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Objectif 3% de déficit public : quand les recommandations économiques de la Commission européenne épargnent les forts mais frappent les faibles
©REUTERS / Yves Herman

Élégance technocratique

Ce mercredi 18 mai, la Commission européenne a rendu publiques ses recommandations économiques pour chaque pays de l'Union. Alors que l'Espagne et le Portugal, dont les déficits sont supérieurs à 3% du PIB, ont été sanctionnés pour avoir enfreint le pacte de stabilité et de croissance, l'Italie, avec une dette de 132% du PIB, a été épargnée. Une décision qui révèle la nature politique des avis rendus par Bruxelles.

Philippe Waechter

Philippe Waechter

Philippe Waechter est directeur des études économiques chez Natixis Asset Management.

Ses thèmes de prédilection sont l'analyse du cycle économique, le comportement des banques centrales, l'emploi, et le marché des changes et des flux internationaux de capitaux.

Il est l'auteur de "Subprime, la faillite mondiale ? Cette crise financière qui va changer votre vie(Editions Alphée, 2008).

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Atlantico : Ce mercredi 18 mai, la Commission européenne a rendu publiques ses recommandations économiques pays par pays. Alors qu'elle n'a accordé qu'une année supplémentaire à l'Espagne et au Portugal pour ramener leurs déficits publics sous la barre des 3%, elle a été beaucoup plus clémente vis-à-vis de l'Italie (dont la dette représente pourtant 132% du PIB) puisqu'elle n'a pour l'instant engagé aucune procédure d'infraction. Comment expliquez ce différentiel de traitement ?

Philippe Waechter : Les histoires ne sont pas les mêmes entre les différents pays. Elles sont différentes dans les profils de croissance, dans les trajectoires de leur finances publiques mais aussi de façon récente dans le risque politique. L’Espagne a connu une reprise significative de sa croissance depuis 2013 mais sans pour autant réduire son déficit public. Celui ci ne s’est pas résorbé de façon significative en dépit des engagements pris. Il est encore loin du seuil de 3% puisqu’en 2015 le déficit était de 5.1%. En d’autres termes, en dépit de sa forte croissance les finances publiques espagnoles restent fortement déficitaires et loin des objectifs que le gouvernement espagnol s’était fixé. Pour le Portugal, l’écart entre ce qui avait été annoncé et ce qui a effectivement été observé en 2015 est fort malgré une reprise de l’activité économique. Pour ces deux pays, les engagements n’ont pas été tenu malgré une croissance robuste. 

Pour l’Italie la question est différente. Il n’y a pas franchement de reprise de l’activité et la commission est inquiète quant à l’évolution à moyen terme de la croissance et de la productivité de l’Italie. En outre le déficit public italien en 2015 était sous le seuil des 3% et ne réclamait pas de mesures d’urgence.

C’est cet écart entre le réalisé et l’objectif qui est pénalisant pour l’Espagne et le Portugal alors que ces deux pays, notamment l’Espagne, ont connu une croissance plus solide. Si les anticipations de croissance sont réalisées en 2016, la commission espère bien noter un rééquilibrage des finances publiques de ces deux pays. 

Pour l’Italie, l’absence d’une accélération durable de la croissance ne permettra pas spontanément une réduction du déficit. C’est pour cela que ces pays ont des traitements différentiés.

La France est également visée par les recommandations de la Commission, notamment au travers d'une liste de 5 points concernant le coût du travail, la formation, ou les baisses d'impôts. Les mesures prises par le gouvernement sont-elles en conformité avec les recommandations bruxelloises ? Celles-ci sont-elles pertinentes au regard du contexte actuel ? Peut-on considérer que la France est à l'abris de toute sanction de la part des autorités européennes, et ce, malgré son incapacité à tenir les objectifs fixés ?

La commission est là pour faire appliquer un certain nombre de règles que les pays eux mêmes ont adopté. Elle doit s’appliquer à faire respecter les objectifs fixés sur les déficits publics. Il n’est donc pas anormal qu’elle indique à la France les mesures qu’elle considère comme souhaitables. 

Le plan de stabilité budgétaire présenté par le ministère des finances table sur une réduction progressive du déficit. Bercy s’y est engagé et la commission lui rappelle et souhaite que ces engagements soient tenus en dépit de l’approche des élections présidentielles ou de possibles bonnes surprises sur la croissance. La commission rappelle simplement que les engagements se tiennent dans la durée. Cet élément est toujours nécessaire car les plans de stabilité budgétaire n’ont jamais été, sous une forme ou sous une autre, respecté par les gouvernements français depuis des lustres. Beaucoup reste à faire si l’on suit l’agenda de Bruxelles mais l’on voit que les mesures prises ont permis une réduction du coût des bas salaires. C’est notamment le cas avec le CICE et le pacte de responsabilité. 

Les recommandations ne sont pas franchement une surprise. La formation est au cœur de l’amélioration du capital humain et cela doit être un élément clé de toutes les politiques économiques. C’est ce que souhaite le gouvernement mais avec une efficacité qu’il faudrait renforcer davantage. Ce point est majeur car la formation doit permettre à tous les salariés d’évoluer et d’avoir la capacité de bouger dans sa trajectoire professionnelle. Ce point n’est pas encore assez développé en France malgré les engagements. C’est une faiblesse à moyen terme. 

La France n’aura pas de sanctions car le mécanisme de stabilité budgétaire à un côté pervers. La commission souhaite davantage de croissance un peu partout en Europe. Ce n’est pas en sanctionnant les pays leader que cela fonctionnera. La France est un peu en retard par rapport aux grands pays européens à l’exception de l’Italie. Est il nécessaire de tout faire pour retarder ce redémarrage de la croissance ?

Plus surprenant, la Commission a également demandé à l'Allemagne d'utiliser son "espace fiscal disponible" pour augmenter ses investissements publics dans les infrastructures, l'éducation, la recherche et l'innovation. Quels sont les arguments développés par la Commission pour demander à l'Allemagne d'user un peu plus de ses déficits ? Le gouvernement mené par Angela Merkel est-il à l'écoute de ces propositions ?

L’économie de la zone Euro a une demande interne insuffisante et l’Allemagne dégage des excédents extérieurs absolument considérables. Elle dispose aussi de marges budgétaires significatives. Le souhait de la commission est que Berlin utilise une partie de ces excédents pour dynamiser la demande interne de la zone pour créer une dynamique plus vertueuse et plus autonome afin de rendre l’Europe capable d’amortir d’éventuels chocs négatifs en provenance du reste du monde. 

L’Allemagne à la capacité de tirer la croissance de la zone, comme le faisait la zone Euro vis à vis de l’Allemagne il y a une dizaine d’année. Cela aurait du sens car l’accumulation des excédents n’est pas nécessaire et peu nuire à la dynamique de croissance et à la convergence vers une dynamique plus vertueuse.

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