Non, les BRICS ne sont pas l’alliance anti-occidentale que certains y voient<!-- --> | Atlantico.fr
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Luiz Inacio Lula da Silva, Xi Jinping, Cyril Ramaphosa, Narendra Modi et Sergueï Lavrov posent pour une photo de famille des BRICS lors de l'édition 2023 à Johannesburg, le 23 août 2023.
Luiz Inacio Lula da Silva, Xi Jinping, Cyril Ramaphosa, Narendra Modi et Sergueï Lavrov posent pour une photo de famille des BRICS lors de l'édition 2023 à Johannesburg, le 23 août 2023.
©GIANLUIGI GUERCIA / POOL / AFP

Diplomatie

Les Brics (le Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud), réunis en sommet à Johannesburg, vont accueillir dès janvier six nouveaux membres, dont l'Iran, l'Argentine, l'Egypte ou bien encore l'Arabie saoudite.

Frédéric Encel

Frédéric Encel

Frédéric Encel est Docteur HDR en géopolitique, maître de conférences à Sciences-Po Paris, Grand prix de la Société de Géographie et membre du Comité de rédaction d'Hérodote. Il a fondé et anime chaque année les Rencontres internationales géopolitiques de Trouville-sur-Mer. Frédéric Encel est l'auteur des Voies de la puissance chez Odile Jacob pour lequel il reçoit le prix du livre géopolitique 2022 et le Prix Histoire-Géographie de l’Académie des Sciences morales et politiques en 2023.

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Atlantico : Les BRICS s’imposent de nouveau dans l’actualité. Et pour cause ! Sous peu, l’organisation devrait compter six nouveaux membres : l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, l’Iran, mais aussi l’Argentine, l'Égypte et l’Ethiopie. Alors que les pays fondateurs promettaient de “bouleverser l’ordre mondial”, faut-il voir les BRICS comme une alliance anti-occidentale ?

Frédéric Encel : Nous n’avons pas affaire à une alliance anti-occidentale : il s’agit bien davantage d’une posture défiante vis-à-vis de Washington. C’est très différent ! Une alliance implique, à tout le moins, un partenariat militaire sinon un engagement à défendre ledit allié par les armes en temps de guerre. Or les BRICS, dans leur version originelle, sont traversés par des clivages extrêmement durs. Rappelons ainsi que l’Inde et la Chine en sont venues aux armes en juin 2020. Des soldats Indiens et des soldats Chinois sont morts sur un front existant depuis au moins 1962. On ne peut pas parler, dans ce cas de figure d’alliance.

Il n’y a pas non plus de partenariat de libre-échange économique entre les cinq BRICS fondateurs, et il ne devrait pas y en avoir davantage avec les six nations qui s’apprêtent à rejoindre le groupe. C’est pour cela que je parle de posture : sur le fond, nous n’assistons pas à l'émergence d’une organisation comparable à l’OTAN sur le plan militaire ou à l’Union européenne sur le plan économique. Ce sont, là, de véritables alliances ! Du côté des BRICS, c’est une posture (légitime par ailleurs au demeurant) qui vise à apparaître comme non-inféodé à Washington. Elle s’explique notamment par la volonté de plusieurs gouvernements de présenter à leur propre population une volonté d’indépendance vis-à-vis des Etats-Unis, bien plus que par un véritable engagement anti-américain. 

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Par exemple, l’Inde, rappelons-le, est signataire d’un accord de partenariat nucléaire de type militaire avec Washington ! Elle est aussi partie prenante du Quad, un pôle stratégique visant à endiguer la Chine. Si l’on ajoute à cela des rivalités extrêmement fortes entre certains des pays qui vont rejoindre les BRICS (comme l’Iran et l’Arabie Saoudite) ainsi que les tensions hydriques qui peuvent exister (notamment entre l’Egypte et l’Ethiopie), il apparaît évident que les BRICS ne constituent pas un bloc puissant et homogène.  

