Meurtre de Lola : radioscopie des dysfonctionnements de la justice (les réels ET les fantasmés)<!-- --> | Atlantico.fr
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Des anonymes déposant des fleurs et messages en hommage à Lola.
Des anonymes déposant des fleurs et messages en hommage à Lola.
©DENIS CHARLET / AFP

Tirer les conséquences

La mort de la petite Lola a fait ressurgir de nombreuses critiques à propos de la justice et de l'incapacité des gouvernants à gérer l'immigration clandestine. Certaines de ces critiques ne sont pas forcément justifiées.

Béatrice Brugère

Béatrice Brugère

Béatrice Brugère est magistrate et secrétaire générale du syndicat Unité-Magistrats FO. 

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Atlantico : Alors que l’émoi suscité par la mort de la jeune Lola ne faiblit pas, les critiques que l’on entend régulièrement à propos de la justice ressurgissent. Comment faire le distinguo entre celles qui sont recevables et celles qui ne le sont pas ?

Béatrice Brugère : Les critiques ne portent pas tant sur le fonctionnement de l'institution judiciaire que sur l'incapacité des gouvernants à réguler une véritable politique migratoire et notamment à mettre à exécution les OQTF

De fait du point de vue de la justice, même si la question de la fragilité et donc de l'irresponsabilité psychique de la meurtrière présumée a été évoquée, elle n'a pas en l'état été déclarée irresponsable pénalement, a pu être mise en examen puis écrouée, son état psychique n'ayant pas été déclaré incompatible ni avec la garde à vue, ni avec le placement en détention provisoire.

Sur l'aspect de la situation administrative de la mise en cause, qui n'aurait pas dû se trouver sur le territoire français, celle ci ne concerne de fait pas tant les juges que le rôle du préfet et du législateur, donc du pouvoir politique :  c'est bien le Préfet qui 1/ décide des OQTF, de leur délai d'exécution, de l'interdiction de revenir ou non sur le territoire national et 2/ du placement en Centre de rétention administratif, le juge n'intervenant qu'à la marge.

On pourrait ajouter le rôle des associations (type CIMADE, France Terre d'asile) qui conseillent les étrangers sur la régularité de la procédure.

La difficulté très concrète à expulser les étrangers en situation irrégulière (et donc à mettre à exécution les OQTF) résulte essentiellement d'une législation ultra complexe et d'une multitude de recours possibles, pointée d'ailleurs dans un rapport d'information du Sénat du 10 mai 2022. Elle résulte aussi d'un manque de volonté politique, à mettre en place un véritable contrôle et donc une véritable contrainte, sur les étrangers en situation irrégulière.

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L’Etat est-il dépassé par les évènements ou a-t-il organisé son impuissance politique et juridique ?

Pour ce qui est de l'institution Justice, ce n'est pas elle qui est « dépassée » par les évènements ; les magistrats traitent « habituellement » les affaires criminelles, et ce avec efficacité, étant précisé que des faits d'une telle atrocité et d'une telle gravité que ceux dont la jeune Lola a été victime restent heureusement assez rares ; en l'occurence, la principale mise en cause qui n'était pas connue de la justice pénale, a été déférée puis écrouée à l'issue de sa garde à vue dans le cadre d'un mandat de dépôt criminel.

Ce qui semble en revanche bien dépasser nos politiques, c'est l'émoi suscité par cette affaire, et en grande partie au regard de la situation irrégulière de la mise en cause, indépendamment de l'horreur des faits en eux mêmes.

Ce qui ressort dans le discours de l'opinion publique, c'est que la jeune Lola n'aurait jamais dû croiser le chemin de son agresseur, ce jour là, cette dernière n'étant pas censée se trouver sur le territoire français.

Nos responsables politiques, plutôt qu'accepter le débat sur les réelles questions que pose cette nouvelle affaire, tenten de l'étouffer, l'empêcher, en brandissant tel un anathème l'accusation de « récupération » ; tel un article 49-3 « dégainé » pour empêcher tout véritable débat, ces accusations n'empêchent pas, cette volonté populaire de s'exprimer.

De fait le politique semble bien dépassé et rattrapé par cette opinion publique, qui réclame un débat légitime sur les questions que pose à nouveau cette dramatique et sordide affaire.

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De plus l'affaire Lola suscite un autre débat dans l'opinion publique, celui de la peine dite de réclusion "à perpétuité réelle".

