Paris dévoile un nouveau logo pour les JO 2024... mais les raisons de ne pas vouloir les organiser restent toujours aussi valables<!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande souhaite que Paris candidate à l'organisation des Jeux olympiques de 2024.
François Hollande souhaite que Paris candidate à l'organisation des Jeux olympiques de 2024.
©Reuters

Candidature

Paris dévoile ce mardi sur l'Arc de Triomphe le logo de sa campagne pour l'organisation des JO 2024, signant le coup d'envoi d'une semaine de révélations qui culminera par l'envoi du dossier de candidature au CIO. Un événement marquant qui risque de reléguer au second rang les nombreuses raisons pour lesquelles la France ne devrait pas se porter candidate.

Wladimir Andreff

Wladimir Andreff

Wladimir Andreff est professeur émérite en Sciences Economiques à l'Université de Paris 1 Panthéon Sorbonne.
Il a fondé en 1990 le ROSES (Réforme et Ouverture des Systèmes Economiques post-Socialistes), laboratoire associé du CNRS, intégré depuis dans le Centre d'Economie de la Sorbonne.

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(Interview publiée sur Atlantico le 8 novembre 2014)

Atlantico : Après Cracovie, Munich et Saint-Moritz, c'est Oslo qui s'est désistée de la course à l'organisation des Jeux Olympiques d'hiver de 2022. Ne restent en lice que les villes de Pékin et d'Almaty, au Kazakhstan. Pourquoi donc les habitants de ces villes décident-ils, contre l'initiative de leurs gouvernants, de ne pas accueillir l'événement ?

Wladimir Andreff : On distingue deux raisons : cela coûte très cher. Organiser des jeux olympiques coûte plusieurs milliards de dollars. Dans le cas de Sotchi on a dépassé les 50 milliards. Second problème, qui renforce le précédent : on est toujours sûr de dépasser de deux, trois ou quatre fois le budget de départ. Même si l'on se contente d'afficher 10 milliards, vous pouvez être sûr d'arriver à 40.

Les habitants des villes concernées nourrissent donc la crainte qu'une partie de ce coût retombe sur eux. Souvenez-vous de la Coupe du Monde 2014 au Brésil qui avait provoqué de nombreux rassemblements et manifestations pour contester les hausses d'impôts et de prix. Par ces temps d'austérité et de difficultés économiques, il n'est donc pas surprenant que les citoyens s'y opposent.

Comment expliquer que le coût de l'événement excède nécessairement celui annoncé initialement ?

Dans le cadre des JO comme de la FIFA, le comité organisateur met en place une compétition entre villes candidates. Ce faisant, le CIO les amène à surenchérir les unes sur les autres, puisqu'il attend des candidats le plus beau projet possible. Les statistiques montrent qu'en général c'est le projet le plus coûteux qui gagne ; Londres n'a pas fait exception.

C'est la théorie de la winner's curse,  "la malédiction du gagnant". Gagnant de quoi ? D'une enchère, littéralement : il faut être le plus cher sans non plus proposer un prix excessivement élevé dès le départ, au risque de ne pas emporter le droit d'organiser. C'est pourquoi les villes ont tendance à masquer les coûts : à Londres, la TVA avait été masquée sur certaines opérations, le coût des Jeux paralympiques n'avait pas été pris en compte, tout comme certaines dépenses concernant la sécurité. Quand on remporte le droit d'organiser, on se sait "maudit", puisque pendant sept ans la facture ne va cesser d'augmenter. Même si les gens ne sont pas conscients de la winner's curse, ils se doutent bien que le coût sera élevé et minimisé au départ.

La ville de Paris pense à poser sa candidature pour 2024, et François Hollande s'est prononcé en ce sens lors de son passage sur TF1 jeudi 8 novembre. Vaudrait-il mieux se détourner de cette tentation ?

Je suggère que l'on fasse ce que les économistes appellent une étude de willingness to pay, c'est-à-dire d'acceptation de payer pour accueillir les Jeux. Il faudrait leur proposer une grille de paiement par habitant : si chacun est prêt à mettre 50 euros, pour une population d'un million, on sait qu'on pourra au moins s'autoriser un déficit de 50 millions. J'ai fait faire cet exercice à l'une de mes étudiantes, à l'université olympique de Sotchi où j'enseigne. Elle a fait l'inverse, demandant aux habitants combien ils seraient prêts à payer pour que les jeux n'aient pas eu lieu à Sotchi : 93 % des sondés ont déclaré qu'ils étaient prêts à payer pour qu'ils ne soient pas organisés chez eux, car cela leur aurait évité 3 ou 4 ans de travaux, d'embouteillages et autres effets externes, et près de la moitié étaient prêts à aller jusqu'à un mois de salaire.

