Passe sanitaire : la grande pagaille<!-- --> | Atlantico.fr
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Le maire de Cannes, David Lisnard.
Le maire de Cannes, David Lisnard.
©JOEL SAGET / AFP

Tribune

Les débats sur l'élargissement du passe sanitaire, annoncé par le chef de l'Etat, sont symptomatiques des maux de notre société et reflètent les failles de l'exécutif, selon David Lisnard, le maire de Cannes, dans cette tribune.

David Lisnard

David Lisnard

David Lisnard est Président de l’AMF, Maire (LR) de Cannes et Président de Nouvelle énergie.

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Le débat actuel autour de l’élargissement du passe sanitaire annoncé par Emmanuel Macron est tout à fait symptomatique des maux de notre société comme du délitement civique et politique actuel.

Il est aussi une nouvelle expression de l’incapacité de cet Exécutif à être simple, opérationnel et à sortir d’un schéma inepte qui se répète depuis plus d’un an et le conduira de nouveau, sans le dire clairement, à faire le choix arbitraire de ce qui serait dans nos vies essentiel ou pas.

Pire : alors que l’Etat prestidigitateur nous a donné l’illusion, juste avant les élections régionales du mois de juin, de libertés retrouvées grâce à la vaccination, il envisage un mois plus tard la double peine scandaleuse de nouvelles restrictions, y compris pour les détenteurs du fameux passe sanitaire.

Parallèlement à l’instauration de ce sésame, il est ainsi mis en œuvre par l’Etat dans certains départements des couvre-feux, fermetures d’établissements et même le retour du port du masque obligatoire partout en extérieur (doit-on, un an et demi après le début de l’épidémie, encore rappeler l’inutilité sanitaire du port du masque en extérieur, sauf en cas de rassemblements humains denses et statiques et sur les marchés ?).

Alors qu’il chevauchait son escargot il y a encore quelques semaines, refusant notamment de prendre des mesures adaptées pour accélérer le rythme des vaccinations, laissant les collectivités locales, et principalement les communes, assurer seules l’organisation des vaccinodromes (jusqu’à se faire tancer par le gouvernement pour celles qui étaient en avance, nous en savons quelque chose à Cannes), le président de la République se fait aujourd’hui le porte-étendard du passe sanitaire à la faveur d’une annonce pleine de grandiloquence qui le caractérise, grandiloquence des mots ensuite progressivement contredite par la concrétisation atrophiée ou contradictoire des mesures d’exécution.

Il tend ainsi à radicaliser et polariser les convictions des uns et des autres. Des pro-passe sanitaire ont ainsi tendance à repousser ceux qui se trouvent entre eux et les anti-passe - les sceptiques et les hésitants - vers le camp des « antivax », caricaturant leurs avis et tentant d’ailleurs de leur faire grossièrement porter des gilets jaunes allégoriques, ceux de l’extrémisme.

Des « antivax », pour leur part, cèdent souvent à la facilité du point Godwin en agitant le spectre intellectuellement déraisonnable et scandaleux de l’étoile jaune. Ils multiplient les pressions, voire les violences et relaient les pires manipulations contre un vaccin dont il est avéré qu’il est une nécessité et fiable.

Cette manière d’annihiler toute mesure entre deux camps est très représentative des clivages et climat politiques actuels.  De la sorte, les nuances entre ces deux pôles bien identifiés peinent à imprégner et à s’imposer. Et finalement, chez les nuancés, on finit par se ranger derrière l’un et l’autre : la plupart d’entre eux se font et se feront vacciner par résignation, d’autres, se sentant contraints, ne le feront pas, et préfèreront se priver de certains plaisirs de la vie, voire même de leurs droits civiques, pour ne pas subir ce qu’ils estiment être une forme de chantage.

Or, ce sont bien les nuances, les échanges qui permettent le débat et la vitalité démocratiques pour une décision légitime et respectée. Laisser s’instaurer deux blocs autant antagonistes et manichéens se nourrissant l’un de l’autre ne peut que cristalliser les rivalités, les ressentiments et la discorde.

