Mid Terms : la démocratie américaine est-elle vraiment en danger (et qui la menace le plus…) ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des citoyens américains soutenant Donald Trump ou Joe Biden lors des élections.
Des citoyens américains soutenant Donald Trump ou Joe Biden lors des élections.
©SAUL LOEB / AFP

Démocrates vs Républicains

Alors que les citoyens américains votent ce 8 novembre, Joe Biden a récemment déclaré que la démocratie était menacée en cas de victoire des Républicains.

Drieu Godefridi

Drieu Godefridi est juriste (facultés Saint-Louis-Université de Louvain), philosophe (facultés Saint-Louis-Université de Louvain) et docteur en théorie du droit (Paris IV-Sorbonne).

 
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Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Il y a quelques jours, Joe Biden déclarait : "Il y a beaucoup de choses en jeu dans ces midterms : Notre économie, la sécurité de nos rues, les libertés individuelles... Mais il y a autre chose en jeu : la démocratie elle-même." Derrière cette phrase, quelle est la réalité de la menace dans le contexte actuel aux États-Unis ? 

Drieu Godefridi : L’idée que la démocratie serait menacée par une victoire des Républicains est absurde et témoigne du désespoir du camp Démocrate, en situation de faiblesse sur les sujets qui intéressent les Américains (économie, inflation, criminalité). Même s’ils l’emportent, les Républicains n’ont aucunement l’intention d’attenter au principe de la démocratie américaine.

Vincent Tournier : La dramatisation fait partie des armes classiques de la compétition politique car chaque camp a tendance à penser qu’il est le seul détenteur de la vérité. De surcroît, dans le cas de Biden, il a intérêt à dramatiser ces élections car le Parti démocrate risque d’être mis en minorité dans les deux assemblées législatives, notamment à la Chambre des représentants qui va être entièrement renouvelée. Or les élections de midterms sont généralement défavorables au président en place car elles mobilisent particulièrement les électeurs très énervés, surtout en contexte inflationniste comme c’est le cas actuellement. Le président Biden pourrait donc se retrouver face à des chambres hostiles, ce qui rendrait la seconde partie de son mandat très difficile.

La dramatisation est toutefois une arme qui peut se retourner contre son auteur si elle est utilisée à mauvais escient, c’est-à-dire si les électeurs ont l’impression que Biden en fait trop.  

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Ne faut-il pas commencer par s’entendre sur ce qu’on entend par démocratie ?

Vincent Tournier : Il y a effectivement une ambiguïté sur le sens du mot démocratie. La gauche considère notamment que la décision de la Cour suprême sur l’avortement remet en cause la démocratie, ce qui est très discutable. On peut certes considérer que l’avortement est un progrès pour les femmes, mais on ne peut pas dire que ce soit un critère de définition de la démocratie comme régime politique, sinon cela voudrait dire que la France n’était pas une démocratie avant 1974.

Pour le reste, y a-t-il vraiment un risque d’effondrement de la démocratie au profit d’une tyrannie ? A priori, il n’y a pas trop de souci à se faire. La démocratie américaine est l’une des plus anciennes du monde. La culture démocratique des électeurs est profonde et solide, et il existe un système institutionnel robuste qui a résisté à des chocs bien plus importants par le passé comme la crise de 1929, le mouvement des droits civils ou la guerre du Vietnam.

D’un autre côté, on doit admettre que les tensions aux Etats-Unis sont très fortes. La polarisation idéologique entre les républicains et les démocrates n’a cessé de croître : la part des électeurs « mixtes » a baissé depuis 1994, tandis que les électeurs qui se disent franchement libéraux ou franchement conservateurs a augmenté.

