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Oscar Pistorius, héros déchu de l'Afrique du Sud : pourquoi ses parents choisirent de l'amputer
©Reuters

Bonnes feuilles

Oscar Pistorius, c’est l’histoire de la compétitivité forcenée qui règne aux jeux Olympiques, c’est l’histoire d’une ascension fulgurante, l’histoire du rôle controversé des médias. C’est l’histoire, aussi, d’une jeune démocratie, l’Afrique du Sud. C’est l’histoire d’un meurtre, et une histoire d’amour. Et enfin c’est l’histoire d’Oscar Pistorius lui-même, cet enfant amputé des deux jambes à l’âge de 11 mois, qui court aux côtés des hommes les plus rapides du monde, dont la vie est tragique, shakespearienne, quelle que soit l’issue de son procès. Extrait de "Oscar Pistorius", de John Carlin, publié au Seuil (1/2).

John  Carlin

John Carlin

John Carlin est un scénariste et journaliste anglais qui écrit entre autres pour The Guardian, le New York Times ou El Pais. Il est connu pour ses livres et articles sur le sport et sur l'Afrique du Sud. En France, ses livres Invictus et Rafa co-écrit avec Rafael Nadal ont connu un très gros succès.

 

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Oscar Pistorius est né le 22 novembre 1986, avec une hémimélie fibulaire, c’est-à-dire sans péronés. Aussi mystérieuse que rare, cette malformation osseuse n’avait pas de lien génétique connu avec les parents. Ses jambes, anormalement courtes, n’avaient donc pas de péroné, cet os long et fin qui relie le genou et la cheville parallèlement au tibia. Ses chevilles n’étaient qu’à demi formées ; les talons, au lieu d’être orientés vers le bas, étaient tournés sur le côté ; les voûtes plantaires n’étaient pas convexes mais concaves, elles n’avaient pas la forme d’une arche, mais celle d’une coque de bateau ; et il avait deux orteils au lieu de cinq. Ses parents, dévastés, comprirent immédiatement qu’il ne pourrait jamais se tenir debout, sans parler de marcher, sur des pieds aussi atrophiés et difformes. Sa mère, Sheila Pistorius, née Sheila Bekker, porte un nom de famille plutôt courant parmi les quelques 40 % de population sud-africaine blanche qui se définissaient eux-mêmes comme anglophones, dans un pays où tout le monde se sent historiquement obligé de se trouver une filiation tribale. Sheila était femme au foyer. Henke Pistorius, son mari, était homme d’affaires. Plutôt mal organisé, il connaissait des hauts et des bas, mais, à la naissance d’Oscar, il s’en sortait bien, ce qui permettait à la famille de vivre dans le confort matériel typique des classes moyennes blanches et aisées de l’Afrique du Sud de l’apartheid. Ils vivaient dans une grande maison sur les hauteurs de Constantia Kloof, une banlieue riche et dynamique de Johannesburg, à une soixantaine de kilomètres de Pretoria, la capitale du pays.

Henke était un Afrikaner, la majorité blanche d’Afrique du Sud qui s’exprime dans une langue dérivée du néerlandais que parlaient les colons venus s’installer au Cap au xviie siècle. Henke était fier de l’histoire de son peuple. Il aimait les armes à feu, comme bon nombre d’Afrikaners, et ne rechignait pas à faire des déclarations solennelles devant son dieu calviniste. Un moment clé de l’histoire afrikaner, comme tout enfant issu de cette communauté l’apprenait à l’école, était le Jour du voeu, qui commémore la victoire des Boers contre les Zoulous, le 16 décembre 1838, durant le Grand Trek. Ce jour-là, les populations boers, qui avaient quitté Le Cap pour gagner l’intérieur des terres, révulsées entre autres par la décision que les autorités coloniales britanniques avaient prise d’abolir l’esclavage, durent faire face à des heurts d’une rare violence contre un véritable contingent de guerriers zoulous. Beaucoup moins nombreux que leurs adversaires, les migrants jurèrent que si Dieu les aidait à gagner la bataille, eux et leurs descendants honoreraient cette date à jamais et en feraient un jour saint. Quatre cent soixante-dix Boers armés de pistolets et de fusils mirent en déroute une armée zouloue de dix mille hommes équipés seulement de lances.

Dans l’esprit de ce voeu historique, Henke prêta son propre serment quelques minutes après la naissance de son fils Oscar. Il fut le premier à remarquer la difformité des pieds du nourrisson. Avant l’arrivée du bébé il avait dit à l’obstétricien que peu lui importait d’avoir une fille ou un garçon tant que l’enfant avait dix doigts et dix orteils. Il souleva le nouveau-né dans ses mains et déclara solennellement devant la mère, le docteur et les infirmières : « Voici mon fils Oscar et je jure devant Dieu que je l’aimerai et prendrai soin de lui pour le restant de mes jours. »

Plus concrètement, prendre soin de leur fils signifiait pour Sheila et Henke Pistorius choisir entre amputation des jambes ou chirurgie reconstructrice. Ils consultèrent onze médecins en Afrique du Sud et ailleurs. Certains préconisèrent d’opérer Oscar des deux jambes ; d’autres proposèrent l’amputation du pied droit et l’opération pour le gauche. Ce fut l’avis d’un médecin sud-africain qui fit pencher la balance en faveur d’une double amputation sous le genou.

Ce médecin s’appelait Gerry Versfeld. Si Henke et Sheila Pistorius n’avaient pas eu l’occasion de rencontrer le Dr Versfeld, un Blanc qui travaillait à l’époque dans un hôpital de Soweto où seuls des patients noirs étaient admis, ils auraient peut-être hésité à choisir l’option la plus drastique de toutes. Et si les chemins du Dr Versfeld et du petit Oscar ne s’étaient jamais croisés, Pistorius n’aurait sans doute jamais eu la chance de savoir ce que signifie courir, il n’aurait jamais connu la célébrité, la richesse et la gloire, et n’aurait jamais rencontré Reeva Steenkamp. Le choix de ses parents a donc déterminé le cours de sa vie.

Extrait de "Oscar Pistorius - le héros déchu de l'Afrique du Sud", de John Carlin, publié aux éditions du Seuil, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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