Napoléon où l’art du renseignement d’intérêt militaire <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Histoire
Gérald Arboit publie « Napoléon et le renseignement » aux éditions Perrin.
Gérald Arboit publie « Napoléon et le renseignement » aux éditions Perrin.
©Philippe LOPEZ / AFP

Bonnes feuilles

Gérald Arboit publie « Napoléon et le renseignement » aux éditions Perrin. Ce livre renouvelle la compréhension du renseignement à l'époque napoléonienne en l'inscrivant dans sa dimension européenne et transnationale et non plus strictement nationale. L'ouvrage révèle l'appétence insoupçonnée de l'Empereur pour le renseignement jusqu'aux derniers moments de son règne et dans l'exil. Extrait 1/2.

Gérald Arboit

Gérald Arboit

Gérald Arboit est directeur de recherche au Centre français de recherche sur le renseignement  et chargé de cours dans plusieurs universités français (Colmar, Strasbourg, Metz).

Voir la bio »

Prolongeant d’un point de vue tactique le renseignement étranger du ministère des Relations extérieures, le renseignement d’intérêt militaire participa à la définition de la politique étrangère du Consulat et de l’Empire. Dans la traditionnelle acception clausewitzienne, selon laquelle seule la force comptait, la guerre napoléonienne fut comprise comme offensive, cherchant l’attrition de l’adversaire afin de gagner la victoire. Dans cette conception, le renseignement comptait pour peu, à tout le moins ne menait pas nécessairement à la victoire au combat. Cette lecture sembla même confirmée par les propos de Napoléon. Pourtant, à la lumière des évolutions de l’art opératif depuis la moitié du XVIIIe  siècle, constatée par la New Military History analysant la guerre sous ses aspects théoriques, idéologiques et logistiques, le renseignement d’intérêt militaire connut une période d’acculturation. Les principes du renseignement d’origine humaine furent enfin posés durablement. Ce fut également à cette époque que les armes savantes, l’artillerie dans le cas de Bonaparte, mais surtout le Génie, s’affirmèrent face à la cavalerie légère.

Napoléon et le renseignement

À y regarder rapidement, maximes impériales à l’appui – qui, « disséminées au hasard, paraissent être, d’une part le fruit de son imagination vive et ardente ; de l’autre le résultat de ces médiations dans les mémoires des XVIIe   et XVIIIe   siècles et […] dans ceux de ses généraux » –, il est clair que Napoléon eut une vision assez réduite du renseignement : « Reconnaître lestement les défilés et les gués, s’assurer des guides sûrs, interroger le curé et le maître de poste, avoir rapidement des intelligences avec les habitants, expédier des espions, saisir les lettres de la poste, les traduire, les analyser ; répondre enfin à toutes les questions du général en chef, lorsqu’il arrive à la tête de l’armée : telles sont les qualités que doit avoir un bon général d’avant-poste. »

Cette cinquante-sixième maxime se rapportait en fait à une définition de la reconnaissance d’avant-poste, comme aurait pu l’écrire Antoine Fortuné de Brack. Aussi, pour avoir une idée plus précise de la pensée impériale en matière de renseignement, fallait-il plutôt regarder la définition du « bon général », dressée par Antoine-Henri Jomini : « Un général ne doit rien négliger pour être instruit des mouvemens [sic] de l’ennemi, et employer à cet effet des reconnaissances, des espions, des corps légers conduits par des officiers capables, enfin des officiers instruits chargés de diriger aux avants-gardes [sic] les interrogatoires des prisonniers. » Cet officier d’état-major suisse, au service de la France jusqu’en 1813, put observer Napoléon en action au sein de l’état-major de la Grande Armée, pendant les campagnes d’Allemagne (1805), de Prusse (1807), d’Autriche (1809) et de Russie (1812). Il assista aux premières loges à cette « étincelle morale » dont parlera l’Empereur à Sainte-Hélène, « résultat d’un instant, d’une pensée […] des combinaisons diverses » et qui décidait du « sort [de chaque] bataille ». Ses réflexions sur les moyens de « bien connaître les mouvemens [sic] de l’ennemi », il les puisa dans la pratique impériale analysée au plus près, empiriquement. Rappelant qu’« il [fallait] néanmoins se défier de ces moyens et ne pas trop y compter pour la combinaison de ses opérations », il assura qu’« en multipliant des renseignements quelque imparfaits et contradictoires qu’ils soient, on parvient souvent à démêler la vérité du sein même de leurs contradictions ». Fort de ses observations, idéalement placé pour étudier son modèle, il put « garantir que dans ce cas, rien de bien imprévu ne pourra venir le surprendre et lui faire perdre la tête comme cela arrive si souvent : car à moins d’être tout à fait incapable de commander une armée, on doit être en état de faire les suppositions les plus probables sur ce que l’ennemi entreprendra, et adopter d’avance un parti sur l’une ou l’autre de ces suppositions qui viendrait à se réaliser. Je ne pourrais trop le répéter, c’est dans de pareilles suppositions, bien posées et bien résolues, qu’est le véritable cachet du génie militaire ».

