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L'histoire de France instrumentalisée ?
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Polémique

Le projet d'une "Maison de l'Histoire de France" lancé par Nicolas Sarkozy suscite la polémique. Plusieurs historiens dénoncent une machine à instrumentaliser le "désir d'histoire" des Français.

Isabelle Backouche et Vincent Duclert

Isabelle Backouche et Vincent Duclert

Isabelle Backouche est maîtresse de conférences à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS).

Vincent Duclert est professeur agrégé à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS).

Ils sont, avec Jean-Pierre Babelon et Ariane James-Sarazin, les auteurs du livre Quel musée d'histoire pour la France ? (Armand Colin, 2011).

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Le projet de musée central d’histoire nationale, baptisé du nom de « Maison de l’histoire de France », a été décidé par le président de la République Nicolas Sarkozy en septembre 2010, après la remise successive de trois rapports et sur fond de forte contestation sur les principes comme sur la méthode. Ce projet ambitionne de combler l’absence de grand musée d’histoire en France, « une exception française », selon l'un des rapports.

Mais son lancement s'est forgé dans un contexte de décision et de programmation inacceptable pour la bonne gouvernance de l’État, contraire aussi aux principes de création des institutions patrimoniales et scientifiques, défiant la réflexion intellectuelle qui doit nourrir les politiques culturelles, révélatrice enfin de l’instrumentalisation idéologique et électoraliste d’un défi nécessaire : celui de transmettre l’histoire et sa fabrique aux sociétés et aux personnes.

De nombreux sujets d'inquiétude...

Étudié méthodiquement, le dossier de la « Maison de l’histoire de France » se révèle accablant pour ses promoteurs. Les sujets d’inquiétude sont très nombreux :

  • Les rapports de préfiguration constituent des essais personnels emphatiques et non des études exhaustives et critiques comme cela doit être le cas.
  • Le montage administratif marginalise les autorités régulières qui, au besoin, sont sanctionnées comme ce fut le cas de la directrice des Archives nationales, Isabelle Neuschwander, brutalement limogée le 23 février  parce qu’insuffisamment prosélyte alors que sa direction de grande professionnelle n’était nullement en cause.
    • La fédération de neuf musées au sein de la « Maison de l’histoire de France » accélère le démantèlement du réseau des musées nationaux, sous prétexte de modernisation, et en procédant à un regroupement artificiel d’établissements qui perdront à terme leur autonomie et leur personnalité propre.
    • Les professionnels du patrimoine, les historiens professionnels, ont été ignorés (à l’exception des rares représentants figurant dans le comité d’orientation scientifique).
    • Le ministère de l’Éducation nationale et celui de l’Enseignement supérieur et de la recherche, pourtant intéressés au premier chef, n’ont pas été consultés.
    • La décision d’installation de la « maison », imposée aux Archives nationales, occulte toute l’expérience muséale, muséographique et scientifique acquise en la matière par ces dernières.

Le souci de la réflexion, de la concertation et de la pédagogie - indispensables à la réussite des grands musées modernes d’histoire comme le montrent les exemples allemands de Bonn et de Berlin - est donc remplacé par la précipitation, la polémique et la surdité à un débat qui grandit. Les assurances apportées, sur la fin du calendrier électoral de la « Maison de l’histoire de France », sont démenties par le maintien des décisions d’Etat, relatives par exemple à la fédération des neuf musées acquise au 1er janvier 2012 ou bien la répartition des espaces au sein des Archives nationales – entre ces dernières et le nouvel établissement – qui interviendra bien avant l’élection présidentielle.      

Un projet politique imposé sans concertation

Les membres du conseil scientifique – qui tirent leur autorité statutaire du seul ministère de la Culture qui les a nommés - ont estimé que ce contexte politique, idéologique et administratif n’interférait pas décisivement dans la définition de la « Maison de l’histoire de France » auxquels ils contribuent. Ils ont imaginé qu’ils pouvaient s’en séparer, en découplant par exemple la question du lieu de la réflexion sur le projet et son contenu, – qui plus est, le lieu des Archives nationales où un musée d’histoire a marqué si fortement de son empreinte l’espace et l’institution. L’expression même de « Maison de l’histoire de France » est déjà un tout programme politique, porté par des acteurs politiques, encadré dans un agenda politique, imposé aux professionnels comme publics en dehors de toute consultation sérieuse. 

L’histoire de l’État et des politiques publiques démontre pourtant que les faits de contexte pèsent décisivement sur les programmes de création. Sa pratique dans nos recherches et nos enseignements nous ont convaincus d’opérer une critique générale des contextes de la « Maison de l’histoire de France », avant tout chose.

Un grand musée d’histoire de France mérite bien mieux que cette entreprise hautement contestable et contestée, lourde de leçons sur ce qu’il ne faut précisément pas faire en matière culturelle et scientifique. L’analyse des processus actuels de décision et de programmation est une nécessité pour les chercheurs en sciences sociales, afin que le débat public et la réflexion savante puissent s’exercer librement sur une question supérieure de société et de démocratie. C’est même la démocratie intellectuelle qui est en jeu dans cette affaire.

Nous la prenons très au sérieux. Les « douze recommandations pour la création d’un musée d’histoire », sur lesquelles s’achève notre ouvrage  Quel musée d’histoire pour la France ?(Armand Collin, 2011), veulent construire une réflexion apaisée et ordonnée sur une question d’une telle importance, au carrefour de la recherche, des musées, de l’histoire et de la société. Reconnaître les termes du désaccord, ne rien exclure de l’analyse, regarder par-delà les frontières et les époques, interroger les expériences et confronter les acquis, sont quelques-unes des exigences d’un débat… qui ne fait que commencer.   

* Voir les informations relatives à ces rencontres sur le site du groupe Musée, Histoire & Recherche et sur le site dédié à l’ouvrage.

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