Patatras : une vaste étude psychologique révèle que la supériorité morale des gens de gauche n’était qu’une illusion<!-- --> | Atlantico.fr
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Une personne avec une carte électorale et un bulletin de vote avant de voter dans le nord de la France, pour le second tour des élections régionales, le 27 juin 2021.
Une personne avec une carte électorale et un bulletin de vote avant de voter dans le nord de la France, pour le second tour des élections régionales, le 27 juin 2021.
©LUDOVIC MARIN / AFP

Autoritarisme de gauche

La Society for Personality and Social Psychology a organisé un symposium intitulé "L'autoritarisme de gauche est-il réel ?". Une étude a été menée sur ce sujet par Thomas H. Costello, chercheur de l'Université Emory, et cinq de ses collègues. En s'appuyant sur un sondage auprès de 7.258 adultes, l'équipe de Costello a trouvé des traits communs entre la gauche et la droite. 

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet est psychiatre, ancien Chef de Clinique à l’Hôpital Sainte-Anne et Directeur d’enseignement à l’Université Paris V.

Ses recherches portent essentiellement sur l'attention, la douleur, et dernièrement, la différence des sexes.

Ses travaux l'ont mené à écrire deux livres (L'attention, PUF; Sex aequo, le quiproquo des sexes, Albin Michel) et de nombreux articles dans des revues scientifiques. En 2018, il a publié le livre L'amour à l'épreuve du temps (Albin-Michel).

 

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Atlantico : Une nouvelle étude parue dans le Journal of Personality and Social Psychology montre que les individus de gauche peuvent, comme ceux de droite, défendre un certain autoritarisme. Les mêmes déterminants sont-ils à l’œuvre pour susciter cette recherche de l’autorité à droite et à gauche ?

Jean-Paul Mialet : Indiquons d’emblée une erreur dans votre question qui permet d’aborder ce sujet plus clairement. Il ne s’agit pas de « défendre » un autoritarisme, mais d’avoir un certain profil psychologique, celui qui définit le style autoritariste. La question de ce profil de personnalité a été abordé dès les années 30 par des psychanalystes et des chercheurs en science sociale : il s’agissait de mieux comprendre les mécanismes psychologiques qui donnaient à Hitler un si puissant appel. Cela a abouti au livre d’Adorno, un freudo-marxiste, « La personnalité autoritaire » (1950). Depuis, les recherches sur la personnalité autoritaire en psychologie sociale se sont multipliées. A la suite de milliers d’études, il est aujourd’hui convenu par la communauté scientifique que l’autoritarisme est caractérisé par trois dimensions : 1) obéissance et respect des autorités établies 2) adhérence aux normes sociales conservatrices 3) approbation des mécanismes de contrôle social coercitifs et punitifs. Le problème est que l’autoritarisme n’a jusqu’à présent été étudié que dans son versant droitier et pour cause, on ne concevait même pas qu’il puisse exister à gauche : l’autoritarisme ne pouvait s’observer qu’à droite.

Qu’est-ce qui peut expliquer que cet autoritarisme de gauche soit si peu évoqué et étudié et que l’on en parle comme le « monstre du Loch Ness » de la psychologie politique ? Faut-il y voir des biais idéologiques de la recherche en science sociale ?

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Le point de départ des études sur l’autoritarisme, explorant les mécanismes psychologiques d’adhésion au fascisme, a nécessairement orienté les recherches vers la droite. Les intellectuels universitaires, un peu partout, ont également un regard plus indulgent pour les violences de gauche. Hors l’université, la communauté médiatique défend volontiers les positions de gauche, tenues pour plus généreuses. De sorte que les exemples d’autoritarisme de gauche que furent les Goulags, le Maoïsme et les Khmers rouges – et peut être en France, le règne de la Terreur – n’ont pas attiré la même attention que l’autoritarisme de droite. Sans doute les horreurs commises par l’autoritarisme de droite lors du fascisme – la volonté d’une extermination ethnique – ont atteint un extrême qui conduit, par contraste, à minimiser les horreurs de l’autoritarisme de gauche. Bref, il existe depuis longtemps en occident un biais cognitif culturel qui place les outrances de l’autorité à droite, et à excuser les « antifas » tout en s’insurgeant contre les violences des « fachos ».