Le débat raisonnable d’idées est menacé : celui qui porte sur un processus démocratique et le rapport entre une valeur cardinale, la liberté, et une réalité sanitaire, économique et sociale. Car si le caractère « préventif » du vaccin ne doit pas être remis en cause mais simplement expliqué et argumenté avec calme et clarté, on peut légitimement comprendre le « sentiment » d’excès d’autoritarisme éprouvé par des millions de Français et ne pas balayer d’un revers de main méprisant cette impression qu’il entrave leurs libertés individuelles.

Comment le gouvernement, sans cesse soit dans la morale, soit dans la coercition plus ou moins assumée, ne peut-il pas être plus pédagogue et rassurant, notamment sur la technique de l’ARN messager, que l’on connaît et utilise depuis des décennies ? Comment peut-il ainsi systématiquement échouer ou ne pas vouloir faire avancer le consentement éclairé ?

Pour cela, il aurait fallu une politique nationale de prévention « active », reposant sur la confiance, avec une campagne d’information claire dès le début, des spots diffusés dès décembre (les premières campagnes publicitaires des ARS sont sorties il y a trois semaines) et une véritable politique de vaccination s’appuyant sur les médecins de ville et la relation de confiance qu’ils tissent avec leurs patients (avec, par exemple, un flaconnage à l’unité pour les médecins, les pharmaciens, etc.). Or, la vaccination a été dès le début menée sans stratégie et surtout sans sens pratique de l’Etat, et les errements du président de la République et du Premier ministre sur l’AstraZeneca, vaccin mort-né, n’ont pas aidé.

Il aurait également fallu que l’Exécutif sache faire preuve d’anticipation, ce dont il n’a jamais été capable depuis plus d’un an. La résurgence de l’épidémie que l’on connaît, due au variant Delta, est une donnée portée à la connaissance de tous depuis plusieurs semaines. Elle a été modélisée et annoncée dans de nombreux pays. Mais en France, il ne fallait rien dire de précis dessus avant les élections !

Il est inconcevable que rien n’ait été organisé en amont pour faire face à cette réalité. Cette incapacité à prévoir, ce manque pratique dans les prises de décisions obligeant sans cesse à s’adapter au doigt mouillé ou selon les revendications de telle ou telle profession, cette désorganisation de l’appareil d’État se traduit par cette grande pagaille que nous subissons tous et que le Président, son gouvernement et sa majorité tentent de masquer par des discours dont l’arrogance le dispute à la fatuité.

C’est trop souvent cette grandiloquence du discours, inversement proportionnelle à l’efficacité des mesures annoncées, que cette crise n’aura cessé de mettre en lumière. Tantôt autoritaire dans sa manière de faire respecter un ordre injuste, tantôt pusillanime lorsqu'il s’agissait de véritablement prendre ses responsabilités, rarement clairvoyant, souvent auto-satisfait, jamais autocritique, toujours à contretemps : voilà la réalité du pouvoir tel qu’il est exercé aujourd’hui.

Plus que jamais durant cette crise, pour tant de citoyens, l’Etat aura ressemblé à ce « pouvoir immense et tutélaire qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort » qu’évoque Tocqueville.

Pire, il reste aveugle aux bonnes pratiques mises en œuvre à l’étranger et dans les collectivités et n’a cessé d’accuser des retards coupables depuis le début de cette crise, qu’il s’agisse du gel hydro alcoolique, des masques, des lits de réanimation, des tests, des vaccins, ou encore des autotests.

Car si quelques semaines de retard ne pèsent pas grand-chose lorsqu’on est haut fonctionnaire ou commentateur, elles sont tragiques pour ceux qui affrontent la maladie et dramatiques pour bon nombre de chefs d’entreprises et salariés qui ne se satisfont ni psychologiquement ni financièrement des aides accordées, non par la générosité d’un gouvernement mais par l’effort fiscal passé, présent et surtout futur de tous les contribuables.

