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Neige et froid : ces Français qui peinent à se chauffer
©Reuters

Gla-gla

La dépression hivernale qui touche le pays depuis lundi ne cesse de s'étendre. Une bien mauvaise nouvelle pour les millions de personnes en France qui peinent à se chauffer.

Bertrand Lapostolet

Bertrand Lapostolet

Bertrand Lapostolet a pris depuis 2017 la direction de SoliNergy, Fonds de dotation dédié à la lutte contre la précarité énergétique, au sein du groupe Effy.

De 2008 à 2017, responsable de programmes à la Fondation Abbé Pierre, a notamment animé le programme « Toits d’Abord » et cosigné le rapport « Précarité énergétique » du Plan Bâtiment Grenelle.

De 2003 à 2008, engagé dans la mise en œuvre des politiques publiques comme chef de projet du PDALPD (Plan départemental d’actions pour le logement des personnes défavorisées) et du FSL (Fonds de solidarité logement) de la Loire.

Diplômé en sociologie et sciences politiques, impliqué de 1990 à 2003dans la mise en œuvre sur le terrain du droit au logement (chargé de mission dans le secteur associatif lyonnais).

 

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Atlantico : Combien de personnes en France sont-elles considérées comme "mal chauffées" ?

Bertrand Lapostolet :  Il existe malheureusement un nombre croissant de personnes en situation de précarité énergétique en France. Selon le rapport 2018 de la Fondation Abbé Pierre, 11 millions de personnes ont déclaré en 2013 avoir froid chez elles, soit une augmentation de 72% par rapport à 1996. L’Observatoire national de la précarité énergétique considère que 5,6 millions de ménages, soit 12,2 millions de personnes sont concernés par la précarité: 1 ménage sur 5 est concerné et plus d’1 million de ménages sont gravement touchés par la précarité énergétique.

Ils se privent car leur seul choix c’est d’avoir froid ou de se ruiner pour se chauffer, ils sont contraints à faire des arbitrages dont les conséquences sont graves. Ils ne veulent pas se mettre en situation d’impayé sur leur facture énergétique où veulent tout simplement être capable de payer le loyer à la fin du mois.

La part des dépenses thermiques dans le budget des ménages a-t-elle évolué ?

La facture d’énergie dans le logement frise aujourd’hui 1700€ en moyenne par an, soit 4,5% de plus qu’en 2016 : on comprend bien que les ménages modestes ont du mal à y faire face !

Quelles sont les conséquences néfastes d'un logement mal chauffé ?

Couper le chauffage et même le réduire sont des pratiques qui génèrent des problèmes de santé mais aussi de sécurité. Beaucoup de foyers coupent le chauffage principal et prennent des chauffages d’appoint pour dépenser par petits bouts. Ils se chauffent en fait très mal et produisent de l’humidité et même du monoxyde. Cela peut causer par la suite des accidents, des brûlures, ainsi que des intoxications graves. 

L’impact de la privation de chauffage est énorme. Nous parlons de spirale de la précarité énergétique. La privation entraine des problèmes de santé, de mal-être, de repli sur soi. Elle entraine aussi une dégradation du logement : humidité, moisissures. C’est un cercle vicieux dont les conséquences sont dramatiques : des études montrent que la privation de chauffage a un impact sur des pathologies aigües et chroniques (maladies cardio-vasculaires, respiratoires, dépressions) : la précarité énergétique est aussi un problème de santé publique et contribue au déficit de la Sécurité sociale.

Qui sont ces Français "mal chauffés" ?

Sur le plan géographique, il y a évidemment un impact des zones climatiques mais il y a de la précarité énergétique partout en France. Du fait de l’augmentation massive de la dépense contrainte, les personnes touchées ne sont pas uniquement dans la grande exclusion et la grande pauvreté : méconnaissant souvent les dispositifs faits pour les aider, ou refusant même de s’y adresser par peur d’être considérés comme des « cas sociaux », ils sont donc souvent « invisibles et silencieux », et le premier enjeu pour traiter leur situation est de les repérer, d’aller à leur rencontre.

Tous les statuts d’occupation sont concernés : propriétaires occupants, locataires, en habitat individuel ou collectif. Ils ont en commun que leur situation de précarité les relègue à vivre dans des logements qui sont des passoires thermiques : propriétaires ils n’ont pas les moyens de financer seuls les travaux de rénovation thermique nécessaires, locataires ils n’ont pas le choix de louer un logement performant. 

Les aides sont-elles adaptées ?

Les réponses collectives concernant la précarité énergétique ont progressé, suite à la loi de Grenelle 2 en 2010 et plus récemment avec la loi de transition énergétique :, programmes d’action dont le plus important est « Habiter mieux », certificats d’économie d’énergie (CEE) dont la part consacrée à la lutte contre la précarité énergétique a été majorée pour la période 2018-2020, etc.

Si l’effort collectif s’est intensifié, force est de constater que le nombre de ménages touchés continue d’augmenter. Il faut donc redoubler d’efforts. Par ailleurs, toutes les situations doivent être prises en compte, or si les logements HLM et les propriétaires-occupants de maisons individuelles disposent d’aides plutôt adaptées, tout ou presque reste à faire sur les copropriétés et le parc locatif.

Concernant le locatif, les aides ne peuvent pas tout. Il est impératif d’envoyer un signal fort aux bailleurs et –tout en leur proposant des aides si nécessaire- les amener à faire les travaux indispensables pour qu’on ne puisse plus voir louer de passoires thermiques. Suite à une forte mobilisation des acteurs, la loi de transition énergétique a prévu dans son article 12 l’intégration aux critères de décence des logements mais le décret qui a été pris est mal rédigé n’a pas d’effet pratique.

Quelles solutions préconisez-vous pour un meilleur chauffage des logements français ?

La priorité est de rénover les passoires thermiques occupées pour la plupart par des ménages modestes : traiter plusieurs millions de logement, dans un délai le plus court possible représente un investissement important, d’abord pour la collectivité, mais la gravité de la situation et la possibilité d’un retour sur investissement assez rapide doivent motiver des mesures ambitieuses. 

Un collectif d’ONG et d’entreprises, l’Initiative Rénovons, est mobilisé sur ce thème depuis l’an dernier. La nouvelle mandature a pris des engagements et le gouvernement consulte actuellement autour d’un plan de rénovation énergétique de l’habitat qui doit être ambitieux : nous verrons sous peu si les mesures concrètes sont à la hauteur de l’enjeu.

Une étude de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), concernant le Royaume-Uni, montre qu’un euro investi pour rendre un logement chauffable représente directement 42 centimes d’économies sur les dépenses de santé. Au-delà d’une économie de soins et dépenses de santé,  un plan de rénovation thermique ambitieux générerait pour l’Etat des recettes fiscales, des emplois non délocalisables, une réduction des importations d’énergie. Un tel plan serait rentable pour la collectivité !

Enfin il ne faut pas oublier, au-delà de cet effort de massification des rénovations, qu’une partie des ménages en précarité ont besoin d’un accompagnement spécifique avant, pendant et après les travaux : les programmes prévus dans le dispositif des CEE (SoliNergy en porte un : MAGE, Mesurer et Accompagner pour Garantir les Economies*) proposent des réponses adaptées qui doivent être soutenues.


*http://www.solinergy.com/programme-mage/

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