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Napoléon était-il bipolaire et souffrait-il également de narcolepsie ?
©TOMMY CHENG / AFP

Bonnes feuilles

Patrick Lemoine publie "La Santé psychique de ceux qui ont fait le monde" aux éditions Odile Jacob. En tant que psychiatre et clinicien, Patrick Lemoine a osé décortiquer les biographies, établir des diagnostics et en arriver à un incroyable questionnement. Pour la première fois, ce livre nous éclaire sur la psychologie de l’homme d’État. Extrait 1/2.

Patrick Lemoine

Patrick Lemoine

Patrick Lemoine est psychiatre et docteur en neurosciences. Il est l’auteur de nombreux best-sellers, dont cinq chez Odile Jacob, chez qui il a dirigé en 2018, avec Boris Cyrulnik, une Histoire de la folie avant la psychiatrie.

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Le diagnostic de trouble bipolaire a été discuté pour Napoléon : selon Vincent Olivier, « les chercheurs américains, lorsqu’ils parlent de maniaco-dépression,  commencent en général par l’exemple de Napoléon. Quand les Français, eux, s’attaquent plutôt aux cas de Lincoln ou de Roosevelt. Il est vrai que l’empereur  français, tantôt aimable tantôt odieux, tantôt boulimique tantôt sans appétit, hyperactif et ne dormant quasiment pas en phase d’excitation, pourrait être considéré comme un bipolaire typique. » 

On peut également se poser la question d’une narcolepsie compliquée plus tard d’un syndrome d’apnées du sommeil : Napoléon était en effet connu pour être un très court dormeur qui récupérait vite grâce à des petites siestes salvatrices qu’il appelait méridiennes. Dormant peu, il se levait souvent la nuit et à plusieurs reprises pour travailler. « Couché à minuit, il se réveille à trois heures pour réfléchir aux affaires les plus délicates, prend un bain chaud et se recouche à cinq. » « Souvent réveillé plusieurs fois par nuit sans que la clarté de ses idées en soit affectée, il appréciait au contraire la présence d’esprit d’après minuit », précise Chardigny.

Quant à ses brefs sommeils réparateurs diurnes, ils sont mentionnés dans de multiples anecdotes de l’épopée napoléonienne: 

« – recru de fatigue, il s’assoupit au Conseil d’État, et lorsqu’il s’éveille il reprend la délibération au point où Cambacérès poursuivant le débat à mi-voix l’a amené ; 

– au théâtre de Saint-Cloud, lors de la représentation de “l’Amant bourru”, il s’endort, et Girodet le croque ; 

– à Elchingen, en 1805, il s’endort sur une chaise devant ses généraux debout ; 

– à Leipzig en 1813, c’est l’explosion du pont qui le réveille sur son fauteuil. » 

Au cours des dernières années de sa vie, Napoléon, qui a beaucoup grossi, accumule les erreurs, jusqu’à envahir la Russie en défiant le général Hiver, le plus redoutable des militaires. Est-ce dû à la somnolence diurne qui s’aggrave, à la fatigue qui trouble le jugement ? Tous ces symptômes font-ils partie d’un syndrome d’apnées du sommeil ? 

Selon Chaptal, le sommeil qu’« il avait maîtrisé jusque-là le maîtrisait à son tour ». Une formule qui témoigne d’un bon sens de l’observation clinique car, en effet, dans le cadre des hypersomnies dites idiopathiques et de la narcolepsie, les siestes remettent en forme et restaurent la vigilance alors que les siestes liées au syndrome d’apnées du sommeil épuisent les sujets qui en souffrent. Dans ce cadre, ce ne sont plus des siestes programmées pour maintenir la vigilance, mais des accès incoercibles de somnolence. 

La fatigue intense, quasi permanente, est évoquée par Napoléon dès 1808 et constitue un des principaux symptômes du syndrome d’apnées du sommeil. 

Dans une lettre à Joséphine il écrit : « J’ai assisté au bal de Weimar. L’empereur Alexandre danse ; mais moi non ; 40 ans sont 40 ans. » 

En 1812, il déclare : « Au lieu d’un verre de limonade, c’est maintenant un verre de café… dont je sens le besoin. » Les apnéiques sont sans cesse à la recherche d’excitants pour les aider à lutter contre la somnolence, ce qui malheureusement ne les aide pas beaucoup à rester éveillés, mais les rend anxieux avec des palpitations. 

Il faut savoir que le syndrome d’apnées du sommeil et ses épisodes asphyxiques nocturnes répétés finissent par léser le cœur (infarctus, insuffisance cardiaque) et le cerveau avec des syndromes de type démentiel. Sans aller jusque-là, je trouve frappant que ce génie de la stratégie militaire ait commis des erreurs aussi monumentales que par exemple la campagne de Russie. L’empereur souffrait-il d’un véritable déficit cognitif ? Je ne suis pas loin de le penser. C’est Chardigny en Russie qui note à mots couverts ce changement chez l’Empereur : « La guerre, avait-il dit, est un art tout de mouvement. » Or en Russie il se traîne. Au cours des Cent Jours, Pasquier, son ancien préfet de police, décèle en lui les signes d’une « décadence profonde ». 

Quitte à manquer de respect à l’aigle, il faut reconnaître qu’il a pris un sacré embonpoint ! Lorsqu’on examine ses portraits de profil, on note un cou un peu court, une  rétrognathie (menton en arrière). Celle-ci est flagrante sur le buste de l’empereur aux lauriers de Bartolini et de manière indiscutable sur son masque mortuaire puisqu’il s’agit d’un moulage réalisé par Arnott avec du plâtre extrait d’un gisement de gypse sur une île voisine de Sainte-Hélène. 

Enfin, une obstruction nasale intermittente est signalée probablement secondaire à une déviation de la cloison nasale que l’on peut remarquer sur ce même masque. En d’autres termes, le Petit Caporal était presque tout le temps enrhumé, ce qui aggrave de manière mécanique les apnées du sommeil. 

On sait que le syndrome d’apnées du sommeil est associé à des ronflements sonores que l’on ne retrouve pas chez ses (trop) respectueux biographes, mais qui semblent évidents vu son obésité et sa déviation nasale. C’est une maladie latente pendant de nombreuses années et il suffit d’un peu de volonté, d’énergie – et Dieu sait si Napoléon en avait à revendre ! – pour que la fatigue et la somnolence n’apparaissent pas. En revanche, quand l’âge et les kilos viennent, les choses se gâtent et les apnéiques se traînent, s’endorment, perdent la mémoire, deviennent colériques, ont des troubles du jugement, toutes choses signalées chez lui.

MON DIAGNOSTIC

Syndrome d’apnées du sommeil, possible trouble bipolaire, dans le cadre d’un œdipe non résolu

Le très probable syndrome d’apnées du sommeil peut-être associé à un trouble bipolaire s’est installé chez un sujet solidement névrosé par ce que l’on appelle communément un complexe d’Œdipe non résolu. Il faut savoir que près de la moitié des patients bipolaires souffrent également d’un syndrome d’apnées du sommeil. Les deux diagnostics de trouble bipolaire et de syndrome d’apnées du sommeil se renforcent donc l’un l’autre.

Et si j’avais été son psychiatre ?

Je lui aurais proposé une psychothérapie d’inspiration cognitive et comportementale, voire une psychanalyse, j’hésite encore ; s’il en est capable, l’inscrire à un groupe de méditation en pleine conscience. En tout cas, l’appareiller la nuit pour ses apnées du sommeil.

Extrait du livre "La Santé psychique de ceux qui ont fait le monde" de Patrick Lemoine publié aux éditions Odile Jacob.

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