Mobilisation générale des hommes ukrainiens : quid des femmes et de la guerre à l’heure de l’indifférenciation des genres ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Un instructeur de police enseigne à des femmes comment apprendre les bases du maniement des armes à feu à Marioupol, le 26 janvier 2019.
Un instructeur de police enseigne à des femmes comment apprendre les bases du maniement des armes à feu à Marioupol, le 26 janvier 2019.
©ALEKSEY FILIPPOV / AFP

Résistance du peuple ukrainien

Curieusement, les activistes woke occidentaux si prompts à dénoncer les inégalités en tout genre n’ont rien eu à dire sur la distinction pratiquée par l’Ukraine entre hommes et femmes face au conflit.

Sabine Prokhoris

Sabine Prokhoris

Sabine Prokhoris est philosophe et psychanalyste. Elle est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Le Sexe prescrit : La différence sexuelle en question (Aubier 2000), L’Insaisissable Histoire de la psychanalyse (Puf, 2014) et Au bon plaisir des « docteurs graves » : À propos de Judith Butler (Puf, 2017); Le Mirage #MeToo (Cherche Midi; 2022)

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Atlantico : Dans le cadre de la guerre contre la Russie, l’Ukraine a appelé à la mobilisation générale les hommes qui doivent demeurer au pays. Les femmes, elles, n’ont pas été concernées par cette obligation. Comment expliquer que, dans une situation comme celle-ci, il n’y ait aucune remarque demandant une égalité de traitement entre hommes et femmes, notamment de la part des militants occidentaux si prompts à dénoncer toute forme d’inégalité ? 

Sabine Prokhoris : Personne en effet ne semble juger problématique cette division genrée – les féministes pas davantage. Pourtant elle pose question : la mobilisation et l’interdiction de quitter le territoire concernent les hommes de 18 à 60 ans. Or une jeune femme en bonne condition physique, non enceinte et non chargée d’enfants en bas âge, peut sur le front, y compris au combat, se révéler beaucoup plus opérationnelle qu’un homme de 60 ans en moins bonne forme. Voir les combattantes kurdes par exemple. De même les responsabilités familiales, dans le monde contemporain, peuvent être équitablement réparties entre les mères et les pères – il faut bien que les enfants soient mis à l’abri, et qu’un parent en prenne soin. Une répartition des rôles, et des séparations familiales sont inévitables, les civils doivent pouvoir trouver refuge loin des villes bombardées. Mais pourquoi assimiler les femmes aux enfants ? Les désastres de la guerre démontrent la vulnérabilité de tous, à cet égard le livre/le film de Dalton Trumbo, Johnny got his gun, est terrifiant. Et les exactions et crimes de guerre, y compris sexuels, n’épargnent pas les hommes qui tombent entre les mains de brutes telles que les mercenaires du groupe Wagner par exemple.

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Ce qui est remarquable est que cette répartition reçue comme allant de soi repose sur une vision de la guerre qui en reconduit les représentations les plus traditionnelles, que rejoint totalement un certain discours féministe qui a bien mal digéré la profonde réflexion de Virginia Woolf dans Trois guinées,  méditation subtile sur la guerre, autant que sur l’alliance et la solidarité des sexes, écrite en réaction à la guerre d’Espagne. Selon ce cliché simpliste et faux, la guerre – toute guerre – serait par essence « patriarcale » : exaltation de la conquête, ivresse meurtrière. La « déconstruction » du patriarcat ferait « disparaître pour toujours les guerres et leurs atrocités »…

Or si toute guerre est bien sûr affreuse, armes et larmes, violence et destruction, pour autant toutes les guerres ne se valent pas, ni dans leurs moyens ni dans leurs buts. Toutes n’ont pas comme sens et comme visée la « prédation » – terme fétiche des éco-féministes : se défendre par les armes d’une agression armée, cela n’est pas « patriarcal ». C’est juste humain, au sens du courage, et de la dignité. Le comble de la folie guerrière, fondamentalement viriliste : un groupe sans foi ni loi tel que les soldats de Wagner, évoqués plus haut. Nulle femme dans ses rangs, uniquement des hommes, ensauvagés. Mais un peuple en armes pour se défendre, hommes et femmes ensemble, c’est tout autre chose. Gandhi lui-même a écrit : « Là où il n’y a le choix qu’entre lâcheté et violence, je conseillerai la violence. » Cela vaut à mes yeux sans distinction de sexe.

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Que sait-on, sociologiquement et historiquement parlant, de la manière dont femmes et hommes se répartissent les rôles en temps de guerre ? Est-ce le schéma que l’on observe en Ukraine ?

Je ne suis ni sociologue ni historienne, mais à l’arrière comme au combat, hommes et femmes ont dans les guerres toujours uni leurs forces pour vaincre l’ennemi. La guerre est un temps de crise, en cela propice à des réagencements des rôles genrés, y compris à travers leur reconduction. Ainsi la guerre de 14-18 a-t-elle été un moment important de l’émancipation des femmes, puisque les hommes étant tous au front, elles ont seules fait tourner le pays : usines, agriculture... Le droit de vote a été accordé aux femmes britanniques en 1918 en raison des services rendus au pays pendant la guerre. Bien sûr les rôles traditionnels : nourrir, soigner côté femmes – y compris sur les théâtres d’opérations –, se battre côté hommes, se perpétuent dans les guerres, et en Ukraine aussi sûrement. Mais – songeons à la figure de Jeanne d’Arc –, des femmes ont pu être des guerrières. Dans l’Armée Rouge notamment, pendant la Deuxième Guerre mondiale. Mais une fois la guerre terminée, ces soldates ont été cruellement reléguées, il était mal vu qu’elles portent leurs décorations comme le rappelle Svetlana Alexievitch dans son livre sur ce sujet.

En temps de guerre, on ne juge pas comme moins courageuses les femmes ukrainiennes qui assument des rôles à l’arrière que les hommes qui sont au front. Pourquoi tenir en temps de paix à ce que les femmes et les hommes aient des rôles indifférenciés ?

Le courage – et les souffrances – sont équivalents quel que soient les devoirs que l’on doit assumer pour lutter et tenir bon en temps de guerre. Mais même s’il est plus aisé – quoique  pas toujours plus opportun ni plus efficace – de suivre la pente des rôles a priori genrés, rien ne prouve que, en temps de guerre comme en temps de paix, et compte tenu bien sûr de la situation directement sexuée liée à la grossesse, à l’enfantement, les tâches différentes doivent nécessairement être réparties en fonction du sexe. Peut-être des partages qui tiennent compte de façon plus fine des dispositions – physiques, mentales – singulières des uns et des autres peuvent-ils s’imaginer, autres aussi que ceux que dictés par une absurde parité. Sans exclure les partages traditionnels, revisités.

On le sait : des femmes ont volontairement rejoint la mobilisation contre l’armée russe. Quel peut être l’apport spécifique des femmes dans les combats (au-delà de bras supplémentaires) ?

Je ne saurais pas dire si l’on peut parler d’apport spécifique des femmes dans les combats. Sa valeur me semble être celle-ci : qu’hommes et femmes combattent côte à côte dirait clairement le sens moral et politique de cette guerre, qui n’est pas celui d’un bellicisme testostéroné.

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