Mutuelle d'entreprise obligatoire : les dessous cachés de la loi <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Santé
Mutuelle d'entreprise obligatoire : les dessous cachés de la loi
©Reuters

Plus de coeur dans la santé

Depuis le 1er janvier, les entreprises du secteur privé ont pour obligation de mettre en place une mutuelle d'entreprise obligatoire. Sous couvert de protéger le risque santé des Français, la mesure ne s'adresse en réalité qu'à ceux qui bénéficiaient déjà d'une complémentaire santé. Elle ne concerne pas les chômeurs et les retraités, qu en auraient le plus besoin. De plus, elle n'est généralement pas adaptée aux besoins des assurés. Pour rétablir le principe mutualiste français, il faudrait redéfinir les contrats responsables, voire refonder un système plus clair et plus juste.

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard est professeur d’économie à l’ESCP, président de l’Institut de Santé et auteur de « L’Autonomie solidaire en santé, la seule réforme possible ! », publié aux éditions Michalon.

Voir la bio »

Atlantico : Depuis ce 1er janvier 2016, les entreprises du secteur privé ont l'obligation de mettre en place une mutuelle d'entreprise obligatoire. Qu’est-ce qui se cache derrière cette loi ?


Frédéric Bizard : Cette loi est présentée comme une généralisation de la complémentaire santé visant à mieux protéger le risque santé pour les Français. En réalité, c’est un transfert de 4 millions de personnes des contrats individuels vers les contrats collectifs. 4 millions de salariés qui n’ont pas de contrats collectifs, travaillant majoritairement dans des petites et moyennes entreprises et qui ont, pour 3,6 millions d’entre eux, des contrats individuels qu’ils ont choisi auprès d’organismes d’assurances complémentaires. On ne peut en rien parler d’une amélioration de la situation de ces assurés, puisqu’ils étaient déjà eux même assurés.

L’argument avancé : les contrats collectifs sont de meilleure qualité, et d’un meilleur rapport bénéfice/risque, ce qui est une réalité. Mais il n’est pas pertinent puisqu’en réalité, ces contrats collectifs imposés de façon obligatoire à ces 4 millions de salariés ne servent strictement à rien, dans la plupart des cas. Ils ne font qu’assurer par rapport à un non-risque : les tickets modérateurs. C’est à dire le panier moyen imposé par la loi de sécurisation de l’emploi de mai 2013. Celle-ci définit un panier minimum pour ces nouveaux contrats collectifs, qui correspond principalement aux tickets modérateurs, c'est à dire la part non remboursée par la sécurité sociale, par rapport à la base du remboursement. Sachant que le vrai risque concerne la partie libre des honoraires, non prise en charge par la sécurité sociale. Les organismes complémentaires, comme les nouveaux contrats collectifs, font le choix de ne pas assurer cette dernière part. L’objectif de la manœuvre est de faire souscrire, en plus de ces contrats inutiles, des sur-complémentaires, c’est à dire des contrats individuels qui vont coûter un maximum pour chaque salarié. Car l’assuré qui veut se protéger va se retrouver dans l’obligation de prendre une complémentaire santé.

Les complémentaires santés ne devraient-elle pas assurer en priorité des retraités ou de chômeurs, plutôt que des salariés ?

On fait croire aux 13 millions de salariés qu’ils ont impérativement besoin d’une complémentaire santé,  et on la rend obligatoire. Pourtant, au sein de la population, c'est le groupe qui a le moins besoin d’une complémentaire santé. Majoritairement actifs, représentant 50 % de la population, les salariés sont les moins gros consommateurs de soins, avec un risque de dépenses de 250 euros par an, en moyenne. Une fois qu'ils se rendent compte que leur contrat ne sert à rien, ils se mettent dans l’obligation d’acheter des sur-complémentaires. L'opacité du marché des complémentaires est savamment entretenue par les organismes, de façon à créer une économie de la rente. Vous ne comprenez pas les garanties, vous ne pouvez pas comparer les prix. Les gens sont dans un brouillard total.

De plus, ce système augmente le coût des contrats individuels des gens pour les personnes le plus à risque, à savoir les retraités et les chômeurs. Une dégradation générale du système s'ensuit avec un gagnant , l’assureur, et un deuxième à moyen terme,  l’entreprise. Aux entreprises qui n’avaient pas de contrats collectifs, à savoir les TPE, les organismes complémentaires ont proposé un contrat minimum peu cher, sur lequel ils proposent à leurs assurés des sur-complémentaires extrêmement rentables pour l’opérateur. Ces sur-complémentaires sont inaccessibles pour la classe moyenne et la classe populaire. Les salariés à moins de deux fois le smic par an ne peuvent pas se permettre de payer un premier contrat collectif plus un deuxième contrat individuel.

Que faudrait-il faire pour aller à l’encontre de ce système ? Les pouvoirs publics doivent-ils jouer leur rôle ?

