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Patrons et politiques spéculent sur le joker que représente Sophie Binet à la CGT
©JEFF PACHOUD / AFP

Baptême du feu pour Sophie Binet. Après avoir créé la surprise en arrivant à la tête de la CGT, Sophie Binet alimente la spéculation sur sa capacité à tenir une position dure tout en participant à un compromis pour sortir de la crise des retraites.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Pour l’ensemble des mouvements patronaux, Sophie Binet est la grande inconnue parce que tout le monde se demande comment elle va réussir à ne pas casser l’intersyndicale, tout en trouvant une position de compromis qui permettrait de sortir du piège dans lequel la gouvernance française est tombée. Parce qu’il faudra bien en sortir. Sophie Binet n’a pas la naïveté de penser que tout pourrait se terminer par la démission d’Emmanuel Macron, elle est jeune mais elle a quand même un peu de culture. 

L’intersyndicale a été un évènement puisque cette union sacrée entre des syndicats qui ne s’aiment guère a réussi à transformer une petite réforme des retraites en tsunami pour Emmanuel Macron et toute la classe politique. Fallait le faire ! Parce qu’à regarder de près, cette réforme n’avait rien de révolutionnaire au départ. La Première ministre, pour en sortir à tout prix, a même gommé tous les sujets qui fâchent, sauf l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans qui, de toute façon, sera atteint par les habitudes, quoi qu’on décide et quoi qu’on fasse. On est donc totalement dans le théâtre politique. 

En attendant, tout est bloqué, les consultations acceptées par Elisabeth Borne ne changeront rien et la décision du Conseil constitutionnel ne bouleversera pas les positions : les syndicats, les responsables politiques et une très grande majorité de l'opinion souhaitent l’abandon de cette réforme. Tout est bloqué sauf que la façon dont les uns ou les autres vont envisager la porte de sortie va beaucoup dépendre de l’attitude de Sophie Binet, que personne ne connait alors qu’elle a créé la seule vraie surprise sur le marché du social depuis trois mois.

Sophie Binet est la première femme à incarner la fonction de Secrétaire générale de la CGT, un syndicat de « mecs et quels mecs». La CGT, c’est traditionnellement le syndicat de la classe ouvrière où il n’y a que « la classe » qui soit au féminin. Depuis plus d’un siècle. 128 ans exactement. 

Sophie Binet n’était pas favorite à la succession de Philippe Martinez, elle est arrivée là pour départager deux autres candidates qui avait plus de chance de parvenir à la barre.  L’une parce qu’elle était sponsorisée par Philippe Martinez et l’autre parce qu’elle était parrainée par les plus radicaux, militants de la lutte anticapitaliste. 

Sophie Binet a donc été considérée comme plus dure que Martinez et moins « utopique » que les plus radicaux.  Classique mais compliqué à gérer en responsabilité. 

Ce n’était pas gagné parce qu’en plus, elle avait tout dans son cursus pour rester sur un strapontin. Outre son féminisme actif et assumé, elle est à la tête de la fédération des cadres ( UGICT ) dans un syndicat où les cadres ont souvent été considérés comme des ennemis de classe par les Marxistes ou ce qu’il en reste.  

Faut croire que toutes ces qualités n’étaient pas suffisantes pour prononcer son éviction de la course puisqu’elle a gagné. 

En gagnant, elle a évidemment attiré l’attention de tous les analystes de la sociologie sociale et syndicale qui se sont dit qu’il ne pouvait que se passer des choses graves, c’est-à-dire intéressantes. Pour trois raisons au moins :

1er Sophie Binet a été élue à une écrasante majorité ( 86%), une majorité qui ne rassemble pas mais partage pratiquement aucune de ses positions : les uns la trouve trop féministe ou trop féminine (c’est à dire jolie ce qui est plus grave encore ). D’autres pas assez dure sur le plan des revendications ou trop proche des idées défendues par des cadres de l’industrie.  Ce qui veut dire qu’elle serait trop responsable. Avec 86% de suffrages, elle va devoir plaire à tout le monde, ce qui n’est pas facile parce qu’en général, on ne plait à personne.  

2e raison : Sophie Binet se retrouve en position de pouvoir à un moment de crise.  Ou ça passe ou ça casse et tout son entourage, ses soutiens, ses électeurs l’ont en fait mandatée pour que ça casse. Les troupes de la CGT ont lâché Philippe Martinez parce qu’elles le soupçonnaient de trop coller à la roue de Laurent Berger de la CFDT.  Alors que tout dans l’ADN de Sophie Binet permettait de penser qu’elle aussi, savait qu’il fallait trouver une solution parce que le conflit des retraites avait tendance à fatiguer l’opinion et par conséquent, ne pas laisser Laurent Berger construire un compromis qui en aurait fait le grand vainqueur de cette crise… C’est la raison pour laquelle, à peine élue Secrétaire générale, elle a déclaré qu’elle se rendrait mercredi à Matignon alors que franchement, la majorité des délégués était contre. 

3e raison. Si Sophie Binet assume son ADN de cadre en acceptant la main tendue par Mme Borne, il lui a fallu très vite donner des gages aux durs et purs de la CGT, en reprenant les éléments de langage issus d’une culture du conflit.  Donc officiellement, elle ne bougera pas une oreille et défendra la position un peu absurde du tout ou rien.  Pour l’instant !

Mais ça n’est que partie remise, elle attendra que le conflit pourrisse sans mettre d’huile sur le feu pour reprendre la main contre une idéologie mortifère pour le syndicalisme français. 

Les élections prochaines ne seront pas bonnes pour la CGT. La CFDT devrait améliorer ses scores, ce qui ne surprendra pas Sophie Binet.  Parce que la France a assez de syndicats qui font la loi sans être représentatifs.  Ajoutons que la France en a assez que le syndicalisme fonctionne dans la fonction publique qui se compose de salariés qui franchement sont les mieux protégés, alors que le service administratif est un des plus couteux d’Europe et l’un des moins performants. Ce qui est un comble. 

Pour que la CFDT ne soit pas le seul syndicat à ramasser les dividendes de la grogne sociale et ne soit pas le seul à négocier les conditions futures de la modernité, Sophie Binet a sans doute été élue pour gérer le changement de partition de la CGT.  Et quand on dit Partition, il faudra qu’elle change les paroles et la musique en ménageant les chœurs. Parce qu’en bon cadre de l’industrie, elle sait mieux que quiconque que si la CGT veut rester co-gérante du modèle social paritaire, il faudra que la CGT ne participe pas à sa démolition… Sophie Binet se verrait bien en Nicole Notat des années digitales.  

Ce qui va s’imposer à la CGT va s’imploser à toutes les autres forces sociales y compris au patronat.  A l’exception de la CFDT dont le logiciel de compromis est à jour depuis le règne de Nicole Notat justement. Le patronat, du moins quand il est intelligent, sait très bien qu’il a besoin de syndicats de salariés puissants et présents.   

Sophie Binet va jouer le jeu de l’intersyndicale contre la réforme des retraites mais les occasions ne manqueront pas défendre ses spécificités quand il s’agira de participer aux débats qui vont s’emparer de la société française. La mutation écologique et la politique nucléaire , l’égalité entre les hommes et les femmes, l’immigration…

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