Ces « suppositions les plus raisonnables » reposèrent, pour Napoléon, sur une appréhension globale, tant politique qu’économique et culturelle, du combat, sur une intelligence de la guerre confinant à ce que l’on devait appeler plus tard le « renseignement stratégique ».

De fait, son indéfectible complicité avec Savary, son aide de camp depuis 1801, puis son ministre de la Police générale de 1810 à 1814, fut emblématique de l’intérêt de Napoléon pour le renseignement. Savary était moins le séide de l’Empereur ou l’exécuteur des basses œuvres de son maître, que le chef du « service secret » que Napoléon entretenait à ses côtés. Il fut l’officier traitant de quantité d’« émissaires », à commencer par le plus connu d’entre tous, Charles-Louis Schulmeister. Nonobstant la pitoyable affaire Malet, habilement montée et exploitée par le camp Fouché-Talleyrand, il disposa tout autant que Fouché des réseaux nécessaires à la sécurité de l’Empire. Et il se montra tout aussi capable de mener, accompagné de l’interprète Louis Le Lorgne d’Ideville, une mission de renseignement, sous couvert diplomatique, dans une Russie dont on ne savait rien en Occident. Contrairement à la France, l’impression des états militaires, mais aussi des cartes, y était prohibée. Il fallut donc envoyer des agents chercher l’information sur place.

Savary et Le Lorgne accomplirent une reconnaissance, au sens classique entendu au Dépôt de la guerre comme au Cabinet de Napoléon. Maximilien Gérard de Rayneval, secrétaire et chargé d’affaires à Saint-Pétersbourg (1801-1804), et son élève attaché Achille Prevost, véritables connaisseurs de la Russie, restèrent dans leurs nouvelles affectations, respectivement Lisbonne et Constantinople jusqu’à la nomination de Caulaincourt. Mais Le Lorgne disposa aussi d’une expérience de la Russie, puisqu’il avait été attaché quelques mois à la légation, avant d’être victime de « formes sévères » l’obligeant à « quitter Saint-Pétersbourg ». Savary dut ainsi s’informer, comme un diplomate, sur cette société russe qui restait un mystère, en étudier les partis et les intrigues, pour chercher à y créer une faction francophile. Il nota seulement « quatre choses bien distinctes, et le savoir : la cour, la noblesse, le corps des négociants, et le peuple qui est esclave ». Comme un « émissaire », accompagné du secrétaire-interprète de langues slaves Le Lorgne, il chercha aussi à sonder les intentions du nouveau tsar. Sans qu’il soit possible de dire s’il usa de désinformation ou si l’affaire fut réelle, le 31 août 1807, il fit passer à Alexandre les détails d’un possible complot contre lui, échafaudé par un officier prussien ; l’information était censée venir de la police d’Elbląg (Prusse orientale), « dont plusieurs agents étaient soldés » par le maréchal Soult. En novembre, il lui transmit des imprimés calomnieux importés par un membre de la maison impériale. Tout juste s’attira-t-il la sympathie du tsar, ce dernier se gardant bien de croire à une nouvelle conspiration.

Il faut replacer cette reconnaissance de Savary, à laquelle le russophone Le Lorgne d’Ideville avait contribué, au lendemain du traité de Tilsit, marquant le rapprochement entre les deux Empires après deux années de guerre. Il importait alors de s’assurer de la solidité de l’alliance nouvelle. Tel un « agent secret » des Relations extérieures, il dut préparer la venue d’un diplomate mandaté pour traiter, en l’occurrence Caulaincourt. Le chef de bataillon de Génie Charles François de Ponthon lui fut adjoint pour s’enquérir de l’état des fortifications de Cronstadt et de Finlande, ainsi que réaliser des croquis des routes de Memel à Saint-Pétersbourg, obligé de tout mémoriser et reconstituer tout de mémoire une fois de retour à Paris. Les talents d’observation et de pénétration, que Savary possédait au plus haut point, l’aidèrent à effectuer cette mission classique de renseignement d’intérêt militaire. De même, la présence à ses côtés de Le Lorgne, qui fit là ses classes avant de prendre la direction d’un Bureau de la statistique extérieure en novembre 1810, signifia que la fonction d’analyse s’autonomisait de la fonction de recherche. La couverture diplomatique leur permit seulement de gagner la confiance des Russes et de les observer sans en avoir l’air, ni apparaître comme des espions. Talleyrand plaça d’ailleurs cette mission sous l’injonction de « savoir beaucoup en demandant peu ».

