Pertes ou profits : à quoi la droite peut-elle s'attendre après la manifestation sur le mariage homosexuel ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Alors que l'UMP est plongée en pleine crise de leadership, la question du mariage homosexuel peut-elle rassembler le principal parti de droite ?
Alors que l'UMP est plongée en pleine crise de leadership, la question du mariage homosexuel peut-elle rassembler le principal parti de droite ?
©Reuters

Sortir son épingle du jeu

La forte mobilisation des opposants au mariage homosexuel est à la fois une bonne nouvelle pour la droite qui découvre un vivier de militants susceptibles de participer à d'autres mouvements, et une mauvaise nouvelle car ces sympathisants devront à l'avenir être entendus sur tous les sujets de société...

Thomas Guénolé

Thomas Guénolé

Thomas Guénolé est politologue et maître de conférence à Sciences Po. Son dernier livre, Islamopsychose, est paru aux éditions Fayard. 

Pour en savoir plus, visitez son site Internet : thomas-guenole.fr

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Atlantico : La manifestation contre le mariage et l'adoption pour les couples homosexuels a été un succès. Que peut attendre la droite de ce conflit ?

Thomas Guénolé : La droite peut s'attendre à l'avenir à une mobilisation politique plus forte des réseaux associatifs religieux, para-religieux, et de parents d'élèves, qui se sont mobilisés pour réussir cette manifestation.

C'est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle pour la droite :

- bonne nouvelle, parce que c'est un vivier de militants dont l'essentiel est déjà de droite, donc susceptibles de participer à d'autres mobilisations marquées de ce côté de l'échiquier politique ;

- mauvaise nouvelle, parce qu'elle devra prendre davantage en compte les attentes de cette catégorie de minorités actives, notamment sur les sujets de société, ce qui est une contrainte nouvelle dans l'élaboration de ses futurs programmes électoraux.

Alors que l'UMP est plongée en pleine crise de leadership, la question du mariage homosexuel peut-elle rassembler le principal parti de droite sur un sujet à propos duquel le FN et l'UDI sont divisés ?

Sur ces thèmes, on ne peut pas mettre sur le même plan les divisions internes au FN et les divisions internes à l'UDI. Le clivage interne au FN porte fondamentalement sur la tactique. La question est : sachant que l'ensemble de la formation est contre l'extension du mariage et de l'adoption aux couples de même sexe, à quel point et comment le FN doit-il investir sur ce sujet ? Le clivage interne à l'UDI, lui, porte sur le thème lui-même : toute la palette des positions possibles à son sujet existe dans ce parti, ce qui explique d'ailleurs que Jean-Louis Borloo ait opté là-dessus pour la liberté de vote des parlementaires et l'absence de position nationale.

Cela étant, non, cet enjeu n'est pas en mesure de rassembler l'UMP, car il ne résout pas la crise du leadership. Significativement, d'un côté Jean-François Copé s'efforce d'apparaître comme le premier militant, descendant dans la rue et appelant à faire de même ; de l'autre François Fillon s'efforce d'apparaître comme le premier proposant, adressant à François Hollande une lettre ouverte qui expose les modalités d'une réforme alternative acceptable pour la droite. On reste donc dans la guerre de positions entre le tacticien et l'idéologue.

Cette question peut-elle devenir un marqueur de l'opposition de droite ?

Elle l'est déjà, au même titre qu'elle constitue, avec trois ou quatre autres réformes, un marqueur de la majorité de gauche, réformes parmi lesquelles on trouve aussi le projet d'extension du droit de vote aux résidents non-européens pour les municipales.

Le clivage droite/gauche se situe-t-il actuellement davantage sur les questions de société que sur les questions économiques ?

Non, en termes d'ampleur et de proportion de l'impact des politiques proposées, actuellement, c'est sur la fiscalité que le clivage gauche-droite est le plus profond.

Jean-François Copé a été l'un des premiers politiques à appeler à manifester. Peut-il en tirer en profit ?

Non, car parallèlement François Fillon a également investi une position dans ce débat : celle de l'homme qui définit les termes de la réforme alternative acceptable pour l'opposition. C'est donc, de ce point de vue, un jeu à sommes nulles.

Malgré tout, la droite semble mal à l'aise avec cette question. Les leaders médiatiques de l'opposition au mariage homosexuel ont été l'archevêque de Paris André Vingt-Trois, le grand rabbin Gilles Bernheim ou encore "la  catho branchée" Frigide Barjot . Comment l'expliquez-vous ?

D'un côté, la classe politique de droite assume rarement d'afficher des idées plébiscitées par son électorat quand elles sont très clivantes dans l'opinion prise dans son ensemble. Deux exceptions notables récentes : Nicolas Sarkozy et Jean-François Copé, tous deux spécialistes de ce type de positionnement. Pour autant, au fil de ses positionnements et à la différence de Jean-François Copé, Nicolas Sarkozy veillait aussi, en particulier de 2002 à 2005, à faire régulièrement un pas à gauche pour deux pas faits à droite.

Spécifiquement sur l'extension du mariage et de l'adoption aux couples de même sexe, la classe politique de droite est d'autant plus prudente qu'elle garde en mémoire, consciemment ou pas, l'exemple de l'évolution de l'image publique de Christine Boutin à partir de son positionnement d'opposition frontale au Pacs. Sur les questions de moeurs et de famille, il est de fait extraordinairement difficile de prendre le camp progressiste à contrepied sans être immédiatement catalogué comme réactionnaire, voire rétrograde. On peut donc comprendre que le personnel politique de droite soit en service minimum dans l'argumentation contre ces réformes.

D'ailleurs, il est assez frappant de constater que même si Jean-François Copé et François Fillon ont tous les deux pris position de façon extrêmement claire contre ces réformes, ils restent relativement inaudibles dans ce débat. Les médias étant forcément demandeurs de leur parole publique sur ces enjeux, a fortiori au fil des manifestations, on ne peut qu'en déduire qu'ils restreignent délibérément leurs prises de parole sur ces questions.

Cela étant, si les hommes politiques étaient acceptés lors de la manifestation d'hier, ils étaient en fait tolérés, c'est-à-dire, au sens étymologique, acceptés avec souffrance, par les réseaux qui ont organisé l'événement. Ce phénomène dépasse ce seul thème. Tout se passe, au fil des décennies, comme si la mobilisation des citoyens pour manifester sur des sujets de société devenait de plus en plus l'affaire de la société civile et de moins en moins celle des hommes politiques. On touche là une crise de légitimité croissante du personnel politique, qui cède de plus en plus son rôle d'interpellation et de mobilisation des citoyens à des nouveaux acteurs qui s'affichent le plus souvent comme apolitiques, ce qui est objectivement faux : clairement, au fil de son activisme au nom de ses convictions religieuses et morales, une Frigide Barjot ou un Monseigneur Vingt-Trois fait de la politique.

Mais ce n'est plus assumé comme tel, car si c'est politique, c'est, en termes d'image, forcément suspect : on parlerait ainsi, significativement, de récupération politique, comme s'il y avait quelque chose d'illégitime à ce qu'une manifestation se déroule en liaison explicite avec des partis qui pourtant, "concourent à l'expression du suffrage."

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