La France pille-t-elle l'Afrique de ses médecins ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Vers quels pays migrent les médecins africains ?
Vers quels pays migrent les médecins africains ?
©Reuters

Françafrique

L’émigration des médecins africains en Occident est devenue, depuis quelques années, l’élément central du débat sur la fuite des cerveaux. L'ampleur du phénomène est croissant et les anciennes puissances coloniales exercent encore une forte attraction sur les pays qui furent sous leur aire d’influence. Quelles sont les conséquences pour les pays concernés ?

Donatien Moukassa

Donatien Moukassa

Docteur Donatien Moukassa est médecin pathologiste, enseignant FSS,  a l'université Marien N'GOUABI, Brazzaville au Congo. Il est également directeur des Affaires Médicales à l’hôpital général de Loandjili Pointe Noire au Congo.

 

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Atlantico : Le système de santé africain semble être victime d'un phénomène de "fuites des cerveaux", quelle est l'ampleur de ce phénomène ?

Donatien Moukassa : Il n’existe pas de chiffres publiés en tant que tel, cependant la fuite des cerveaux est constatée. Au sein des facultés de médecines des pays africains francophone, plus de 60 à 80% des étudiants migrent vers les pays du Nord. Ce phénomène est un réel fléau mondial.

La manifestation du phénomène peut varier selon les continents, cependant en ce qui concerne l’Afrique francophone, l’envergure du phénomène est connue depuis plus de 20 ans. Le processus s’est accéléré à partir des années 1990. Ayant été moi-même candidat et acteur, je constate simplement que la "fuite des cerveaux" concernant les professionnels de santé d’origine noire africaine est une situation préoccupante pour nos pays d’Afrique subsaharienne.

Vers quels pays migrent les médecins africains ? Pour quelles raisons ? 

La France est le premier pays, et cela s'explique par des raisons historiques, culturelles et linguistiques. Ensuite nous avons la Belgique et la Suisse. Très peu de professionnels de santé migrent vers les pays comme l’Allemagne et l’Italie où la langue reste une barrière.

Ce phénomène doit être analysé de manière objective. Dans la mobilité des migrants, on peut schématiquement distinguer deux grands facteurs:

  • les facteurs liés à l’individu candidat à la migration (flux et reflux).
  • Les facteurs liés aux pays d’origine et d’accueil.

Ces facteurs-là peuvent être subdivisés en plusieurs sous-groupes qui peuvent être les suivants:

En considérant le pays d’accueil, il existe plusieurs éléments :

  • les facteurs incitatifs (la qualité de la formation, les raisons sociales, économiques et financières, les conditions de travail)
  • et les facteurs freinateurs (les raisons politiques). Parmi ces facteurs freinateurs, les facteurs qui entravent le retour c’est la rétention. Les pays d’accueil freinent le retour par leur attractivité.

Si l’on considère le pays d’origine, on retrouve également des facteurs incitatifs et freinateurs tels que des problèmes liés à l’intégration professionnelle, aux conditions de travail et de rémunération, à l’instabilité politique (guerre, catastrophes…), aux réalités socioculturelles.

Tous ces éléments à la fois individuels et institutionnels sont tellement complexes et interconnectés qu’aucune mesure d’intervention ne peut être prise en compte isolément, car les raisons sont multifactorielles.

Existe-t-il des disparités régionales ? Pourquoi l'Egypte garde-t-elle tous ses médecins alors que la Tunisie et l'Algérie connaissent des taux de départ de l'ordre de 30% ? 

Il y a bien évidement des disparités. Lorsqu’on examine l’Afrique francophone – Du sud Sahara de Dakar à la Pointe noire jusqu’à Libreville – certains pays sont victimes de migrations importantes, et d’autres moins.

Par exemple le Gabon, par simple observation, on constate que les étudiants gabonais repartent chez eux plus facilement que les étudiants congolais. Les étudiants sénégalais et maliens rentrent également chez eux en raison des mesures incitatives institutionnelles qui leur assurent une intégration favorable. Il faut savoir que depuis que le Congo a retrouvé un certaine stabilité politique, cela pourrait être un paramètre capable de favoriser le retour des professionnels de santé.

Les disparités sont liées aux éléments précédemment cités, mais également aux triples profils des candidats au retour que nous observons, à savoir:

  • Le profil de type répondant, où les facteurs incitatifs vont être prédominants aux facteurs freinateurs.
  • Le profil réfractaire, quoique l’on entreprenne les facteurs freinateurs au retour sont prédominants aux facteurs incitatifs.
  • Le profil hésitant, où les facteurs incitatifs et freinateurs s’équilibrent.