Bien sûr. Il y a deux façons de régler cela. A l'Américaine, avec une vision ultralibérale du marché : une assurance maladie et, derrière, des contrats individuels non régulés, sur un marché libre d’assurance. Chacun se débrouille en fonction de son portefeuille. C’est une régression dans le système, ni inefficace, ni équitable, ni économe. Les Etats Unis l’ont démontré. C’est pourtant ce qu’a fait la loi Leroux de 2013. Le pouvoir de gauche a permis à des opérateurs financiers de réguler le système, tout en sachant que ces opérateurs financiers ne sont pas régulés eux-mêmes. Une autorité de contrôle prudentielle existe, mais elle s’assure uniquement de la viabilité des opérateurs, qui sont de toute façon extrêmement riches, car la santé est le secteur assurantiel le plus rentable.  

A quel niveau les pouvoirs publics pourraient-ils intervenir pour rétablir le principe mutualiste historique français ?

D'abord, il faut mettre en place une autorité de contrôle et de régulation de l'assurance santé, de façon à réguler la gestion opérationnelle des contrats, afin qu'il y ait une protection de l'assuré qui n'existe pas aujourd'hui. Ssi vous avez le moindre problème avec votre assurance santé, vous n'avez aucun recours possible.

Deuxième chose : il faut redéfinir les contrats responsables, qui sont aujourd'hui des contrats au remboursement plafonné, dont les garanties sont illisibles. Il faut imposer que ces contrats soient parfaitement compréhensibles pour les assurés. Que les offres, prix et garanties soient accessibles sur internet, pour qu'il y ait un choix éclairé. Et que ces contrats ne remboursent pas les tickets modérateurs, mais prioritairement la partie libre des honoraires. Il faut savoir que sur 26 milliards d'euros de remboursement en 2013, 53 % soit 15 milliards d'euros ont été dédiés uniquement aux tickets modérateurs. Le ticket modérateur représente 30 % de la consultation. Les gens s'assurent pour quelque chose qui n'est absolument pas un risque pour eux.

Exemple : une prothèse dentaire vaut en moyenne 750 euros. Le prix de remboursement de l'assurance maladie est de 107,50 euros. Là-dessus elle rembourse concrètement 70%, soit 75 euros. La partie libre des honoraires représente 643 euros. Ce qui n'est pas du tout pris en charge par l'assurance maladie. Or, ces 643 euros sont extrêmement mal pris en charge. Certains ne le prennent pas du tout en charge, comme les contrats individuels de classe D et E. Et les contrats collectifs de base ne les remboursent qu'à moins de 15 %.

Une réforme des contrats suffirait-elle à changer la donne ? Ou faut-il repenser le système dans son intégralité ?

Même la réforme de ces contrats responsables ne suffirait pas. C'est l'ensemble du système qui arrive à bout de souffle. Il faut repenser le système de financement. Il faudrait différencier un panier de soins solidaire, pris en charge pas l'assurance maladie, d'un panier de soins individuel, pris en charge par les opérateurs privés. Le panier de soins individuel doit être financé par les opérateurs privés mais régulé par la puissance publique, pour que les soins essentiels pris en charge par les opérateurs privés soient accessibles à l'ensemble de la population. A mon avis, ce panier de soins devrait être intégré chaque année en annexe de la loi de financement de la sécurité sociale. Il faut le rendre obligatoire car, à partir du moment où il est régulé, il y a une très forte mutualisation entre les gros et les petits consommateurs de soins.  Avec un système parfaitement concurrentiel, il n'y a que le prix qui va différencier les offres.  Et la concurrence va tirer les primes vers le bas.

Aujourd'hui, c'est un système de rente. Les frais de gestion et d'acquisition de clientèle sont de l'ordre de 7 milliards d'euros. Là-dessus,  2,7 milliards rien que pour les frais de communication. Et les opérateurs nous expliquent à longueur de temps qu'il faut baisser les taxes et qu'il est normal d'augmenter les primes chaque année. De plus, ils accusent les professionnels de santé d'être des êtres cupides qui sur-tarifent leurs consultations, alors que ce sont les opérateurs qui refusent de prendre en charge la partie libre des honoraires.

En rendant obligatoires les contrats collectifs, on a fiscalisé la part prise en charge par les employeurs. Sur un contrat de 100 euros pris en charge à 50 ou 60 euros par votre employeur, vous devez intégrer 600 euros en plus à votre impôt sur le revenu, alors que c'est un contrat que vous n'avez pas choisi et qui pour la plupart ne correspondra pas à vos risques.  C'est un moyen de récolter de l'impôt supplémentaire, de permettre aux assureurs d'augmenter leurs chiffres d'affaires. Vous voyez la perversité du système.

Au niveau fiscal, les pouvoirs publics font donc partie des gagnants ?

Bien sûr, la loi de financement 2015 a budgétisé 1 milliard d'euros d'impôts sur le revenu supplémentaires liés à la fiscalisation de la part employeur des contrats collectifs. En rajoutant 4 millions d'assurés en contrats collectifs, on va augmenter les impôts sur le revenu. On peut se poser la question de la constitutionnalité d'un impôt payé sur un revenu non choisi. Si c'est bien constitutionnel, c'est en tout cas très inéquitable. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !