Michel Rocard : "Pourquoi il faut voter OUI au Traité budgétaire européen"<!-- --> | Atlantico.fr
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Michel Rocard : "Une ratification du Traité budgétaire européen est une nécessité vitale."
Michel Rocard : "Une ratification du Traité budgétaire européen est une nécessité vitale."
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Le grand débat

Europe Ecologie-Les Verts s'est prononcé samedi contre la ratification du Traité budgétaire européen. Alors que des députés socialistes menacent également de ne pas voter le texte, Michel Rocard estime que ce nouveau pacte est une nécessité absolue pour la construction européenne et la sortie de crise.

Michel Rocard

Michel Rocard

Michel Rocard a été Premier ministre de 1988 à 1991 sous François Mitterrand.

Il a également été Premier secrétaire du Parti socialiste de 1993 à 1994 avant d'entrer au Parlement européen où il siégea jusqu'en 2009.

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Atlantico : Le parti Europe Ecologie-Les Verts s'est prononcé samedi contre le Traité budgétaire européen lors d'un vote interne. De même, certains députés socialistes menacent de ne pas voter en faveur du texte lorsqu'il sera présenté à l'Assemblé nationale. Pour quelles raisons appelez-vous à défendre ce pacte budgétaire européen ?

Michel Rocard : Implicitement, la question est de savoir s'il faut maintenir une monnaie commune, la renforcer et préserver cette institution qui est un morceau entier, solide et considérable de notre unité européenne, une unité encore partielle. Quoi qu'il se passe, je suis absolument convaincu qu'il est vital de préserver cette construction européenne car, en dépit de la crise que nous traversons, nous avons de plus en plus besoin de l'Europe.

La domination américaine dans le monde s'estompe et le dollar n'est plus considéré comme une devise fiable. Comme l'a répété la Chine à plusieurs reprises, nous sommes menacés d'une crise financière mondiale. Le géant asiatique s'est d'ailleurs positionné en faveur de l'établissement d'un système monétaire équilibré entre trois ou quatre monnaies qui surveilleraient leurs parités.

La domination asiatique - caractérisée par l'émergence de la Chine mais également de l'Inde, de Taïwan, de Singapour ou même de Hong Kong - est appelée à se confirmer, voire à devenir majoritaire sur les autres puissances déjà existantes. Dans ce contexte, l'Europe est menacée par des délocalisations massives de ses entreprises. Pour défendre nos intérêts face à la Chine de demain, l'Europe est la seule entité permettant de peser suffisamment pour s'imposer dans les négociations. Pour cela, elle doit s'en donner les moyens : une ratification du Traité budgétaire européen est donc une nécessité vitale.

Que répondez-vous à ceux qui pointent du doigt la perte de souveraineté budgétaire pour la France en cas d'adoption du Traité ?

Cet argument est quelque peu désuet. Nous sommes actuellement en récession et les Etats sont à court d'argent. Par conséquent, la souveraineté budgétaire, telle que nous la connaissons, ne sert qu'à "répartir la misère".

Mieux vaut donc accepter de perdre cette "souveraineté" budgétaire plutôt que de briser l'unité européenne, une unité dont nous avons bien plus besoin à l'heure actuelle. Dans le même temps, il faut obtenir une suppression d'une partie de la dette des Etats. Elle ne sera jamais intégralement remboursée. L'urgence est donc d'en supprimer une partie sous forme d'un défaut partiel, raisonnable et contrôlé afin de soulager la charge qui pèse sur les Etats.

Au-delà de la souveraineté, 67% des français estiment que l'Union européenne va plutôt "dans la mauvaise direction" selon un sondage Ifop pour Le Figaro paru le 17 septembre. En choisissant une ratification par voie parlementaire plutôt que référendaire, François Hollande fait-il fi de la volonté du "peuple" comme le clament certaines personnalités politiques ?

Même si l'Europe est actuellement trop axée sur la rigueur budgétaire et l'austérité, toute interruption de la construction européenne serait suicidaire pour l'avenir. Il faut signer ce Traité, il n'y a pas d'autre choix possible. Si l'euro disparaît, chaque pays retrouverait alors une monnaie nationale. Des monnaies qui seraient alors dévaluées de 20% ou 30%. Une situation qui serait intenable. Nous ne pourrions même plus acheter de pétrole ! Un retour aux devises nationales coulerait des économies comme l'Espagne ou l'Italie. S'il y avait un référendum, il faudrait davantage expliquer cela aux Français.