Dans cette polarisation, les torts de la gauche et de la droite sont partagés. Les républicains s’arcboutent sur la défense des intérêts économiques et des valeurs traditionnelles, tandis que la gauche se lance dans une surenchère un peu radicale sur les valeurs post-modernes et le soutien aux minorités et à l’immigration. Elle oublie qu’une bonne partie de la population est restée conservatrice et traditionnaliste. Dans les enquêtes, les Démocrates accusent ainsi les Républicains d’être « fermés d’esprit », alors que les Républicains accusent les Démocrates d’être « immoraux » et « inefficaces ».

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Un autre facteur d’inquiétude est la place de la violence. Rappelons que plusieurs présidents ou candidats à la présidentielle ont été assassinés, ce qui n’est pas rien, et beaucoup d’Américains sont armés et disposés à régler leurs comptes par la violence physique. La violence est la contrepartie d’un système politique dans lequel l’Etat n’est pas doté d’une forte légitimité. Tout ceci crée donc un contexte instable qui peut dégénérer.

Sans amoindrir les potentiels risques et responsabilités que font peser Trump et autres sur les Etats-Unis, n’y a-t-il pas un risque important pour la démocratie à présenter l'alternative comme nous (Démocrates) ou le chaos ? Et à laisser entendre qu’ils sont les seuls défenseurs de la démocratie ? Quelle est aujourd’hui la plus grande menace qui pèse sur la démocratie américaine ?

Drieu Godefridi : Cette surenchère est typique, dans la dernière ligne droite vers un scrutin. Combien de fois n’a-t-on pas agité le spectre de la mort de la démocratie, en France, quand le FN puis le RN ont réalisé ou étaient en passe de réaliser de jolis scores électoraux ? C’est une forme creuse, et passablement éculée, de la rhétorique électorale. On en trouve d’excellentes illustrations dans l’Athènes antique du IVème siècle avant Jésus-Christ. Nihil novi sub sole.

La seule menace structurelle qui pèse sur la démocratie américaine réside dans son système électoral — le comptage des votes — qui ferait rougir de honte n’importe quel pays européen. Pas de carte d’identité fédérale, vote par correspondance, vote via des « boxes » disséminés sur le territoire, souvent sans surveillance, prise en compte de bulletins qui ne satisfont pas les conditions légales (sic), non-vérification des signatures et autant d’exception qu’il y a d’États voire de comtés. Ce système anarchique et arbitraire sape la confiance, mine l’ordre constitutionnel américain et engendre mille théories conspirationnistes qui agissent en effet comme un acide sur le fragile tissu constitutionnel de ce grand pays. Dans un arrêt rendu après la présidentielle de 2020 (Richard Teigen and Richard Thom  v. Wisconsin Elections Commission), la Cour suprême du Wisconsin constatait que, lors de l’élection, des centaines de ‘ballot-boxes’ illégales avaient en effet été installées, sous divers prétextes, et des milliers de votes émis par cette méthode illégale, portant ainsi directement préjudice aux électeurs du Wisconsin : ‘Les votes illégaux ne diluent pas tant les votes légaux qu'ils ne les polluent, ce qui à son tour pollue l'intégrité des résultats. (…) Lorsque le niveau de pollution est suffisamment élevé, le brouillard crée l'obscurité, et l'institution du vote perd sa crédibilité en tant que méthode permettant de garantir le consentement continu du peuple à être gouverné.’ Au moment où vous lisez ces lignes, de multiples procédures judiciaires sont toujours en cours, pour déterminer quels bulletins de vote seront ou ne seront pas prises en compte, même quand les conditions légales (date, signature) ne sont pas satisfaites. Le jour de l’élection !

Vincent Tournier : Il est en effet problématique que, dans un système bipartisan, l’un des deux camps se trouve désigné par l’autre comme un ennemi de la démocratie. Cela signifie que, non seulement l’un des deux camps considère une partie de la population comme une réalité étrangère qui ne doit plus avoir droit au chapitre, mais aussi que l’alternance gouvernementale ne peut plus fonctionner. Le pire, c’est qu’il s’agit d’un jeu sans issu car, soit le diagnostic est vrai, et dans ce cas cela veut dire que l’un des deux camps constitue une menace réelle pour la démocratie (et donc qu’il doit être écarté du jeu électoral) ; soit le diagnostic est faux et cela signifie que l’un des partis entend s’arroger le monopole du pouvoir, ce qui est tout sauf démocratique. En bref, la conséquence logique du raisonnement de Joe Biden est que la tyrannie est la seule issue : soit la tyrannie du camp d’en face, soit la sienne.

