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Message aux obsédés de la fraude et de l’évasion fiscale : faire payer 100% des mauvais joueurs ne résoudrait pas les problèmes budgétaires français
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La preuve par les chiffres

Mardi soir, l'émission "Cash investigation" proposait un numéro spécial sur l'évasion fiscale, qui sera le sujet principal du G8 dans quelques jours. Cette obsession de la fraude fiscale ne résoudrait cependant pas nos problèmes budgétaires.

Gérard Thoris

Gérard Thoris

Gérard Thoris est maître de conférence à Sciences Po. il a notamment rédigé une Analyse économique des systèmes (Paris, Armand Colin, 1997), contribue au Rapport Antheios et publie régulièrement des articles en matière de politique économique et sociale (Sociétal, Revue française des finances publiques…).

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Atlantico : La bataille des chiffres fait rage sur le réel montant de la facture de la fraude fiscale. Pour le syndicat de fonctionnaires Solidaires Finances Publiques, elle s'élèverait à 80 milliards d'euros. Que faut-il penser de cette estimation ?

Gérard Thoris : La première question que l’on est en droit de se poser, c’est celle de la source. Le syndicat national unifié des impôts (SNUI) devenu Solidaires Finances Publiques a, fort logiquement, la mission de représenter les salariés du Ministère de l’économie et des finances qui se retrouvent dans ses projets et dans ses mots d’ordre. Il n’a certainement pas vocation à entrer dans la politique fiscale de la France et, encore moins, à créer une statistique parallèle. La première relève de la représentation parlementaire ; la seconde relève de leur ministère d’affectation. C’est pourtant ce que fait ce syndicat, et depuis longtemps, sans que personne s’en émeuve. Il est vrai que sa situation est loin d’être inédite dans la fonction publique française !

La seconde question est évidemment de savoir quels impôts seraient fraudés et dans quelle proportion. La consultation du rapport du syndicat n’apporte pas d’éléments permettant d’étayer le chiffre annoncé. On note néanmoins (p. 6) qu’il « existe de nombreuses dispositions dérogatoires » et que « le non respect des (conditions pour en bénéficier) se traduit par une fraude fiscale encore mal détectée ». Il s’agit, sur ce point, d’un procès d’intention, même si celui-ci n’est pas sans fondement : les niches sont faites pour ceux qui les demandent et ceux qui savent les utiliser !

De ce fait, la troisième question est de savoir si les chiffres, qui intègrent « l’évasion fiscale internationale », portent sur l’optimisation fiscale ou la fraude au sens propre du terme. Il est évident que tout pays qui offre des taux d’imposition moins élevés qu’un autre suscite un comportement d’optimisation. C’est une question complexe du fait même de la superposition des territoires de production, d’assemblage, de vente, etc. La notion de « paradis fiscal » devrait tenir compte de l’ensemble des services sociaux fournis à la population. Cela servirait de discriminant avec les pures « boîtes aux lettres fiscales ».

La quatrième question est de savoir quelles sont les bases de calcul qui permettent d’arriver à 80 milliards d’euros. On se contentera ici d’estimations très arrondies. Avec 2 000 milliards d’euros de PIB, les recettes fiscales de l’administration publique centrale se montent à 300 milliards d’euros. Cela représente un taux d’imposition implicite de 15 %. Dire qu’il manque 80 milliards de recettes fiscales, c’est dire qu’il manque 25 % des recettes attendues, ce qui est considérable. Mais c’est aussi dire que c’est 540 milliards de revenus (au taux de 15 %) qui échappent au regard vigilant des comptables nationaux comme des contrôleurs du fisc. Rapportée à la population, cela fait 8 300€ par personne !

Cette somme alimente de nombreux fantasmes notamment sur l'utilisation qui pourrait en être faite si l'Etat parvenait à en recouvrer l'intégralité. Mais, compte-tenu du caractère approximatif des estimations, des coûts à engager pour faire revenir les exilés, de l'impossibilité d'éradiquer complètement la fraude fiscale mais aussi des très bons scores de la France en matière de redressement, une telle opération serait-elle vraiment intéressante pour les comptes publics ?

