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"On est chez nous !" Certes, mais c’est quoi, "chez nous" ?
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État des lieux

C’est la seule question qui compte. Et c’est parce qu’elle est explosive que nul n’ose la poser.

Benoît Rayski

Benoît Rayski

Benoît Rayski est historien, écrivain et journaliste. Il vient de publier Le gauchisme, maladie sénile du communisme avec Atlantico Editions et Eyrolles E-books.

Il est également l'auteur de Là où vont les cigognes (Ramsay), L'affiche rouge (Denoël), ou encore de L'homme que vous aimez haïr (Grasset) qui dénonce l' "anti-sarkozysme primaire" ambiant.

Il a travaillé comme journaliste pour France Soir, L'Événement du jeudi, Le Matin de Paris ou Globe.

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"Et pour vous, ma p’tite dame, ce sera combien de tranches de déchéance de la nationalité ? Une bien épaisse ? Deux fines ? Et vous, vous en voulez deux kilos pour un rôti ? Tenez. Et je rajoute gracieusement quelques centaines de grammes pour faire un carpaccio. Vous prendrez bien avec un peu des "heures les plus sombres de notre histoire" ? Ça se marie parfaitement. Ah oui, et ne partez pas non plus sans un gros sachet de fermeté républicaine. Le tout pimenté d’un peu de pas d’amalgame, vous m’en direz des nouvelles."

Ainsi, le personnel politique français, toutes tendances confondues, vante les mérites de sa camelote indigeste. Personne ne l’achète. Mais on continue à la vendre, bradée, soldée : les stocks sont immenses. Les hommes et les femmes politiques français ne font, en l’occurrence, preuve d’aucune intelligence ni de courage. Mais quand même, par quelle outrecuidance méprisante osent-ils prendre ceux auxquels ils s’adressent pour des demeurés et des imbéciles ?

Pour les Français il n’y a – c’est l’évidence même – qu’une seule question qui vaille. Tout Français connaît les noms des assassins de janvier 2015. Nul d’entre eux n’ignore non plus les patronymes des assassins de novembre. Tous savent, avec quelques erreurs peut-être dans les prénoms, comment s’appellent les milliers de nos djihadistes partis égorger en Syrie et en Irak. Tous reconstituent – et ils ne se trompent pas – les patronymes de ceux qui caillassent les pompiers et les policiers. Ils font de même, instinctivement, intuitivement, avec les voyous qui tabassent les contrôleurs à bord des TER (trains ethniques régionaux).

Et ils disent tous : "Ça suffit !" Il y a quelques jours, il a été beaucoup question des Jardins de l’Empereur à Ajaccio. Des policiers et des pompiers ont été attirés dans un guet-apens par la racaille de ce quartier. Un exercice somme toute très routinier. Écœurés, quelques centaines de manifestants ont pénétré dans le quartier en criant : "On est chez nous !" Du jamais-vu. Chemin faisant, ils ont saccagé un édifice religieux – une mosquée –, symbole pour eux de l’appartenance confessionnelle des voyous du quartier. Ils se sont fait copieusement engueuler car ce n’était pas bien. Pour ma part je n’ai pas encore tranché le débat de savoir ce qui, d’un flic brûlé au cocktail Molotov ou d’un Coran déchiré, était le plus grave.

"On est chez nous !" : l’essentiel a été dit. L’expression est à manier avec précaution. Si c’est pour dire que les voyous du quartier de l’Empereur, et d’autres quartiers, doivent se soumettre à la loi commune ou déguerpir, alors oui, mille fois oui ! Et maintenant, c’est quoi "chez nous" ? "Chez nous", c’est disposer au cimetière communal ou municipal d’un caveau où reposent vos grands-parents, vos arrière-grands-parents. C’est avoir une maison de famille où figure un portrait d’un ancêtre en officier de marine, où trône un vase de l’époque Ming, pillé lors du sac du palais d’Eté, où traînent quelques exemplaires de L’Illustration avec l’incendie du Bazar de la Charité. C’est, pour les plus citadins, avoir conservé le sac de billes avec lequel jouait votre grand-père rue Saint-Vincent à Montmartre.

Mais tout ça n’est pas donné à tout le monde. Il y a en France des millions et des millions de gens dont les ancêtres ont choisi notre pays comme terre d’accueil. Ils n’ont évidemment pas accès aux lieux et aux objets de mémoire de ceux dont les racines sont plus anciennes. Juifs, Polonais, Italiens, Roumains, Espagnols se sont donc fabriqué une France avec des images, des livres, des poèmes, des photos qui ont pris la place des pierres qui leur manquaient. Pas besoin d’être "de chez nous" pour être "chez nous".

Il me faut, pour terminer, citer Heine qui, selon moi, a le mieux défini ce que c’est que le "chez nous". "J’ai les dispositions les plus pacifiques. Voici mes souhaits : une modeste cabane, un toit de chaume, mais un bon lit, une bonne nourriture, du lait et du beurre bien frais. Devant la fenêtre, des fleurs ; devant la porte, quelques beaux arbres. Et si le bon Dieu veut me rendre tout à fait heureux, il me fera connaître la joie de voir six ou sept de mes ennemis pendus à ces arbres. D’un cœur ému je leur pardonnerai avant leur mort tous les torts qu’ils m’ont infligés dans la vie. Certes il faut pardonner à ses ennemis, mais pas avant qu’ils ne soient pendus."

Nous sommes quand même un peu plus pacifiques que Heine. Et les pendus ne nous semblent pas indispensables. Mais par temps de visibilité nulle, quand le vent de la colère souffle en tempête, quelques panneaux de signalisation ne sont peut-être pas inutiles.

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