Comment en est-on arrivé là, et peut-on imaginer une solution ?

Drieu Godefridi : Les Démocrates considèrent que le vote des minorités lui est essentiellement acquis. C’est faux, et l’on constate aujourd’hui que les Américains d’origine hispanique se prononcent massivement en faveur des candidats Républicains. Le déplacement est tout aussi impressionnant, et massif, au sein de l’électorat des Américains d’origine asiatique. L’électorat des Américains noirs, en revanche, reste globalement fidèle aux Démocrates. Or, une fraction significative de cet électorat ne se déplace jamais le jour des élections. L’idée est donc d’aller chercher leur vote à domicile, à défaut au plus près de celui-ci, à la faveur d’opérations de ramassage massif et collectif des bulletins (‘ballot-harvesting’). Stratégiquement cohérente, dans des élections qui se jouent parfois à quelques milliers de voix, cette démarche des Démocrates conduit à des abus, manipulations et tricheries qui rendent une réforme profonde du système électoral américain non seulement inévitable, mais souhaitable.

Vincent Tournier : Effectivement, la question se pose : comment est-il possible que, dans une société prospère et évoluée, les lignes de fracture soient désormais telles que la question d’une cohabitation pacifique entre les différentes composantes du peuple en vienne à se poser. La réponse est difficile et réside vraisemblablement dans une conjonction de facteurs qui, dans un contexte de globalisation, ont produit une accélération des mutations économiques et culturelles, créant progressivement des divergences irréductibles en termes d’intérêts et de valeurs.

Quant à savoir comment on peut sortir d’une telle situation, la réponse est encore plus difficile, surtout lorsque le jeu démocratique ne remplit plus son rôle.

C’est triste à dire, mais l’histoire incite à penser que ce sont souvent les guerres qui ont permis de sortir de ce type d’impasse, que ce soit les guerres civiles comme ce fut le cas aux Etats-Unis avec la guerre de Sécession ou en France avec la Commune, ou bien les guerres avec un ennemi extérieur, qui force les peuples à se ressouder face à un ennemi commun. En France, par exemple, c’est la guerre de 1871 qui a permis de régler le contentieux sur la nature du régime politique (la République l’emporte sur la monarchie et l’empire) et c’est encore la guerre de 1940-45 qui a réglé les clivages liés à au féminisme (les femmes obtiennent le droit de vote en 1944) ou à la question sociale (avec la création de la sécurité sociale).

Aujourd’hui, l’Occident considère qu’il n’a pas d’ennemi, ce qui est très honorable, mais n’est malheureusement pas réciproque car plusieurs pays voient l’Occident comme leur ennemi (la Russie, la Chine, les islamistes). La guerre en Ukraine n’a pas changé radicalement cet état de fait. La Russie n’est toujours pas vue comme un ennemi et il en va de même pour la Chine. La preuve en est que le chancelier allemand Olof Scholz vient de se rendre en Chine pour développer des partenariats économiques, signe que les Allemands n’ont pas tiré les leçons de la désastreuse politique d’Angela Merkel à l’égard de la Russie.

La situation est assez comparable aux Etats-Unis, même si la Chine fait l’objet d’une plus grande inquiétude qu’en Europe. Toujours est-il que, pour l’heure, on voit mal ce qui pourrait permettre de dépasser les fractures qui prospèrent. Ce serait quand même bien de se poser la question sérieusement, plutôt que d’attendre la prochaine guerre.

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