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Mineurs : "L'ancrage dans la délinquance se fait de plus en plus jeune"
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Délinquance

L’UMP vient de proposer un code pénal pour les mineurs et la sanction des délinquants dès l'âge de 12 ans -contre 13 aujourd'hui- par des "travaux de réparation". Sylvie Feucher, secrétaire générale du syndicat des Commissaires de la police nationale est confrontée à ce problème sur le département des Yvelines où elle est chef de district.

Sylvie Feucher

Sylvie Feucher

Secrétaire générale du syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN).

Commissaire central de Versailles et du district de la sécurité publique du même nom.

 

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Atlantico : Les mineurs délinquants inquiètent l'opinion. L'UMP a décidé de s'attaquer au problème de front en proposant des mesures concrètes. Mais qui sont ces jeunes qui font si peur ?

Sylvie Feucher : Ce sont principalement des jeunes issus des milieux peu favorisés. Mais certains viennent aussi de familles plus aisées. J'ai connu ce type de cas à Versailles où, dans certains ménages, les parents travaillaient trop et laissaient leurs enfants à l'abandon. La délinquance commence très jeune. Des proviseurs de lycée racontent être confrontés à des enfants de 12 ans qui commencent à poser problème. Des jeunes qui exigent de sortir de l'école le vendredi midi pour revenir le lundi midi. En plus de ce type de passe-droits, certains, parfois très tôt, consomment de l'alcool en pleine semaine.

La pyramide des âges se décale. Avant, les plus durs avaient entre 14 et 16 ans. Maintenant, ils commencent plus jeunes et sont difficiles dès 12 ans. Ils sont impliqués principalement dans des vols et des violences, à l'école, dans leurs quartiers ou envers les forces de l'ordre. L'ancrage dans la délinquance se fait lui aussi de bonne heure. Dans certains quartiers, ils s'impliquent dans les trafics de stupéfiants. Ils remplissent des tâches simples et minimes, comme guetteurs par exemple.

Ils enchaînent très rapidement. En un an, j'ai vu passer des jeunes de la simple altercation au braquage. L'éducation est tellement mauvaise qu'ils commencent tôt avec des petits délits et, faute de sanctions, évoluent vers des choses beaucoup plus graves. D'où l'importance d'avoir une réponse et une prise en charge extrêmement ferme immédiatement. Sans parler pour autant de prison, ce qui n'aurait aucun sens pour un enfant de 13 ans.

L'UMP insiste effectivement sur le besoin d'appliquer les sanctions. Ils font des propositions symboliques comme la mise en place de mesures judiciaires dès 12 ans ou encore la mise en place d'un code pénal spécifique aux mineurs. Qu'en pensez-vous ?

Difficile de s'exprimer tant que nous n'en connaîtrons pas le contenu. Mais ça ne serait qu'une synthèse des articles qui existent déjà dans le code pénal et qui concernent les mineurs. Pourquoi pas si c'est une amélioration de la lisibilité ? Pour ce qui est de l'âge, je crois que nous n'en sommes pas à un an près. Douze ans, treize ans, c'est un détail. Ce qui compte réellement, c'est moins l'âge que la réponse immédiate à apporter à toute bêtise commise par un enfant. Il faut que la réponse pénale soit immédiate. Mais en l’occurrence, à ces âges là, ce sont des solutions éducatives qui resteront prioritaires.

Il faut plus de prévention. Nous devons identifier rapidement les parents déficients et prendre en charge leurs enfants très tôt sur le plan éducatif. Il faudrait des maisons d'écoute publique pour ces familles, qu'elles puissent profiter d'une écoute et de conseils. Sur le plan de la répression, le mineur délinquant doit être immédiatement confronté à une mesure. Pas dans les six à dix mois qui suivent mais tout de suite. Ces sanctions doivent le concerner lui, pas ses parents, afin de le responsabiliser.

Des centres éducatifs fermés existent déjà et se développent. C'est une solution préférable à la prison mais elle impose de recruter des éducateurs en nombre suffisant. Pas évident au vu des conditions de travail difficiles et des niveaux de salaires. Si nous voulons vraiment régler la question des mineurs, il faut réaliser un audit de la situation et très certainement augmenter les effectifs. L'enfant reste un cas particulier pour lequel l'approche humaine est primordiale.

Le phénomène n'est pas nouveau. Remarquez-vous une prise de conscience des pouvoirs publics ?

Nous alertons sur les risques liés à la délinquance des plus jeunes depuis 25 ans. C'est le fléau de demain et il s'aggrave. Les enfants sont livrés à eux-mêmes de plus en plus tôt et ils commettent des actes de plus en plus grave. Pourtant, nous n'avons pas bougé sur le plan de la prévention.

J'espère que les questions électorales n'influent pas sur le calendrier du législateur. Le sujet des mineurs reste sur la table depuis trop longtemps. Il serait criminel de ne pas le traiter. Les pouvoirs publics n'ont pas encore pris conscience de la poudrière qu'il représente. Le public dont nous parlons est confronté à une triste réalité : pourquoi aller à l'école pour ne pas trouver de travail ? Ces enfants s'éduquent eux-mêmes dans la cage d'escalier où ils développent des instincts grégaires. Faute d'image familiale, d'éducation, ils se tournent vers des bandes qui restent pour l'instant peu organisées. Nous nous préparons pourtant à voir apparaître des gangs comparables à ceux qui existent aux Etats-Unis.

Qui doit prendre en charge le mineur délinquant ? La police ? L'école ?

Je suis en accord avec l'ordonnance de 1945 qui dit que ces jeunes sont la richesse de la société française. Il faut les éduquer plutôt que les enfermer. Si nous laissons de côté cet aspect, nous nous retrouvons avec des jeunes dangereux et là, il n'y a plus de choix, il faut envisager de les diriger vers des centres éducatifs fermés. La prison doit rester le tout dernier recourt : ce n'est pas une solution.

Vu les différences d'âges entre les mineurs dont nous parlons, il faut évidemment des moyens de réponse variés. Jusqu'à récemment, un même jeune pouvait rencontrer jusque 13 intervenants différents qui ne discutaient pas entre eux. Il faut mettre en place un suivi structuré qui amène le mineur d'un point A à un point B avec des adultes clairement identifiés comme interlocuteurs sans le laisser replonger dans son milieu. Les parents doivent être aidés dès que nous repérons des enfants en difficulté. Il faudrait pouvoir se réunir autour d'une table : collectivités locales, magistrats, éducateurs, policiers. Il n'y a aucune synergie au sein des pouvoirs publics. Comment est-il possible que dans le drame de la petite Agnès, le proviseur du lycée n'ait pas été informé du passé judiciaire de l'agresseur ?

Il faut espérer qu'il est encore temps de changer les choses. En 25 ans, nous avons pris du retard. Nous commençons à peine à oser en parler. Nous, policiers, sommes aussi des parents et nous n'avons pas envie de voir des enfants en garde à vue en arrivant au poste le matin. Nous voulons voir des enfants qui vont à l'école, ont un avenir et trouvent un sens à leur vie. Mais c'est le rôle de la société, pas le nôtre.

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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