La personnalité de Savary et l’objet multiple de la mission qu’il accomplit avec Le Lorgne démontrent l’intérêt que Napoléon prêtait au renseignement mieux que toute interprétation rapide tirée de ses correspondances. Nombre entendirent ce dernier leur dire qu’« un bon chef d’espionnage [leur] serait nécessaire » (5-10838).

Quand bien même Napoléon conseillait son fils adoptif, Eugène de Beauharnais, vice-roi d’Italie, de n’ajouter « aucune foi aux espions, il y a plus d’inconvénient que d’avantage à en avoir » (5-10224), il en fit un usage intensif. « Ces espions ne sont pas des agents du Gouvernement, ne sont pas des fonctionnaires publics, ne sont pas même à la rigueur chargés de missions : ce sont des hommes qui sont là comme Français, qu’on paye comme l’on veut, et qui écrivent ce qu’ils veulent » (4-8525). Ils servirent aussi bien à recueillir de l’information qu’à la manipuler. La plus connue est naturellement celle de Charles-Louis Schulmeister infiltrant l’état-major du maréchal Mack et permettant la reddition de la place forte d’Ulm, verrou de la route de Vienne, en 1805.

Cet intérêt de Napoléon pour le renseignement ne fut point théorique mais plutôt empirique. Le médecin corse qui le soigna à Sainte-Hélène, François Antommarchi, rapporta deux faits relatifs à ce sujet. L’un, une « anecdote de la guerre de Corse », au printemps 1793, concernait le parti anglais de Pasquale Paoli opposé au parti français d’Antonio Cristofaro Saliceti. Réfugié à Bastia, le capitaine Bonaparte cherchait à reprendre le contrôle de l’île, mais ses correspondances étaient systématiquement interceptées par l’adversaire. Aussi dut-il s’en remettre à un « émissaire ». Son choix se porta sur « un paysan rusé, alerte » qu’il affubla « des plus mauvais haillons » afin de le faire passer pour un vagabond à la recherche de « quelque secours pour soutenir sa vie ». Les dépêches de Bonaparte furent camouflées dans « une petite gourde ». Ainsi le faux mendiant parvint-il à déjouer les barrages adverses jusqu’à ce que la gendarmerie, aux ordres de Paoli, l’appréhende à Corte. Ne trouvant rien de plus que lors des autres fouilles, elle allait le relâcher lorsque fut avisé le futur Babbu di a Patria (« Père de la Patrie »). Doutant qu’« un misérable [pût courir] les champs pour demander l’aumône, dans les circonstances » actuelles, Paoli était persuadé qu’il s’agissait d’« un émissaire » portant « quelque message ». Et d’ordonner de casser la gourde qui révéla ses « commissions ».

Si cette anecdote ne prouve pas que Napoléon était déjà féru des techniques de protection des messages et du principe des émissaires, il en va autrement de la seconde anecdote révélée par Antommarchi. Elle concernait le général Bonaparte, commandement en chef de l’armée d’Italie. Cette fois, il s’agissait d’un « émissaire » envoyé par le feld-maréchal autrichien, Josef Alvinczy. Trois hommes furent appréhendés alors qu’ils tentaient de percer le blocus de Mantoue par le village de Sant’Antonio, dans la nuit du 23 au 24 décembre 1796, puis transférés devant le général Thomas Dumas. L’un des trois attira l’attention de l’officier qui le soupçonna d’« être chargé d’une mission importante » et d’avoir avalé un message. Il le fit avouer sous la menace de le faire fusiller et de l’éventrer pour en extraire la missive. Comme elle avait été ingurgitée deux heures plus tôt, il fallut attendre que la nature accomplisse son œuvre. Lorsque ce fut fait, se révélèrent aussi bien l’identité du porteur, « un cadet du régiment de Stra[ss]oldo », qu’un message du chef d’état-major autrichien, le feld-maréchal Franz von Lauer ; rédigé à Trente le 15  décembre, il enjoignait la garnison de Mantoue de résister, sans espérer de secours avant le 5 ou le 15  janvier  1797. Elle se rendra le 2  février. Ces renseignements et le moyen de les obtenir furent aussitôt transmis à Bonaparte par l’aide de camp de Dumas, le capitaine Paul Dermoncourt, puis adressés pour action au chef d’état-major général, Alexandre Berthier. Le moyen utilisé par le messager sera ensuite commenté, moins à l’usage des Directeurs, qu’à des fins de retour d’expérience : « Si cette méthode de faire avaler les dépêches n’était pas parfaitement connue, je vous enverrais les détails, afin que cela soit envoyé à nos généraux, parce que les Autrichiens se servent souvent de cette méthode. Ordinairement les espions gardent cela dans le corps pendant plusieurs jours ; s’ils ont l’estomac dérangé, ils ont soin de reprendre le petit cylindre, de le tremper dans de l’élixir et de le réavaler [sic]. Ce cylindre est trempé dans de la cire d’Espagne délayée dans du vinaigre » (1-1210).