Si l'article 221-4 du CP la prévoit expressément, c'est pour la limiter à 4 cas (en l'espèce, la meurtrière présumée de Lola  encourt cette peine). Dans le même temps , l'article 720-4 du CPP édicte la possibilité d'une libération à l'issue d'une période de 30 ans sous réserve d'une expertise réalisée par un collège de 3 experts psychiatres.

Sans connaître le détail du dispositif juridique, l'opinion publique met en balance l'atrocité des faits avec une peine de réclusion criminelle à temps dont la durée, même conséquente, lui paraît insuffisante. L'inexistence d'une perpétuité réelle pourrait relancer le débat sur la peine de mort à laquelle environ 40% des français sont favorables.

Dans l'imaginaire collectif, la vie ôtée à la victime doit entraîner le sacrifice de la vie de l'auteur du crime. La fonction rétributive de la peine n'est pas remplie même pour la majorité de nos concitoyens opposés à la peine de mort, par une peine à temps qui sur le plan théorique, pose en principe un possible amendement de l'auteur des faits et son éventuel retour dans la communauté.

Or c'est précisément son exclusion définitive qui est attendue par l'opinion publique pour qui la mort sociale servirait de substitut à une exécution, tout en prévenant le risque de récidive. 

Que l'on soit d'accord ou non avec cette option, le débat mérite d'être posé, et d'être ouvert, sans encourir une stigmatisation et un baillonnement immédiats.

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Dans quelle mesure ces difficultés sont, ou non, une question de moyens ?

Comme il vient d'être dit, il ne s'agit pas tant d'une question de moyens, (même si ce sujet ne saurait être évidemment éludé) que de volonté politique qui passerait clairement par un changement de législation en matière de contrôle de l'immigration, vers plus d'efficacité et de simplification, mais aussi par un changement d'état d'esprit en terme de culture du contrôle ;  nous pourrions à cet égard être bien inspirés de voir comment certains pays occidentaux, pays anglo saxons notamment, (USA, Australie) gèrent leur politique migratoire avec de véritables dispositifs de contrôle permettant bien plus d'efficacité.

Faudrait-il des lois plus sévères ? ou y-a-t-il une justice laxiste ?

En soi, la loi pénale est déjà sévère, il suffit de lire dans le code pénal les peines maximales encourues pour la plupart des délits et crimes, qui sont tout à fait significatives ; mais là aussi c'est à mettre en balance avec les injonctions contradictoires du politique de ne pas mettre à exécution les courtes peines de prison par exemple, de vouloir aménager quasiment systématiquement les peines de prison.

S'agissant des crimes particulièrement atroces comme il a été dit précédemment, le débat doit pouvoir s'ouvrir sur des questions telle une véritable perpétuité, qui relèvent du politique.

La justice se décharge-t-elle trop vite vers la psychiatrie ?

La question de l'irresponsabilité pénale de l'auteur d'un crime atroce s'était déjà posée notamment avec l'affaire Sarah Halimi, ayant provoqué un émoi considérable dans l'opinion publique, suite à la déclaration d'irresponsabilité pénale prononcée par la Chambre de l'instruction, confirmée par la Cour de cassation, le 14 avril 2021, eu égard aux expertises psychiatriques ayant conclu pour la majorité à l'abolition du discernement de l'accusé.

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Il y a lieu de rappeler que ce sont les experts psychiatres qui déterminent le profil psychiatrique des mis en cause et concluent ou non à leur irresponsabilité pénale ; si le juge reste souverain et n'est pas lié par les conclusions d'une expertise psychiatrique, il n'en demeure pas moins que si les experts concluent à l'unanimité à une abolition du discernement et donc à une irresponsabilité pénale, le juge ira dans le même sens.

En revanche il n'est pas rare que les experts se contredisent entre eux, la psychiatrie n'étant pas une science exacte, et n'arrivent en conséquence pas aux mêmes conclusions ; en ce cas il apparait opportun de renvoyer l'accusé ou le prévenu à une audience, pour en débattre.

Enfin, et pour rappel, les criminels irresponsables pénalement sont pris en charge dans des hôpitaux psychiatriques sous contrainte ; Le temps qu'ils y passent ne dépend ensuite pas des juges, mais des médecins psychiatres.

Y a-t-il une idéologie de la magistrature ? Si oui, que peut-elle expliquer ?

La notion« idéologie de la magistrature » est un concept fourre-tout, qu'il conviendrait de définir ; les magistrats en tant qu'individus ont bien évidemment des sensibilités diverses et il n'y a donc à notre sens pas d'homogénéité au sein de la magistrature.

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