Or la recherche n’échappe pas à ce type de biais pour une raison simple : faire carrière dans le monde universitaire impose de ne pas outrepasser certaines convenances. De même, les revues scientifiques pratiquent une forme subtile de censure et un article ne sera accepté que s’il est dans le courant dominant. S’y ajoute un point technique : les chercheurs ont développé des outils conceptuels et pratiques adaptés au terrain qu’ils exploraient : l’autoritarisme de droite. Ces outils s’adaptent-ils à l’autoritarisme de gauche ?  Non, et c’est pourquoi longtemps, on ne retrouvait pas de trace d’autoritarisme à gauche : les échelles, adaptées au style autoritaire de droite (par exemple l’échelle F destiné à évaluer le facteur fasciste), ne convenaient pas. L’autoritarisme de gauche n’a donc émergé que rarement au sein des études de psychologie sociale : la communauté scientifique en faisait une légende inobservable, comme le monstre du Loch Ness.

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C’est le mérite d’une équipe de chercheurs en psychologie de l’Université Emory d’avoir repris la question à la base en montrant que l’autoritarisme n’est pas nécessairement lié au conservatisme et que le type autoritaire que décrivait Adorno, à la pensée rigide, respectueux des normes sociales et sexuellement refoulé ne concerne que l’aile droite d’un phénomène que l’on peut retrouver à gauche, sous d’autres traits.

Quels comportements cet autoritarisme de gauche permet-il de mieux comprendre et expliquer ? 

Ce travail de recherche aidera à répondre à votre question. Étudions le plus en détail. Costello et son équipe sont partis d’une liste de 39 affirmations qu’ils ont proposé à une population de 7258 adultes en leur demandant de les coter entre 1 et 7. Il y avait par exemple « Si je pouvais refaire la société, je mettrais au dernier rang ceux qui ont actuellement le plus de privilège » ;

« Se débarrasser de l’inégalité est plus important que protéger le prétendu « droit » à une parole libre » ; « Je ne peux m’imaginer devenir ami d’un individu conservateur ». Cette exploration leur permet d’identifier 3 types d’attitudes : l’agressivité antihiérarchique, représentée par un score élevé à la première question ; la censure du haut vers le bas (« top down ») attestée par un score élevé à la deuxième question et l’anticonventionalisme correspondant à une approbation forte à la troisième question. Il n’est pas possible de détailler davantage des recherches qui ont été très étendues et beaucoup moins simple que l’aperçu j’en donne. 

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Au terme de ce travail, Costello voit dans ces trois attitudes : opposition à la hiérarchie, censure du haut vers le bas et hostilité aux conventions, ce qui caractérise l’autoritarisme de gauche et fait pendant à la soumission à l’autorité, à la dominance envers les inférieurs (dans le strict respect de la hiérarchie) et au conventionnalisme (soumission aux normes conservatrices) de l’autoritarisme de droite. Comparant ensuite les autoritaristes de droite et les autoritaristes de gauche, il constate que les deux types de population partagent un certain nombre de traits de personnalité, de caractéristiques cognitives, de croyances et de motivation : il existe donc un noyau dur de l’autoritarisme, partagé par l’aile droite comme par l’aile gauche. On peut simplement noter quelques distinctions : les autoritaristes de gauche manifestent moins de rigidité cognitive et de dogmatisme, ont un degré plus élevé d’émotivité et sont en faveur d’un système politique avec un contrôle centralisé. Quoiqu’il en soit, un score élevé à l’échelle d’autoritarisme de gauche est en forte corrélation avec la participation à des mouvements politiques violents.

Le monstre du Loch Ness semble enfin clairement identifié : il est dans la volonté de certains, à gauche comme à droite, d’imposer leurs vues par la violence. Fallait-il des recherches aussi poussées pour le démontrer ? Attribuons-leur au moins le mérite de nous aider à sortir d’une cécité sélective collective, qui depuis bien longtemps n’attribue le mal qu’à droite.

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