Y a-t-il des pro-occidentaux parmi les BRICS ? 

Bien entendu. C’est le cas de l’Arabie Saoudite, par exemple, qui a pourtant décidé de prendre davantage d’autonomie vis-à-vis de Washington. En dépit des griefs qu’elle nourrit à l’égard des Etats-Unis (résultant d’un sentiment de trahison lié à l’abstention US suite aux attaques de drones sur ses installations pétrolières, et la reculade de Barack Obama face à Assad survenue auparavant), l’Arabie Saoudite reste un allié, sur le plan militaire, des USA. Il en va de même pour les Emirats Arabes Unis, qui demeurent statutairement et militairement alliés aux Etats-Unis mais aussi à la France, avec force bases stratégiques sur leur sol ! 

J’ajoute que l’Egypte, elle, est signataire depuis 1978 des accords de Camp David. On oublie trop souvent que ceux-ci, tripartites, n’ont pas seulement concerné l’Egypte et Israël mais aussi Washington. A ce titre, la sixième flotte américaine mouille régulièrement à Alexandrie et l’armée égyptienne est équipée et financée par l’allié américain. Doit-on penser que, rejoignant les BRICS, l’Egypte ne serait plus pro-occidentale ? Certes pas. 

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Plusieurs pays appartenant aux BRICS font preuve de divergences conséquentes sur le plan politique. Faut-il y voir une entrave à la volonté de “bouleverser l’ordre mondial” ? Quels accomplissements peut-on identifier pour l’organisation ?

L’une des plus importantes faiblesses des BRICS, c’est donc effectivement le caractère très disparate de ses membres. L’une des raisons de ces multiples divergences, c’est la motivation divergente de chacun des Etats membres. Ainsi, la motivation de la Chine est évidente : il ne s’agit pas de renverser la table des relations internationales (la Chine est un régime conservateur, voire ultra conservateur sur la question du nucléaire) mais bien de passer devant les Etats-Unis comme première puissance mondiale. C’est son objectif. 

Du côté russe, cela va plus loin. Depuis ce qu’elle estime être une sur-réaction occidentale à la guerre en Ukraine, la Russie souhaite, elle, renverser le jeu. Mais avec un PIB égal à celui de l’Espagne et les sanctions qui l’entravent, elle ne pourra en aucun cas espérer le faire seule. Elle doit donc suivre la Chine, qui a pris la tête des BRICS et qui dominera de plus en plus son économie. 

L’agenda de l’Afrique du Sud est pour sa part beaucoup plus continental. Il y a 20 ans, son PIB représentait 25% du PIB de l’ensemble des 54 Etats composant le continent africain. Désormais, elle est tombée à 15% ! Le gouvernement ANC, face à la contestation sociale, tente donc de jouer à fond le positionnement du non-alignement, voire de la rancœur « anti coloniale » du monde occidental, et du leadership africain contesté par des géants comme le Nigeria et - pire - dorénavant par les nouveaux membres des BRICS que sont l’Ethiopie et l’Egypte !  

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Pour cette dernière, en revanche, il s’agit plutôt de rester dans les bonnes grâces de l’Arabie Saoudite et des Emirats Arabes-Unis qui soutiennent son économie à bout de bras depuis des décennies. L’Arabie Saoudite envisage l’armée égyptienne, nombreuse et en principe bien équipée, comme une assurance-vie en cas d’invasion du royaume. Cette proximité stratégique laisse peu de choix de l’Egypte qui, en quasi faillite (comme l’Argentine du reste) doit suivre son grand donateur. 

Enfin, l’Inde est un cas à part : elle est très attachée à son indépendance, à son non-alignement. Elle affiche des relations économiques importantes avec la Chine ou la Russie, mais elle développe aussi de plus en plus de partenariats avec des puissances occidentales comme la France, les Etats-Unis, l’Australie, le Japon ou Israël. 

