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Objectif web : la moitié du monde est désormais connectée à internet et voilà ce que ça change
©ALAIN JOCARD / AFP

Tous connectés

Réseaux sociaux, blockchain, ubérisation, interconnexions, il n'est pas interdit de penser que les innovations qui ont bouleversé nos sociétés auront le même impact dans les pays qui découvrent encore le web.

David Fayon

David Fayon

David Fayon est responsable de projets innovation au sein d'un grand Groupe, consultant et mentor pour des possibles licornes en fécondation, membre de plusieurs think tank comme La Fabrique du Futur, Renaissance Numérique, PlayFrance.Digital. Il est l'auteur de Géopolitique d'Internet : Qui gouverne le monde ? (Economica, 2013), Made in Silicon Valley – Du numérique en Amérique (Pearson, 2017) et co-auteur de Web 2.0 15 ans déjà et après ? (Kawa, 2020). Il a publié avec Michaël Tartar La Transformation digitale pour tous ! (Pearson, 2022) et Pro en réseaux sociaux avec Christine Balagué (Vuibert, 2022). 

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Atlantico : La couverture Internet s'étend à grande vitesse. L'Afrique, notamment, est en pleine explosion. Quel sera l'impact de ce "tous connectés" sur nos sociétés ?

David Fayon : Oui, l’augmentation à la fois du nombre d’internautes, de la couverture et de la qualité du réseau (3G, 4G, bientôt 5G) est un fait. Ainsi nous recensions selon Internet World Stats  4,2 milliards d’internautes dans le monde fin juin 2018 soit 55 % de la planète. Plus d’un citoyen sur deux a accès à Internet désormais. Néanmoins ce chiffre comporte des disparités. En effet, en Amérique du Nord, 95 % des citoyens ont accès à Internet et 85 % en Europe alors qu’en Asie le chiffre frôle les 50 % et qu’en Afrique c’est environ 1 sur 3. Le potentiel de croissance dans le monde passe par l’Afrique qui, par ailleurs, reste en plein boom démographique avec des projections à 4 milliards de personnes, ce qui ne va pas par ailleurs sans poser des défis planétaires pour leur développement sans fuite de cerveaux ou départs massifs de migrants espérant un eldorado ailleurs. Notons qu’en Chine où le nombre d’internautes est supérieur à celui des Etats-Unis, pays où a été développé Arpanet, l’ancêtre d’Internet, le décollage s’est effectué avec les téléphones portables et non avec les PC, ce qui explique les succès d’outils comme Alipay ou WeChat. En Afrique, les habitants connaissent la « sublimation numérique » ou le passage direct de la révolution agricole à une économie basée sur le numérique avec le téléphone portable en shuntant la révolution industrielle, du reste polluante pour la planète. Des entreprises comme Google par exemple ont bien compris le potentiel économique et social du développement de la connectivité et d’une population massivement connectée à Internet en misant sur le projet O3b (other three billion). Celui-ci consiste à connecter les 3 autres milliards de citoyens dépourvus d’accès à Internet. Il s’agit là de pouvoir réduire la fracture numérique qui s’ajoute à d’autres fractures dont souffrent les populations : fracture sociale, fracture rurale, fracture générationnelle, fracture éducationnelle.
Pour l’évolution de la couverture d’Internet, il convient également de nuancer. En effet, 99 % du trafic Internet transite par des câbles sous-marins qui supportent de très hauts débits, ce sont les grands axes de l’autoroute Internet. Ceci a pour corollaire des pays moins bien desservis notamment ceux qui sont situés à intérieur et qui n’ont pas d’accès à la mer. Ces pays sont tributaires d’autres pour le relais de l’information. Ainsi les pays d’Afrique centrale auront plus de difficulté à acheminer l’information que les pays côtiers.
L’impact d’une société où nous serions « tous connectés » change notre rapport au temps, à l’espace, à l’action, à l’économie et c’est déjà quasiment le cas en Occident pour les 15-30 ans. Cette société « holonumérique » nécessite aussi un contre-pouvoir dans la vie physique pour ne pas être totalement et uniquement dans le numérique mais avoir des ponts entre le monde physique et le monde numérique et avoir le meilleur des deux mondes. On parle de phygital (physique + digital). Des évolutions sociétales arrivent comme le droit à la déconnexion où la France a légiféré car les porosités entre vie personnelle et vie professionnelle sont de plus en plus fortes avec le passage dans le monde du travail d’une obligation de moyens à une obligation de résultat et son corollaire le télétravail et des heures plus choisies que subies. Globalement il existe de bons côtés grâce au numérique, l’augmentation du champ des possibles, des actions qui n’étaient pas réalisables jadis avec par exemple la réalité virtuelle, un plus grand accès à l’information. Mais a contrario, nous avons un phénomène de cyberdépendance et d’addiction que l’on constate tous les jours. Il suffit de voir dans les gares les personnes rivées les yeux derrières un écran ou même les piétons qui sont plus happés par leur smartphone que par l’attention à la circulation. En ce sens, un recul critique et une éducation au numérique sont des préalables nécessaires.

Peut-on imaginer que l'intercommunication modifie la structure des pays, notamment leur économie pour amener une nouvelle forme de société ?


Toute introduction de nouvelle technologie a des impacts. Déjà Internet est le Cinquième pouvoir après les 3 pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) et celui des médias. On l’a constaté avec les réseaux sociaux et la nouvelle façon de s’informer qui vient en complément des médias traditionnels même si le regard critique de l’information est à rechercher et qu’une diète informationnelle qui consiste à privilégier la qualité sur la quantité ainsi que le discernement est à opérer. On a vu que les réseaux sociaux pouvaient présenter des aspects positifs pour la démocratie avec en même temps une crainte de l’establishment et du pouvoir en place car la communication lui échappe. Par exemple, un certain empressement à vouloir légiférer sur les fake news bizarrement avant que n’éclatent certaines affaires dérangeantes. Nous passons avec Internet et le Web 2.0 d’un mode descendant et en silos à un mode collaboratif et apprenant.
Au-delà d’Internet, nous avons le phénomène blockchain. Ces structures d’égal à égal sont de nature à modifier les responsabilités, les prises de décision, lesquelles sont partagées. C’est le cas avec Internet et cela le sera bientôt avec la blockchain. Grâce à Internet, de nouveaux acteurs ont pu émerger et disrupter des entreprises traditionnelles ayant tardées à opérer leur transformation digitale. Par exemple Uber pour les taxis, Airbnb pour l’hôtellerie.
La question de l’ubérisation de la société et du politique se pose. On avait déjà eu un avant-goût avec le printemps arabe et l’importance des réseaux sociaux dans le phénomène pour mobiliser la population, véhiculer l’information, etc. On le constate un peu avec les gilets jaunes aujourd’hui. Les nouveaux moyens de communication structurent ou restructurent la société qui n’a pas les mêmes enjeux que jadis avec une circulation très rapide de l’information, la possibilité de mener des actions collectives, etc. Cela fait peur aux acteurs historiques qui perdent la maîtrise. Le maître des horloges n’est pas celui que l’on croît ou qui prétend l’être. C’est l’un des enjeux emportés par Internet même si, d’un point de vue économique, ce sont les GAFA qui donnent le ton quant aux services de demain et les rapports entre l’homme et les solutions numériques proposées. 
Dans un futur plus lointain, il s’agit dans les sociétés d’appréhender le rôle des machines voire la personnalité juridique du robot !

En termes d'importance, peut-on considérer la généralisation d'Internet comme l'équivalent des grandes étapes du progrès, comme l'imprimerie ?


Internet est aujourd’hui un bien vital comme l’eau, l’électricité. Internet permet un accès à l’éducation, au soin, un développement du commerce et tout l’écosystème autour d’Internet tire une croissance atone. Comme vous m’aviez demandé en première question, c’est aussi une opportunité pour l’Afrique avec l’usage du téléphone portable pour le paiement ou le transfert de monnaie entre personnes. Des sociétés en France comme Be-Bound y oeuvrent. Il s’agit d’une étape décisive pour l’humanité comme le fut l’imprimerie dans la connaissance et la diffusion du savoir. Internet, c’est l’opportunité de relier plus de 5 milliards de cerveaux et des objets intelligents entre eux pour multiplier le champ des possibles. Il reste la question de l’éthique et de savoir de ce que l’on en fera. Si Internet est un bon serviteur c’est aussi un mauvais maître. Une question pourrait se poser : Internet doit-il être un service public ou qui serait supra-national avec un très haut niveau de sécurité car toutes les couches de l’économie sont dépendantes d’Internet ?
Concrètement, on peut considérer comme Jeremy Rifkin qu’Internet est la quatrième révolution, après les révolutions agricoles, industrielles, des services. Mais en approfondissant, il existe deux révolutions s’agissant d’Internet, Internet proprement dit avec les infrastructures, les télécommunications. Et Internet avec les données, là où se situe l’or transparent du XXIe siècle avec aussi les algorithmes associés.

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