Ni Putes Ni Soumises a 10 ans : et dans les banlieues, quel bilan ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Ni putes Ni soumises fête cette année ses 10 ans.
Ni putes Ni soumises fête cette année ses 10 ans.
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Tout reste à faire

L'association Ni Putes Ni Soumises, née en 2003 pour défendre la situation des femmes dans les quartiers, fête cette semaine ses dix ans d'existence.

Lydias  Guirous et Nacira Guénif

Lydias Guirous et Nacira Guénif

Lydia Guirous est fondatrice et présidente de l'association féministe Future, au Féminin et membre de l'UDI. 

Nacira Guénif-Souilamas est une sociologue et anthropologue française, elle est également maître de conférences HDR à l'Université Paris-XIII.

Elle est notamment l'auteur de Les féministes et le garçon arabe aux éditions de l'Aube.

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Atlantico : L'association Ni Putes Ni Soumises (NPNS) fête aujourd'hui son dixième anniversaire. Leur  revendication initiale était  d'alerter l'opinion publique sur le machisme dans les quartiers populaires . Peut-on dire que dix ans après, ce message a été entendu ?

Lydia Guirous :Je crois que le message initial porté par Fadela Amara était juste et qu'il avait trouvé un écho favorable dans l'ensemble de la société et de la classe politique. Malheureusement, au départ de Fadela Amara pour le ministère de la Ville, cette association a progressivement décliné, minée par les querelles internes. 

Paradoxalement, l'action de NPNS, qui d'une certaine manière a stigmatisé les hommes issus d'une minorité ethnique ou religieuse, n'a fait qu'accentuer le machisme dans les quartiers populaires. Ce sentiment a été également renforcé sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy par la promotion de femmes issues de la diversité. Les hommes des quartiers populaires ont eu à ce moment là, le sentiment d'être délaissés par la classe politique. Donc, effectivement, le machisme s'est renforcé dans les banlieues mais ce n'est pas la faute de NPNS mais plutôt la faute de l'incapacité de la classe politique à corriger les inégalités sociales grandissantes.

Nacira Guénif : L'alerte dans sa formulation était erronée, et le message a été mal et trop entendu. Avec l'affaire DSK,  on a eu une espèce de sidération à ce moment-là. On s'apercevait que le machisme n'était pas l'apanage des jeunes de banlieue. Le machisme est largement très bien partagé dans toutes les strates de la société française.  Le patriarcat n'est pas une affaire de milieu social.

La dénonciation des hommes de quartier permettait de dissimuler, de voiler et de masquer le machisme voilé de la société française.  Et le ton et le fond de ce qui prétendait être mis en évidence, tout cela était très dommageable à la compréhension et  à la réalité de ce qui se passait dans les quartiers.

Quelles sont les difficultés qui persistent dans les banlieues ? Pourquoi ?

Lydia Guirous :Les banlieues catalysent l'ensemble des peurs, des frustrations et des injustices de notre société. Les inégalités sociales se sont accrues et l'ascenseur social vanté par la gauche s'est depuis longtemps arrêté au rez-de-chaussée dans les Zones urbaines sensibles (ZUS). Le grand responsable de ce malaise dans les banlieues est le ministère en charge de la Politique de la ville qui s'acharne depuis 30ans à injecter de l'argent dans les ZUS pour maintenir ces populations sur place. Or, le défi des banlieues n'est pas de maintenir les gens sur place mais de les extraire. Ces derrières années on a eu trop tendance à faire du ministère de la Ville, le ministère des ZUS. La politique de la ville n'est jamais qu'une politique d'aménagement du territoire. Ce territoire n'est pas les banlieues, mais la France dans son intégralité. Concernant les femmes, aucune avancée marquante n'a eu lieu en dépit des millions d'euros injectés par l'Agence pour la cohésions sociale et l'égalité des chances (l'ACSE). La mixité n'a pas progressé, les violences faites aux femmes ont augmenté et le port du voile et des burqas a augmenté dans l'espace public. C'est donc un échec. La politique de la ville, jusqu'à présent, n'a fait que provoquer un repli communautaire dans les banlieues.

Nacira Guénif : Les femmes sont  toujours autant  touchées  par la dégradation de leurs conditions économiques, ce qui les rend particulièrement vulnérables.  Dès qu'il y a des dégradations  des conditions matérielles d'existence, ce sont les femmes qui sont les plus exposées. La dénonciation des violences faites aux femmes, qui était au cœur de ce mouvement, l'essentiel du travail qui existait auparavant  NPNS a été affaibli par la montée en puissance de l'association. Une immense partie des subventions qui leur étaient accordées ont été amputées pour alimenter ce qui est devenu le fond de commerce de NPNS. Les moyens qui existaient de façon très fragiles sur ces questions-là ont été taris. Dans ces conditions, il est difficile de considérer que la situation s'est améliorée. Même de ce point de vue là, les associations ont passé près de dix ans à démêler les effets délétères du discours de NPNS.

