ses crises. De ce premier choix autoritaire a découlé l’impossibilité par la suite de cantonner des restrictions raisonnablement. Logiquement l’exception devrait avoir pour but le retour à la normale, c’est-à-dire à l’état de droit.

Des mesures proportionnées auraient dû se limiter dans le temps et en fonction d’objectifs clairs, au lieu d’être prolongées pendant pratiquement deux ans et voir ses principales dispositions intégrées au droit commun. Au lieu de ça, l’exécutif a entretenu la panique sanitaire pour prolonger l’exception politique afin de lui donner les mains libres pour la gérer le mieux possible. S’en est suivie une politique vaccinale qui elle aussi, plutôt que de choisir la persuasion rationnelle, s’est appuyée sur la stigmatisation sans nuances des critiques à la politique publique gouvernementale, désignés comme complotistes ou antivaxx pour couper court à tout débat contradictoire. Cette tactique politicienne qui consiste à ramener toute critique, même argumentée, à ses franges les plus marginales, a justifié à la fois les pires discriminations et les pires aveuglements.

L’hystérisation du débat sur la vaccination orchestrée par l’exécutif s’est doublée d’une atteinte sans précédent à la vie privée, qui a culminé avec l’adoption d’un pass sanitaire, devenu pass sanitaire étendu, puis vaccinal, actuellement suspendu mais toujours susceptible de revenir sans que personne ne soit vraiment certain de son utilité sanitaire.

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Parmi les décisions d’Emmanuel Macron et de sa majorité sur le sujet, certaines sont-elles plus susceptibles d’avoir un impact durable sur les libertés publiques ?

Collectif La Brède : La loi sur le « passe vaccinal », dont rien ne garantit qu’elle ne soit pas représentée à la session extraordinaire de juillet 2022 sous la forme d’une loi d’obligation vaccinale sanctionnée, restera comme le modèle du nouveau mode de gouvernement de l’élite sur « le peuple qu’on emmerde ». Aucune justification scientifique indépendante et contradictoire. Aucune utilité sociale et sanitaire prouvée. La mise entre parenthèse de toutes les libertés qu’on croyait « socle » jusqu’ici : libre consentement à l’acte de soin, prohibition de toute discrimination liée à l’état de santé ou de handicap, non subordination des libertés fondamentales (aller et venir, manifester, se rendre à un culte ou un commerce ou service…) à la soumission préalable à un « bon » comportement. Voltaire, Montesquieu et Tocqueville ont dû ensemble se retourner dans leur tombe. Quand une Nation accepte docilement ces atteintes, pourquoi demain n’en accepterait-elle pas d’autres, un cran de plus ? C’est l’effet cliquet des atteintes douces à la Démocratie qu’Emmanuel Macron a, pour la première fois depuis 1958, expérimenté en temps de paix.

Frédéric Mas : Je pense sincèrement que la normalisation de l’état d’exception est une énorme faute morale et politique. Elle s’est faite sans bruit, et désormais, les citoyens se sont habitués à vivre en dehors de la protection de l’Etat de droit. La démocratie est devenue intermittente, et fonctionne désormais selon le bon vouloir des gouvernants et peut être suspendue selon l’opportunité, c’est-à-dire les menaces que les gouvernants eux-mêmes désignent comme essentielles. En se privant de la protection du constitutionnalisme libéral, l’Etat reprend en quelque sorte sa forme naturelle, qui laisse une large place à l’arbitraire. Comme le disait Hayek dans la route de la servitude, la société militaire, c’est-à-dire celle où le politique ordonne le monde social sous prétexte de la menace, est l’exact inverse de l’ordre politique libéral.

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