Au-delà des avis des uns et des autres, des « pro » et des « anti », cette situation est alarmante.  La façon cynique qu’a le président de la République d’annihiler le débat, de radicaliser la société, de désunir et d’opposer les Français comme nous l’avons rarement vu, pour finalement apparaître comme l’unique solution par défaut, par non-choix, ne peut que renforcer la défiance à son égard et le repli civique général qui nuit tant à notre démocratie.

Dans cette cacophonie ambiante, le théâtre de l’information continue et ce dialogue de sourds hystérisé par les réseaux sociaux, nous devons faire preuve d’écoute, de justesse et de discernement, et au contraire ne pas retomber, encore, dans les mêmes délires. Pour comprendre que l’on se dirige à grand galop vers un retour en Absurdie, il suffit de remplacer les termes « passe sanitaire » par « confinement » ou « fermeture ». On pourrait donc se rendre dans un supermarché sans passe sanitaire, mais pas à une terrasse de café, en plein air ? Prendre un métro ou aller à l’école sans passe sanitaire, mais pas dans un musée ou dans une salle de cinéma ? Un député pourrait se rendre à l’Assemblée Nationale sans passe sanitaire, mais un citoyen ne pourrait pas exercer son droit civique en se rendant dans un bureau de vote ?

Plutôt que de prendre de nouvelles mesures coercitives générales, l’Etat ne devrait-il pas mener des actions de sensibilisation poussées auprès des cinq millions de patients atteints de maladies graves présentant des comorbidités qui n’ont toujours pas encore reçu la moindre dose ?

Le passe sanitaire n’a de pertinence et de légitimité que s’il est temporaire, circonstancié et encadré, là où il est utile, c’est-à-dire lors de grands rassemblements, a fortiori en lieux clos, et bien limité dans le temps. Il n’a de pertinence que là où l’on peut l’appliquer, notamment lors de congrès, grands salons professionnels, festivals, à l’entrée de grands stades et, bien sûr, dans nos aéroports et à nos frontières qui, encore une fois contrairement à ce qui a été annoncé, ne sont toujours pas contrôlés. Aussi, en prenant cette décision aussi brutale, immédiate, le président de la République – qui, jadis, reprochait la vélocité vaccinale de certaines collectivités – sanctionne d’une part les millions de Français qui ne s’étaient pas encore vaccinés et qui n’auront pas le temps de le faire avant le 1er août, mais aussi les millions de restaurateurs en divisant, de fait, leur clientèle par deux et en multipliant les tracas et conflits potentiels.

Il est temps de changer significativement l’approche de la gestion de l'épidémie. Nous disposons désormais de toute la palette d’outils pour assurer la sécurité sanitaire des Français et adopter une vraie stratégie « anti-Covid ». Parmi eux, le vaccin, bien-sûr, mais aussi l’analyse des eaux usées pour remonter précisément vers les foyers épidémiologiques avec cinq jours d’avance sur la contagiosité, le recours aux autotests, acte de civisme et de responsabilité pour sortir de l’assistanat sanitaire, le déploiement dans les lieux clos des détecteurs de CO2 et des purificateurs d’air, le recours aux chiens formés à la détection rapide du Covid-19 lors des grands événements. Et ainsi il serait possible de lutter efficacement contre l’épidémie et ses soubresauts sans discriminations et de retrouver notre liberté pour la prospérité.

C’est pourquoi l’enjeu des prochains mois sera donc bien de retourner à un régime de liberté, reposant sur la responsabilité individuelle et collective, de revenir à un « je » civique, de sortir enfin de ce tourbillon de la bureaucratie et de l’infantilisation qui nous détourne des véritables sujets politiques et civilisationnels, et de retrouver, en matière de santé aussi, une nouvelle espérance française.

David Lisnard, maire de Cannes

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