Il apparaît ainsi que Napoléon, général en chef en Italie ou en Égypte, puis Empereur des Français, disposa d’une culture du renseignement. Moins connue demeure son expérience personnelle en la matière. Ainsi, cette accusation d’intelligence avec l’ennemi autrichien, née d’un changement de politique nationale, entre le départ et le retour d’une mission à Gênes, résultant d’une « reconnaissance » (1-218) que Bonaparte avait menée, avec son aide de camp, le lieutenant Andoche Junot, et deux officiers d’artillerie, le chef de bataillon Nicolas Songis et le capitaine Auguste de Marmont. Accompagnés de Louis Bonaparte, ils étaient partis de Nice, le 11 juillet 1794, rencontrant à San Remo le commissaire général du Piémont et gouverneur de la cité, Vincenzo Spinola. « Imbibé de pensée et de la science des Jacobins », ce francophile les avait informés des faiblesses des forteresses de Gavi et Savone. Deux jours plus tard, à Loano, Bonaparte recevra ses instructions de la part des commissaires niçois lui enjoignant de faire reconnaître les forteresses de Gênes et de Savone, leurs équipements et leur environnement, « afin d’avoir des renseignements sur des pays qu’il import[ait] de connaître dans le commencement d’une guerre dont il n’[était] pas possible de prévoir les effets ». Bonaparte avait également rencontré le chargé d’affaires français dans la République ligure, Jean Tilly, afin qu’il fasse pression sur le gouvernement génois et l’oblige à livrer la poudre « achetée pour Bastia et qui avait été payée ». Il lui demanda également de tempérer sa rigueur jacobine et celle « de ses agents, sur lesquels il rev[enait] différentes plaintes ». Les quatre jours à Garesio, à compter du 23 juillet, seront encore passés avec Filippo Buonarroti, un Toscan impliqué dans les affaires de Corse (1789-1794), pour établir des « opérations maritimes » (1-241).

Cette « reconnaissance », entourée du plus grand secret au départ de Nice, avait été observée par les .ministres autrichien et russe à Gênes, ainsi que par les agents du Doge. Après le retour de Bonaparte à Nice, le 28 juillet, elle lui valut d’être arrêté par les représentants du Comité de salut public. Le 6 août, l’heure était aux règlements de comptes suite à la déchéance de Robespierre. « Qu’allait faire ce général en pays étranger ? » se demanda même son ami, Saliceti. Il l’avait pourtant protégé jusque-là. À l’évidence, ce dernier cherchait à s’attirer les bonnes grâces du nouveau Comité, désirant se tenir à distance de Bonaparte qui passait pour un protégé de Robespierre. Peut-être fallait-il y voir aussi de la jalousie dans le domaine privé ? Ce fut néanmoins Saliceti qui sortit Bonaparte de ce mauvais pas. Il trouva dans les papiers du général les instructions du 13 juillet précédent. La « reconnaissance » répondait bien à un ordre d’un représentant du Comité. De plus, la démarche diplomatique de Bonaparte porta ses fruits, Gênes restant neutre25. Seules les « opérations maritimes » vers la Corse furent « un peu contrariées » (1-232, 238, 238). En foi de quoi, le 20  août, le général d’artillerie put reprendre son commandement. Magnanime, Bonaparte retint seulement que son « voyage à Gênes [lui aura] même occasionné quelques moments d’ennuis » (1-241). Ce sentiment explique certainement pourquoi aucun rapport de cette reconnaissance ne figure parmi les mémoires conservés au Dépôt de la guerre. Le général Bonaparte était pourtant un officier rédacteur affirmé, préparant des plans de guerre dès le printemps 1794. Au moment où sa carrière fut la plus compromise, entre son rappel (22 avril 1795) et son retour en Italie (4 octobre 1795), il fit même partie du bureau topographique du Comité de salut public, finalisant le 21  août le plan de campagne de l’armée d’Italie.