La lutte contre la fraude fiscale relève d’un principe d’égalité des citoyens devant les charges communes. A ce titre, son coût est relativement secondaire. En même temps, ce principe est d’une élasticité exceptionnelle, particulièrement en France. Chaque fois que l’on invoque la « justice fiscale », c’est pour accroître l’impôt des plus riches. Cela fait quand même plusieurs décennies (1988) qu’un gouvernement de gauche dirigé par Michel Rocard a inventé la notion de « bouclier fiscal ». L’expression devrait faire horreur à tous les démocrates puisqu’elle laisse entendre qu’il y a à se protéger contre la représentation populaire elle-même ! Une réaction normale eût été de mettre à plat le système fiscal dans son ensemble et d’étudier les interactions entre les systèmes de prélèvements sur le revenu, la consommation, l’épargne, le patrimoine, les plus-values etc. A partir de là, nos esprits cartésiens auraient certainement pu construire un système simple, assez transparent et qui laisse naturellement un revenu substantiel à ceux qui créent des richesses. Puisque ce n’est pas le cas, les fraudeurs se donnent facilement bonne conscience et la machine administrative ne croit jamais assez vite pour réussir à les confondre. Le rapport du Sénat cité par Solidaires Finances Publiques ne prévoit pas moins de 61 propositions pour lutter contre la seule évasion fiscale ![i]Avant de se lancer dans l’aventure, il conviendrait sans doute d’estimer le rapport coût-avantage de toute mesure nouvelle !

Le problème de la France est-il fondamentalement budgétaire ? L'Etat a-t-il besoin de davantage de moyens ou de mieux les dépenser ? L'obsession de la fraude et de l'évasion fiscale nous éloigne-t-elle des vraies priorités ?

On l’a dit, la lutte contre la fraude fiscale relève d’un principe. A ce titre, elle n’a pas à être mise en balance avec les principes généraux des politiques publiques. Mais, on y revient, il faut néanmoins s’interroger quant à l’impact sur la croissance économique, donc les recettes fiscales et sociales, de l’ensemble des prélèvements nouveaux, divers et variés, et qui ne font pas l’objet d’une fraude. La taxe à 75 % sur les salaires supérieurs à un million d’euros en est le prototype : sortie de nulle part, sans base claire, elle a finalement été contestée par le Conseil constitutionnel avant d’être remplacée par une sorte de taxe sur les entreprises au nom des personnes qu’elles embauchent ! Mais qui a une seule seconde mesuré le nombre de postes de travail à ce niveau de salaires qui n’ont pas été créés en France, qui ont ou qui vont être transférés à l’étranger ? A l’autre extrême, la volonté de faire entrer dans le régime commun les auto-entrepreneurs qui font plus de 19 000€ de chiffre d’affaires pendant plus de deux ans va entraîner une purge importante dans cette activité. Mais la diminution de l’activité que cette décision va engendrer ne fera, elle non plus, l’objet d’aucune mesure. La fraude fiscale est bien improbable de la part de personnes qui sont déjà connues des services fiscaux. C’est donc leur activité qui sera sacrifiée, avec la modeste contribution qu’elle apportait aux recettes publiques. C’est le vieux dilemme du visible et de l’invisible que l’on peut multiplier presque à l’infini et qui se traduit par une réduction parfois définitive de l’assiette fiscale. S’il est une priorité à mettre en œuvre en France, c’est donc l’arrêt des mesures fiscales nouvelles qui visent ostensiblement ceux qui, en bas comme en haut de l’échelle, contribuent à la création de richesses.

Mais en même temps, qu’on ne s’y trompe pas ! L’exemple américain nous montre que, sauf exceptions notables, le taux de prélèvement sur les riches particuliers comme sur les riches entreprises est toujours considéré comme trop élevé par ceux qui y sont assujettis. Cela signifie qu’une fiscalité favorable à l’entrepreneuriat et à la création de richesses ne doit pas entraîner de relâchement dans la vigilance des contrôleurs !

Quelles autres pistes devraient dès lors être privilégiées ?

Plutôt que de toujours penser aux entrepreneurs qui n’en demandent pas tant, il serait sans doute utile d’organiser les compétitions sportives internationales sur la base de la résidence fiscale. Ainsi, la Suisse aurait atteint les demi-finales en la personne de Jo-Wilfried Tsonga. Pardon pour lui, mais c’est l’actualité seulement qui commande l’exemple !


[i] http://www.senat.fr/rap/r11-673-1/r11-673-1-syn.pdf

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