Quels sont les pays qui profitent le plus, aujourd’hui, de l’organisation des BRICS et de la médiatisation dont leurs sommets peuvent faire l’objet ? De quoi tout cela est-il le reflet, exactement ?

Cela peut peut-être paraître surprenant, mais il me semble que c’est le régime iranien. Il profite de l’occasion pour montrer que les sanctions internationales liées à son programme nucléaire illégal (dont on a tendance à oublier qu’elles sont respectées par la Russie et la Chine aussi…) n’ont pas pu isoler le pays. C’est un gain important, dont les effets ne se limitent pas à la seule politique interne iranienne mais aussi au reste du monde musulman. Les BRICS ne comptent pas qu’un seul Etat musulman : il y en aura trois, dont la principale puissance chiite, à savoir l’Iran.

Ceci étant dit, il faut raison garder : ce que gagnent ces nations, c’est le droit de se réunir, trois ou quatre fois par an, devant les photographes du monde entier pour rappeler que (ce qu’on appelle) l’Occident n’est pas seul. Le fait est, néanmoins, qu’il y a près d’une cinquantaine d'organisations internationales regroupant des Etats. Cela va du groupe de Shangaï à la CEDEAO en passant par l'OTAN, le Mercosur ou encore l’Union pour la Méditerranée. 

Je serai plus nuancé si, à l’avenir, les BRICS voulaient - et parvenaient à - créer une monnaie réellement concurrente du Dollar et une banque gérant des milliers de milliards ; on en est encore très loin…  

Dans quelle mesure l’arrivée de nouveaux pays au sein des BRICS peut-elle bouleverser les rapports de force au sein de l’organisation ?

C’est une question centrale. Il n’y a qu’un seul semi-géant qui rejoint les BRICS : l’Arabie Saoudite. Elle aurait les moyens de modifier substantiellement la stratégie des BRICS sur différents sujets économiques et énergétiques. Pour autant, il n’est pas possible de prédire ce que sera exactement la politique de Riyad. On peut penser qu’elle cherchera à infléchir l’organisation vers une direction moins anti-américaine. Et, si elle le fait effectivement, je ne suis pas certain que cela profite vraiment à la Chine ou la Russie. 

Quelle menace les BRICS peuvent-ils ou non faire peser sur l'Occident ?

Les BRICS ne représentent pas une menace pour l’Occident. J’insiste : d’un côté, il existe une alliance militaire complète, cohérente et puissante qui s’appelle l’OTAN. Elle réunit une trentaine de nations et elle est unique en son genre : il n’existe rien de comparable ailleurs qu’en Occident.  

Rappelons aussi que les Etats-Unis occupent encore la place de première puissance mondiale (alors que la Chine fait aujourd’hui face à une importante crise et que la Russie est étranglée). L'Union européenne, cahin-caha, constitue aussi un pôle primordial de stabilité et de puissance économique et financière à échelle mondiale. En outre, des nations économiquement très puissantes (ou alors en passe de le devenir), comme le Japon ainsi que le Canada ou la Corée du Sud, sont solidement rivées à ce que l’on appelle l’Occident. 

Enfin, celui-ci repose sur une cohérence qui excède les seules dimensions militaires et économiques : il procède aussi de l’institutionnel, puisque la quasi-totalité des pays concernés (à l’exception de la Turquie) sont des démocraties. Je le répète : les BRICS n’incarnent pas une alliance ni ne constituent une entité susceptible de contrebalancer ce que l’on appelle l’Occident.

Docteur HDR en géopolitique et professeur de relations internationales, Frédéric Encel publie à la rentrée Les Voies de la puissance (Odile Jacob, Prix du Livre géopolitique, version poche) et Les 100 Mots de la guerre (QueSais-Je?, PUF). Il organise par ailleurs les Rencontres géopolitiques annuelles de Trouville sur Mer, 21-24 septembre 2023, « Mers et océans ». Entrée libre. 

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