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Non, la campagne ne permet pas à tout le monde de décompresser et ce sont des psys qui le disent
©Reuters

L'air de la ville rend libre

Selon une étude publiée par le Journal of Consumer Psychology, certaines personnes névrotiques trouveraient les environnements urbains plus reposants que la proximité de la nature.

Jean-Pierre Winter

Jean-Pierre Winter

Jean-Pierre Winter est psychanalyste. Il a notamment écrit  "Il n'est jamais trop tard pour choisir la psychanalyse" (La Martinière), "Les errants de la chair" (Calmann-Lévy) et  "Les images, les morts, le corps, entretien avec Françoise Dolto" (Gallimard). 

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Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Atlantico : Selon une étude publiée par le Journal of Consumer Psychology (voir ici), certaines personnes névrotiques trouveraient les environnements urbains plus reposants que la proximité de la nature. Comment a été menée cette étude et que nous apprend-elle précisément ?

Jean-Pierre Winter : Cette étude me semble peu pertinente dans la mesure où chaque personne réagit en fonction de sa nature, de son histoire, de l’endroit où elle a vécu et surtout de sa névrose. De même que le terme “nature” peut correspondre à des réalités différentes d’une personne à l’autre.

Pascal Neveu : Cette étude est réalisée à partir d’un questionnaire sur 12 items, sur une population indéfinie (pas forcément névrotique), et ne prenant pas en considération les aspects culturels. Le lien que nous avons avec la nature, la montagne, la plage, le soleil, la pluie... rappelle des études sur les dépressifs qui en revanche énonçaient que la montagne et la nature se révélaient être de meilleurs "milieux" de reconstruction. Il y a dans cette étude un amalgame possible qui pose souci. Il faut d’abord définir ce qu’est la névrose. Nous sommes tous des névrosés ! (à part les psychotiques qui en revanche vivent une fragmentation de leur personnalité). La névrose nous permet d’évoluer dans n’importe quel environnement en menant une vie normale !

Qu'est-ce qu'une névrose ? Comment se caractérise-t-elle ? Dans quelle mesure peut-elle changer les perceptions que l'on se fait d'une chose généralement admise, comme l'effet bénéfique du fait de "se mettre au vert" ?

Jean-Pierre Winter : La névrose est l’expression d’un conflit psychique entre des forces qu’on dira pulsionnelles, des aspirations à satisfaire nos sens et nos fantasmes, et des interdits protégeant la personne de ses velléités à satisfaire ses pulsions asociales qui la mettraient hors-jeu dans ses relations vis-à-vis de sa famille et de la société. Une névrose est un mode de défense contre ce qui peut s’avérer préjudiciable à la vie, au vivre ensemble et à la cruauté du monde.Ce sont des défenses qui sont élaborées pendant l’enfance, pour se protéger de sa vie intérieure et du monde extérieur, et qui ont comme caractéristiques d’être utile pendant l’enfance mais qui deviennent anachroniques à l’âge adulte. On voit le monde à travers une grille fantasmatique qui a pour avantage d’obscurcir la partie de la réalité qui ne nous convient pas, que ce soit la réalité intérieure ou extérieure. Mais le côté négatif, c’est qu’en obscurcissant la réalité, on exclut la partie qui s’avérerait “utile” si elle était bien exploitée, pour créer des liens dans la vie ou travailler. Il y a différents types de névroses, de plusieurs degrés qui peuvent toucher à certains domaines et pas d’autres. On peut par exemple être névrosé ou inhibé - qui est un symptôme de la névrose - dans son travail et être tout à fait normal dans sa vie affective.