Pour les mesures d’interventions, surtout institutionnelles, ces profils devraient être pris en considération pour y apporter des solutions adaptées et ciblées ; ainsi que des mesures d’accompagnement personnalisées.

Quels sont les impacts pour les pays concernés ? 

Concernant les pays d’origine, l’impact le plus criard reste la pénurie, c’est la faible démographie médicale. Les zones rurales sont démunies de médecins, cette fuite des compétences et des cerveaux entraîne la mauvaise qualité des soins.

Au Congo, nous observons dans certains départements sanitaires une très faible densité démographique de 1 à 2 médecins pour 100.000 habitants. C’est un vrai problème de santé publique qu’il faut prendre au sérieux.

Pour les pays d’accueil, l’impact majeur est la tentative de renflouer leurs déserts médicaux. C’est un impact positif d’un côté et négatif de l’autre.

Il est indispensable de trouver des solutions pour résoudre ce déséquilibre démographique occasionné par ce fléau mondial.

Quels liens peut-on établir sur l'ensemble de l'Afrique entre l'état du système de santé et le départ des professionnels de santé ?

Le lien est simple. Il est indispensable de rappeler que nous sommes à 50 ans des indépendances.  Avant les indépendances, il n’y avait quasiment pas du tout de médecins formés dans nos pays. Les pays décolonisés, ont entrepris des politiques de formation intensifiées avec la création des facultés de médecines dans l’espace francophone. Ces dernières avaient un objectif : combler le vide.  Malheureusement, ces médecins formés qui avaient pour champs d’action les instructions sanitaires de leur pays d’origine, ont migré vers les pays d’Europe et y sont restés après leur formation. Aussi, dans la plus part des cas ces anciens étudiants avaient bénéficié des bourses d’études octroyées par leur pays d’origine.

En ayant fait un tour en Europe pour acquérir des compétences, ces médecins sont malheureusement victime de la rétention et de l’attraction desdits pays. Toutes les politiques d’amélioration des systèmes de santé dans ces zones-là, ont manifestement connu un échec

Pillons-nous l’Afrique pour sauver nos hôpitaux ?

Un pillage est une action préméditée, je ne pense pas que ce terme soit approprié, cependant la France met beaucoup de moyen en œuvre pour favoriser son attractivité et inciter les médecins à rester sur son territoire.

J’ai moi-même été chef de service à Mantes la Jolie dans le département des Yvelines et un jour j’ai décidé de rentrer en Afrique, car j’ai jugé normal de me rendre utile dans mon pays d’origine. Je n’ai jamais eu de complexe au cours de mon parcours, j’ai été formé comme il le fallait. C’est d’abord un choix individuel. Cette démarche n’a rien à voir avec un facteur financier.

Il peut exister des politiques, respectueuses et respectables, de type "gagnant- gagnant" entre les États, pour éviter la fuite des cerveaux ; mais cela nécessite de mettre en place des structures régulatrices de cette mobilité des professionnels de la santé. En effet, il est nécessaire que les pays d’accueil et d’origine mettent en commun des conditions de flux et de reflux qui intègrent toutes les dimensions que nous avions décrites précédemment.

Dans le cas de la France et ses anciennes colonies, si nous voulons améliorer les systèmes de santé dans les pays d’Afrique francophone, la France avec tous les moyens qu’elle possède peut envisager de mettre en place des aides de développement et des partenariats allant dans ce sens.

Quelles autres solutions peuvent-être apportées ?

Si la France doit accompagner ses anciennes colonies, car nous avons un lien historique, un système de co-développement peut être mis en place. Elle peut également augmenter une aide ciblée aux formations sanitaires, et envisager des formations sur le leadership, le management des services ou d’autres divers domaines de gestion des services de santé.

On peut également, commencer à entreprendre localement des formations d’accompagnement, des formations professionnelles continues ; mettre en place des projets de développement des services, de recherche opérationnelle, ou de recherche fondamentale, en impliquant ces professionnels de santé aujourd’hui considérés comme membre de la diaspora. En leur proposant des missions ponctuelles, à moyen terme voire à long terme, avec des incitations au retour qui soient rassurantes. Il existe énormément de choses à mettre en place si nous voulons aller dans le sens d’une amélioration du système de santé en Afrique.

Propos recueillis par Caroline Long.

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