Devenu Napoléon, l’ancien général de l’armée d’Italie n’oublia certes pas son expérience du renseignement d’intérêt militaire. Tout au long des campagnes qu’il mena personnellement ou par l’entremise de ses plus fidèles lieutenants, il ne manquera jamais d’utiliser le renseignement pour définir son plan de bataille, depuis l’ordre de bataille adverse deviné à partir de sources ouvertes et d’observations jusqu’aux reconnaissances du Génie, destinées à établir les routes et l’espace de bataille. Là réside une partie de cette capacité à amener l’ennemi à se battre sur le terrain qu’il avait choisi. La manœuvre découlait toujours du renseignement. Elle le fut également à l’île d’Elbe, quand l’Empereur déchu décida de reconquérir son trône. L’analyse de ses réseaux de communication permit même de déduire que cette décision intervint dès le séjour à Fontainebleau, très certainement entre le 13 et le 16 avril 1814.

Maret, son secrétaire d’État, mit au point des liaisons qui échappèrent à la police française, à la Polizeihofstelle viennoise, ainsi qu’à la surveillance des commissaires des puissances alliées surveillant Napoléon à Portoferraio. La filière autrichienne fut la plus simple à mettre en œuvre. La famille Beauharnais y pourvut, Hortense, ancienne reine consort de Hollande, à Paris, entretenant innocemment une correspondance avec son frère, Eugène, qui assistait au congrès, officiellement pour le compte de son beau-père bavarois. Cette liaison, qui utilisa aussi bien l’entremise des courriers de Wellesley que de « quelqu’un de l’entourage de Talleyrand » depuis Paris, fut toutefois éventée début février 1815. D’abord, le 6 février, un valet d’Eugène, Gascogne, découvrit qu’une lettre avait été pliée précautionneusement et cachée dans une brosse. Il en apporta une copie à son officier traitant, le commissaire Weyland, de la « haute police » viennoise. Ensuite, le 11 février, le « jeune comte [Louis] de Bonnay », pourtant âgé de neuf ans, chercha à sonder le commissaire de la Polizeihofstelle qui suivait la délégation française, agissant assurément pour le compte de l’aide de camp du comte d’Artois, l’inquiet colonel Alexis de Noailles.

Maret n’eut aucun mal à recruter des « agents secrets ». Il était au courant des velléités de Devoize de recouvrer son poste consulaire à Tunis, ainsi que de ses secrets arrangements financiers dans la Régence, ce qui lui donna un levier pour obtenir la participation du domestique de ce dernier, le Crétois Laki. De même, il plaça auprès du nouveau directeur général de la police, le 4 décembre 1814, un de ses affidés, François-Marie Monnier, qui avait été son chef de cabinet aux Relations extérieures. À ce nouveau poste, ce dernier put se charger du contre-espionnage de l’opération clandestine. Maret contacta aussi des officiers rencontrés dans les salons d’Hortense, devenue duchesse de Saint-Leu, comme le colonel Charles de Labédoyère, ancien aide de camp de Jérôme. Chef de corps du 7e  de Ligne de Chambéry par les accointances de sa famille royaliste avec le nouveau régime, régiment qu’il se refusait de rejoindre par bonapartisme, il était aussi un intime de Simon Moritz von Bethmann, banquier de Francfort et consul de Russie. Ancien ministre des Relations extérieures, Maret semblait ainsi se ménager des liaisons aussi bien avec les grandes puissances européennes du moment, la Grande-Bretagne, l’Autriche et la Russie, qu’avec des soutiens financiers potentiels, que ce furent le pacha de Tunis ou un important banquier de la place de Francfort. Cet aréopage semblait ébaucher une politique concertée.

Pour cela, il fallait qu’il soit en relation avec l’île d’Elbe. Là encore, tout était à bâtir, même si Napoléon agissait inévitablement depuis son exil. Maret recruta le général de brigade Louis Evain, chef de la 6e  division (artillerie) du ministère de la Guerre, afin d’établir une ligne de communication avec l’Empereur. Originaire d’Angers, celui-ci y avait deux sœurs, Agathe et Virginie, dont l’une offrait l’avantage de diriger depuis 1810 le bureau de poste de la cité angevine. Par ce moyen, il fut possible d’acheminer en toute sécurité une correspondance clandestine.

Extrait du livre de Gérald Arboit, « Napoléon et le renseignement », publié aux éditions Perrin

Liens vers la boutique : cliquez ICI et ICI

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !