Nucléaire iranien : le compte à rebours est-il lancé, comme le pense Henry Kissinger ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Hassan Rohani a une longue expérience des négociations sur le nucléaire iranien.
Hassan Rohani a une longue expérience des négociations sur le nucléaire iranien.
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Henry Kissinger, ancien diplomate américain, a récemment déclaré à propos du nucléaire iranien : "Nous sommes dans la dernière année où de possibles négociations sont encore réalisables". Est-il possible que l'Iran se dote d'ici un an de la bombe nucléaire ? Analyse.

Thierry Coville

Thierry Coville

Thierry Coville est chercheur à l’IRIS, spécialiste de l’Iran. Il est professeur à Novancia où il enseigne la macroéconomie, l’économie internationale et le risque-pays.
 
Docteur en sciences économiques, il effectue depuis près de 20 ans des recherches sur l’Iran contemporain et a publié de nombreux articles et plusieurs ouvrages sur ce sujet.
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Atlantico : Hassan Rohani, le nouveau président iranien, était auparavant (d'octobre 2003 à août 2005) chargé de la négociation du programme nucléaire du pays. Son élection a-t-elle à cet égard changé quelque chose ?

Thierry Coville : Il y a tellement de variables dans ce dossier que c’est difficile de faire des prédictions. Mais en ce qui concerne la posture de l’Iran, je pense que oui. La question du nucléaire était l’une des plus importantes lors de la campagne électorale. Cela prouve bien qu’elle occupe les esprits des dirigeants comme de la population compte tenu des conséquences économiques qu’elle engendre. L’objectif numéro un de Rohanie est de sortir de la crise du nucléaire. Il possède un mandat en ce sens. Le peuple l’a élu pour cela. On peut penser qu’il a des qualités propres pour y arriver. En effet, il connaît bien le dossier pour avoir été en charge des négociations par le passé.

De plus c’est un diplomate, une qualité non négligeable dans ce dossier. C’est un homme qui connaît bien les dossiers sensibles. Il est  vraiment au cœur du système d’autant plus qu’il a la confiance du Guide. On ne peut pas réussir en Iran sans avoir cette confiance. Il était son représentant au Conseil de sécurité, il sait comment l'aborder. Hassan Rohani a quand même aussi une certaine légitimité démocratique. Cela va jouer dans les rapports de force en Iran et il va s’en servir.

Pour conclure, à la fois dans son agenda et dans son profil, son arrivé change quelque chose. Reste à savoir comment il va être capable d’avancer et de gérer cela et comment les autres parties (Etats-Unis, Russie, Europe) vont l’accueillir.

Henry Kissinger a récemment déclaré : "Nous sommes dans la dernière année où de possibles négociations sont encore réalisables. Si rien n'arrive d'ici là, le président [américain] devra faire des choix cruciaux." La bombe nucléaire en Iran d'ici un an, est-ce vraiment possible ?

Non, je pense que ce sont des déclarations à modérer. Cela fait dix ans qu’on nous annonce ce genre de chose. Je ne vois pas pourquoi il y aurait un tel revirement de situation dans le pays. Il faut savoir que le Guide a récemment condamné officiellement l’utilisation de l’arme  nucléaire. Il avait mis une fatwa à ce sujet. C’est quand même une prise de position forte. On n’a pas vraiment de signes qu’il y a une militarisation du programme. Il n’y a aucune preuve à ce sujet. On a plutôt le sentiment qu’il cherche à maîtriser la technologie pour être capable de fabriquer rapidement une bombe. Ce qui n’est pas la même chose que d’en fabriquer une. Les déclarations de Kissinger, comme celles de tant d'autres avant lui, sont une manière de mettre la pression. On peut toujours imaginer un scénario mais en prenant les éléments factuels rien n’indique que l’Iran soit en mesure et ait la volonté de créer une bombe nucléaire. Je ne vois pas pourquoi dans un an la situation serait différente.

D'ailleurs, où en est réellement l'Iran dans le développement du nucléaire ? A quel stade de l'enrichissement en sont-ils ?

Tout d’abord, l’Iran n’a pas rompu ses relations avec l’Agence de l’énergie atomique (AIEA). C'est-à-dire que lorsqu'ils font des recherches sur l’enrichissement de l’uranium, il y a vérification de la part de l’AIEA. Ils en sont pour le moment à un taux de 20% d’enrichissement. Ce qui ne plait évidemment pas aux Occidentaux. Car à l’origine les négociations portaient sur 3%. De plus ils se rapprochent du taux militaire qui est de 90%.

Leur réacteur n'est pour le moment qu'utiliser à des fins médicales, pour soigner la population (notamment contre le cancer). Ils ont aussi la centrale de Bouchehr qui leur permet de produire de l’électricité. Mais le combustible est fourni par les Russes. L’Iran, à l’heure actuelle, n’est pas encore capable de produire sa propre électricité via une centrale nucléaire. D’où l’ambiguïté. Car sur le plan légal, le traité de non-prolifération n’interdit en rien l’enrichissement de l’uranium. Il n’est nul par écrit que c’est interdit. Donc l’Iran joue là-dessus. Quand les Occidentaux estiment qu’ils cherchent à fabriquer une bombe, ils répondent qu’ils veulent obtenir l’enrichissement nécessaire pour produire de l’électricité. On ne peut pas interdire à l’Iran d’enrichir l’uranium.

Pourraient-ils l'obtenir par d'autres moyens ?

Je suppose que oui. En ont-ils l’intérêt ? Certainement pas. Je vois mal l’Iran se lancer dans un processus d’acquisition de la bombe atomique. Ce serait en total contradiction avec leur stratégie qui est d’arriver à maîtriser la technologie de l’enrichissement de l’uranium.  

Quels risques cette perspective représente-t-elle réellement ? Quels seraient les réactions des différents protagonistes ?

Cette façon de poser le problème n’est pas la bonne. C’est un peu celle qu’utilisent Israël et les Etats-Unis. C’est une tactique de communication de dire : « si jamais ils ont la bombe nucléaire, qu’est-ce qui se passe ? ». Cela permet d’alimenter la peur. Alors qu’en réalité, je le répète, il n’y aucune preuve à ce sujet. De toute façon, on sait que lorsqu’ils ont pensé à se munir de la bombe nucléaire c’était dans les années 80. C’était à cause de la guerre avec l’Irak et là ils ont vraiment pensé à avoir une force de dissuasion. Ils se sentaient isolés à l’échelle internationale et voulaient trouver un moyen de s’en sortir. Depuis, on n’a pas d’éléments sur la stratégie militaire du pays. Mais on devine que leur objectif est d’arriver au seuil technologique. Après cela nous fait rentrer dans la fiction. Evidemment que si l’Iran possède demain la bombe atomique cela serait un changement majeur dans la région. Cela amplifierait la stature du pays, cela renforcerait sa puissance par rapport aux pays arabes sunnites.

Alors que le successeur de Mahmoud Ahmadinejad est investi ce samedi, la Chambre des représentants américaine vient de voter de nouvelles sanctions à l'encontre de la République islamique. Quels effets auront ces dernières ? 

Un certain nombre d’articles aux Etats-Unis et en Iran disent que si le Congrès américain veut tout faire pour éviter une sortie pacifique de la crise, il ne s’y prendrait pas autrement. En imposant ces sanctions, le Congrès coupe l’herbe sous le pied de Rohani qui dit : « moi je veux négocier ». En augmentant les sanctions, cela devient de plus en plus difficile pour Rohani qui doit gérer ses propres radicaux. Cela pourrait donc affaiblir la stratégie de Rohani en interne. Connaissant le nationalisme iranien et la fierté de la population,  accumuler les sanctions n’est pas le meilleur moyen de pacifier les relations. Ce qui fait dire aux quotidiens iraniens qu’en réalité les Etats-Unis ne cherchent pas à négocier mais à changer le régime en place.

Un compromis est-il encore possible ? Si oui pourquoi est-il si compliqué à trouver ?

Je pense qu’on connaît les éléments de sortie. Le premier serait d’autoriser l’Iran à enrichir son uranium et de lui imposer des modes de contrôle. En clair, qu’il n’y ait pas de militarisation du programme. Mais je pense que le problème vient d’un manque de confiance entre les Etats-Unis et l’Iran. Il y a trop de forces politiques aux Etats-Unis qui voient l’Iran comme l’ennemi.

Propos recueillis par Maxime Ricard

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