Je n'aime pas le référendum : trop souvent, on y pose des questions trop simplifiées sur des questions qui sont trop compliquées. De même, il est trop souvent d'usage que les débats soient détournés à tel point que les électeurs répondent davantage à celui qui pose la question - le Président, le pouvoir en place par exemple - qu'à la question elle-même. Les référendum laissent une trop grande place à l'émotion et tournent ainsi en combat médiatique au détriment des idées. Un résumé brutal que ne supportent pas des questions aussi techniques et complexes.

Les divisions politiques de la majorité plurielle sur ce sujet, y compris au sein du Parti socialiste, peuvent-elles affaiblir François Hollande sur la scène européenne ?

Soyons francs : cela risque surtout d'affaiblir la France, quelque soit le pouvoir exécutif en place. Les Français doivent comprendre que, dans le nouveau monde qui se dessine, la France et l'Europe seront affaiblies si un pas significatif vers l'Europe politique n'est pas réalisé.

Ce Traité est une formidable occasion de renforcer la partie monétaire, même si l'Europe est actuellement trop tournée sur la rigueur.

Vous estimez qu'il faut favoriser les mesures de soutien à l'activité. Alors que François Hollande a revu à la baisse sa prévision de croissance à 0,8% pour 2013, le Traité budgétaire - en limitant les déficits structurels à 0,8% du PIB - ne risque-t-il pas de pénaliser la croissance et la sortie de crise ?

Effectivement, nous devons éviter d'aggraver la récession. Or, la dépense publique est un des moteurs de la croissance. Il y a donc une certaine contradiction dont nous ne pourrons pas sortir à court terme : pour résumer, je ne crois pas qu'il y aura un retour à la croissance rapidement. Les dépenses publiques étant sous contrainte, il faudrait donc limiter la contribution de la dépense publique à la croissance pour éviter la récession. Sur ce point, la France dispose d'un grand nombre d'épargnants privés que l'on devrait mobiliser afin qu'ils contribuent davantage au retour de la croissance.

Il faut préserver cette dernière, quitte à rembourser moins de dette, pour ne pas aggraver la récessionMais ce pacte budgétaire européen organise la solidarité entre les différents Etats membres afin d'aider les plus affaiblis à traverser la crise, sous condition qu'ils acceptent de mettre en place des mesures visant à assainir leurs finances publiques. En tout état de cause, et quoi qu'il en coûte, il ne faut surtout pas casser l'Europe qui est une nécessité et notre seule chance pour l'avenir.

Vous aviez déclaré dans une interview accordée ce mois-ci au journal Le Parisien que "Hollande doit changer sa vision de l’économie". Estimez-vous que des erreurs ont été commises ?

Droite comme gauche, toute la classe politique française, lors de la campagne présidentielle, a laissé croire que le pays retrouverait la croissance six mois après l'élection. Bien qu'ils se distinguaient sur les moyens et les mécanismes à mettre en oeuvre pour y parvenir, tous tenaient ce même discours. Mais c'était faux !

François Hollande, tout comme Nicolas Sarkozy, s'est laissé emporter par ce mouvement général. La Commission économique du Parti socialiste, comme celle de l'UMP, a également tenu cette position.

Par conséquent, quelles réorientations le gouvernement doit-il opérer ?

Il faut revenir à une analyse approfondie de la crise économique mondiale en cours et reconnaître qu'il n'y aura pas de retour à la croissance avant longtemps. La nécessité pour le gouvernement est l'élaboration d'une nouvelle façon de voir une situation qui n'est pas celle prévue, et annoncée, il y a six mois. Il faudra par la suite l'expliquer aux Français.

Dans ces conditions, une hausse généralisée des impôts (qui pourrait être décidée prochainement) peut-elle faire courir un risque supplémentaire à la France ?

La politique fiscale menée par François Hollande n'est qu'une correction des allègements accordés aux plus riches par Nicolas Sarkozy. Ce sont des mesures à court terme qui sont légitimées par le manque d'argent du Trésor public.

Pourtant, la Cour des comptes n'a pas manqué d'être critique à l'égard de la politique fiscale conduite par le gouvernement... 

Nous verrons dans quelques semaines ce que sera le budget pour l'année 2013, mais nous sommes encore loin d'une restriction générale de l'investissement. Les décisions prises par le gouvernement en matière fiscale ne doivent donc pas être considérées comme des mesures impactant le long terme.

Propos recueillis par Olivier Harmant et Franck Michel

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