La raison est donc exclusivement financière ? Pourquoi certains décideurs persistent-ils à vouloir présenter la candidature de leur ville ?

La candidature d'une ville au JO est toujours une idée séduisante, souvent mise en avant par les politiques. On le voit notamment avec la condidature de Paris pour les JO de 2024. Il est donc important de faire appel aux économistes, qui savent qu'une opération ne vaut la peine que si les bénéfices sont supérieurs aux coûts. Le CIO passe son temps à susciter l'enthousiasme, faisant miroiter une notoriété immense pour les villes organisatrices. Sauf que depuis les JO de Montréal en 1976, les coûts ne cessent d'augmenter.

Certaines villes ont-elles tout de même réussi à tirer leur épingle du jeu ?

La seule ville dont on est certain qu'elle a gagné en termes des recettes par rapport aux coûts, c'est Los Angeles en 1984. Il y a aussi un coût plus compliqué à calculer, mais plus intéressant : outre les coûts et les gains financiers, il faut aussi prendre en compte les externalités négatives que sont la pollution, les embouteillages, etc. Mais il y a aussi les externalités positives : création d'infrastructures qui servent au quotidien, à mieux relier les lieux… Sur ce plan là aussi Los Angeles a été gagnante, car la ville avait déjà toutes les infrastructures nécessaires. Peu de coûts, beaucoup de gains : c'est le seul exemple.

Quelques autres exemples ne sont pas trop mauvais, comme Lillehammer en Norvège. Là aussi les infrastructures existaient, et la localité qui était jusqu'ici inconnue a été désenclavée. Calgary aussi  ne s'en est pas trop mal sorti, mais on est moins sûr que pour Los Angeles. Barcelone est parfois citée en exemple, mais d'après des sources locales, beaucoup de coûts ont été masqués.

Mais pour Los Angeles, il ne faut pas oublier que c'est la seule fois où la winner's curse n'est pas intervenue, puisque la ville était la seule en lice. Pourquoi ? Lorsqu'en 1977, il a été question d'organiser les jeux de 1984, personne ne voulait se présenter. En effet, les Jeux de Montréal s'étaient soldés par un déficit d'un milliard de dollars pris en charge par la ville. Cela s'est traduit pas une taxe sur le tabac payée de 1976 à 2006 ! Quant aux Jeux de Grenoble de 1968, la population a continue de rembourser la dette jusqu'au début des années 2000. C'est donc le CIO qui en 1977 a sollicité Los Angeles d'être candidat. Donc aucune surenchère n'a été faite, la négociation s'est faite d'égal à égal. Autrement, le CIO est en position de monopole.

Les deux seules villes restantes pour la candidature de 2022 n'appartiennent pas à des Etats réputés pour leurs qualités démocratiques. Pourquoi les JO sont-ils devenus la chasse gardée de ces Etats-là ?

Dans les pays développés, on prend aujourd'hui conscience des problèmes économiques financiers que présentent les JO. Londres en a été le parfait exemple. En revanche, un tel événement ne peut pas être accueilli par un pays sous-développé : l'organisation des Jeux est comparable au PIB du Burundi. Cela exclut d'office 100 à 120 pays. Entre les plus riches et les moins riches, il reste 30 à 40 pays émergents. Les plus connus étant les BRICS : Brésil (Coupe du monde et JO), Russie (idem), Inde (néant), Chine (JO d'été en 2008 et organisatrice des JO d'hiver en 2022), Afrique du Sud (Coupe du Monde). Ensuite on trouve les producteurs de pétrole : Kazakhstan, Qatar.

Cela ne fait pas beaucoup de pays, et tous ne sont pas assez fous pour se lancer. L'Inde ne se lancera jamais, par exemple. Ceux qui le font, comme la Chine, la Russie ou le Kazakhstan, ne sont pas du genre à solliciter l'avis de leur population.

Le CIO, en privilégiant des candidatures surprenantes pour des jeux d'hiver, comme Sotchi, alimente sa propre réputation d'organisme corrompu, comme la FIFA en accordant la coupe du monde au Qatar. Quels éléments attestent de cette réalité ?

Le CIO n'est pas le plus corrompu, les plus gros doutes, d'ailleurs confirmés par les procédures judiciaires en cours, portent sur la FIFA. Le cas le plus connu concernant le CIO est l'attribution des Jeux de Salt Lake City de 2002. Dans le courant des années 90, des membres du CIO ont touché de l'argent, à tel point que neuf d'entre eux ont été exclus. Concernant la Coupe du Monde, de sérieux soupçons pèsent sur la FIFA relativement à la Russie et au Qatar. Les villes, obligées de faire de la surenchère, se livrent à du lobbying, qui se transforme parfois en enveloppes remplies de billets.

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