Pascal Neveu : Sur un plan psychanalytique il existe 2 types de névrose : l’hystérie et la névrose obsessionnelle. Elles ont pour source un conflit. Chez l’hystérique, un désir inassouvi, chez l’obsessionnel, l’angoisse d’absence de contrôle de nos pulsions, de nos choix d’objets... Pour le dire simplement, une difficulté à vivre de manière naturelle, aisée, simple notre rapport à la vie, jusqu’à nous la compliquer, à nous l’interdire pour des raisons que nous explorons en thérapie. En deux mots, un névrosé, comme vous et moi, est un être dont les désirs ont été frustrés, contrariés non pas par la faute des autres, mais parce que l’autre ne les comprenait pas (parents, entourage...) ou les interdisaient (la société, la religion...). Le névrosé est la personne la plus équilibrée sur le plan psychique, qui compose entre ses désillusions, ses souffrances mais qui est sans cesse en quête d’amour, de plaisir... de vouloir jouir de la vie, en composant avec ce qui est de sa pulsion libidinale et les interdits sociétaux... et ce qu’on appelle l’idéal du Moi... la façon dont Moi je me perçois, ou peux être perçu de manière bonne ou mauvaise dans le regard de l’Autre. Aussi se "mettre au vert", c’est se mettre à couvert, et non à découvert... donc se cacher, et cacher à l’autre ce qu’inconsciemment je n’accepte pas.

En quoi le cadre de la ville peut-il être source de bien-être et aider des personnes ayant des tendances névrotiques à se libérer l'esprit ? Comment s'explique ce phénomène ?

Jean-Pierre Winter : Cela dépend du type de névrose de laquelle on est victime et de la ville elle-même. Il y a effectivement des avantages à vivre en ville pour une personne souffrant de névrose affective, dans la mesure où celle-ci implique d'avoir du mal à gérer beaucoup de contacts en permanence. Si on a envie de vivre seul et caché, une ville peut être un refuge, car elle permet une certaine anonymité que l'on a moins lorsque l'on vit dans des villes ou des villages plus petits, où les personnes se connaissent plus ou moins toutes entre elles.

Vivre dans une ville sollicite aussi beaucoup notre attention. On est obligé de faire plus attention à ses voisins, à la circulation... soit à des choses dont on n'a pas à se préoccuper à la campagne. Mais pour quelqu’un de névrosé, vivre à la campagne peut être très angoissant car justement, elle a toujours besoin de se sentir sollicitée, sinon elle a l’impression de ne pas exister.

Pascal Neveu : La ville a une capacité étayante, c’est-à-dire, capable de nous apporter des filets de sécurité psychique... de nous cacher, ou de vivre également ce que notre vie intérieure souhaite exprimer, explorer. La nature est davantage un vide qui renvoie et "force" à une intériorité qui peut se révéler perturbante et fragilisante.

De plus, nous nous sommes développés dans des environnements différents. Nous avons donc une propension à rechercher un enveloppement dans des milieux connus. La ville a dépassé la ruralité : c’est un lieu d’expression de son identité par le travail, le lien social, le lien affectif, les réussites...

Finalement, comment trouver le meilleur environnement pour se sentir mieux lorsqu'on est sujet à des névroses ?

Jean-Pierre Winter : Il faut vivre là où on se sent bien, que ce soit dans la nature, à la montagne, à la mer ou en ville. Et si, on ne se sent bien ni dans l’un ni dans l’autre, il faut faire comme l’humoriste disait “Il faut construire la ville à la campagne”. Tout est question d’association d’idées, de culture, de notre histoire personnelle ou de nos origines.

Pascal Neveu : Je me permets de le redire... nous sommes tous névrosés... à nous questionner, à nous remettre en question, à finir par nous dire que ce que nous vivons n’est pas surprenant. Au contraire, je pense que vivre notre névrose en ville nous permet de nous "cogner" à ces questionnements, à cette introspection salutaire. Tout environnement est bon à partir du moment où nous sommes en lien avec ce que nous sommes. Voltaire écrivait qu’il faut cultiver son jardin. Freud et Lacan le disaient différemment : notre advenir est notre avenir !

Propos recueillis par Thomas Gorriz

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