Il y a eu un raidissement de ces populations stigmatisées, une disqualification des populations de ces quartiers, dont les femmes, qui vivent des des conditions d'existence qui se sont aggravées dans les banlieues. Cela affecte les relations entre les individus : vivre une situation amoureuse ou familiale dans une situation de précarisation, avec les effets violents qu'elle impose, cela est un véritable tour de force. Cela existe, mais c'est vrai qu'à la fois les discours et les conditions économiques ne rendent que plus problématiques les possibilités de lutter contre les situations de tension entre les hommes et les femmes. Pour réussir à amortir les effets tangibles de la fragilisation économique et sociale, il faut beaucoup d'imagination et beaucoup de résistance. Et ce n'est pas forcément avec les discours entendus ces dernières années qu'on y parvient le mieux, tout bord politique confondu.

 D'ailleurs, si le discours de dénonciation a été si consensuel, c'est parce qu'il arrangeait aussi bien le gouvernement de droite et de gauche.  Cela permettait de dédouaner la classe politique, puisqu'il réduisaient cela à un problème idéologique, un problème de mœurs.

Comment les résoudre ? Le militantisme peut-il être la seule solution ?

Lydia Guirous :Le militantisme pour les femmes est aujourd'hui dépassé et perverti par le jeu politique. S'il avait un sens pendant le MLF, lors de la loi sur l'IVG, ou bien encore sur le divorce, il est aujourd'hui totalement désuet voire contreproductif. D'ailleurs même NPNS a cessé ses grands happenings des années 2000. Certaines associations ont tenté de reprendre ces démonstrations de rue comme Osez le féminisme (OLF) ou les FEMEN. Heureusement la portée de leurs actions est relativement faible car pour militer il faut d'abord avoir un message clair et cohérent, ce qui n'est pas leur cas. Aujourd'hui il faut penser le féminisme comme une politique publique comme les autres et non comme une idéologie issue de la lutte des classes. Les femmes ont évolué, elles ont de nouvelles attentes, ce que certaines associations refusent d'entendre...

Nacira Guénif : L'activité associative continue.  Les associations font état du caractère dommageable d'un discours idéologique d'exclusion, qui prétend désigner les coupables. Ces discours les empêchent de travailler sur le terrain, face aux problématiques qui se posent à eux.  Prendre comme alibi le sexisme qui existerait dans les quartiers n'est pas recevable, et cause du tort à la population. Les discours idéologiques ont  rendu encore plus difficile leur combat au quotidien.

NPNS  a été une des associations pour le combat des femmes les plus médiatisées ces dernières années, pourtant, son bilan reste en demi-teinte.  N'a-t-on pas surestimé ce qu'elles représentaient et leur pouvoir ? Finalement ne servent-elles  pas seulement  à soulever certains problèmes en tenant un discours politique certes abouti , mais qui n'a pas les capacités d'apporter de solutions concrètes dans les banlieues  ?

Lydia Guirous :Je ne crois pas. NPNS a eu le mérite de porter sur la scène publique de réels tabous qui existent dans les banlieues, et à ce titre on ne peut que les remercier. Les associations ne sont pas là pour mener des politiques publiques et encore moins agir à la place des pouvoirs publics. Les associations ont pour objectif d'éclairer la décision publique mais certainement pas de la prendre. Si le discours de NPNS n'a que partiellement abouti c'est surtout parce qu'il n'a pas été relayé par la classe politique. Toutefois, on ne peut que saluer l'action courageuse de Fadela Amara qui s'est énormément investie lors de la loi sur la burqa.

Nacira Guénif : NPNS a répondu à ce qu'on attendait d'elle : une capacité à faire monter en puissance un discours idéologique  qui dépolitisait totalement les questions et qui dédouanait d'agir. C'est un discours qui a exempté l'ensemble des acteurs politiques d'agir, en réduisant ce problème à un problème culturel, en sous-traitant les questions civilisationnelles et de mœurs. Il y a eu un manque de discernement politique, alors qu'à aucun moment le pouvoir politique n'a cherché à stopper cette instrumentalisation du discours.

Elles ont  permis de réaliser un moratoire social : rien n'a été fait. C'est un discours qui a parfaitement servi cet objectif de désengagement. Maintenant, il faut réussir à réparer, rebâtir, toutes ces divisions et ces démobilisations sociales.

NPNS est symptomatique d'un certain climat politique d'un pouvoir politique qui se désengage, qui prétend ne pas assumer le pouvoir pour lequel il se fait élire. Et au cours de cette décennie, c'est une chose qui a été très partagée entre les différents protagonistes. 

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