Aloïs Keller, capitaine de gendarmerie, est envoyé dans l'archipel des Gambier, un des cinq archipels de la Polynésie française, pour y enquêter sur un crime particulièrement sauvage. Sur l'île de Taravai, à priori paradisiaque, un jeune pêcheur de perle a été retrouvé atrocement mutilé dans une église abandonnée, et l'eau des lagons est infestée de pourritures et de poissons morts. Son enquête l'oblige à quitter le sentier rationnel d'un crime "ordinaire", à s'engager dans des recherches historiques sur la christianisation de l'île, sur l'histoire d'une vieille famille qui a exploré les tréfonds des légendes locales et fait fortune dans le commerce des perles. Il va croiser un être monstrueux, des religieux taiseux du passé animiste des îles, un "chaman" ou plutôt "un promeneur de la nuit" qui va l'entraîner dans la profondeur des légendes de l'archipel. Et l'accompagner dans une quête de vérité hallucinante et hallucinée, qui ne pourra s'accomplir sans une lutte à mort avec les forces ancestrales des îles.

Mekiro propose une plongée fort bien documentée sur l'archipel des Gambier, les traditions de la Polynésie française, les chemins plus ou moins sinueux de sa christianisation, et sur la vie quotidienne dans ces îles du Pacifique sud.

Naturellement, sous la plume d'un officier de gendarmerie, l'enquête est décrite avec précision, qu'il s'agisse de son volet officiel comme des recherches personnelles d'Aloïs, que les circonstances du drame conduisent à mener hors procédure. 

Enfin, une mention particulière pour la reconstitution des légendes maléfiques des Gambier, qui forment une trame très crédible et documentée par l'enquête du capitaine Keller, mais au stade de cette chronique, et malgré de petites recherches en lignes, dont la véracité ne peut être assurée !

Ce roman navigue entre deux mondes, celui de la “réalité”de l'enquête, et celui des mobiles et motivation du crime initial. Il conduira le lecteur, qui ne s'y attendra peut-être pas, dans le monde souterrain des forces maléfiques primordiales de ces îles, dans un combat qui mêle le réel et le fantastique.

Mekiro est à la fois le titre et le site du dénouement de ce roman. Clairement policier, il flirte cependant avec l'héroïque fantaisie, si l'on conçoit de mêler dans une enquête de gendarmerie, le rationnel et l'irrationnel, les longues déambulations, légendes et descriptions oniriques, la survenue de forces fantastiques et obscures. C'est l'originalité du roman. Sa fin, autant que son épilogue en clin d'œil, laissent franchement sur votre faim. Bref, ce mélange ne m'a pas vraiment convaincu, même si le roman est bien construit et assez immersif. On pouvait attendre du prix du roman de la gendarmerie 2023 une histoire, certes originale, mais plus ancrée dans le réel. Cette observation faite, le roman plaira au lecteur averti, pour son ambiance oppressante dans un paradis martyrisé par ses démons !

"Je remerciais mon hôte pour son récit, mais continuais à m'interroger sur l'apparition de la bête, quand Henri, soudain, me tendit une coupe, celle remplie de la mixture qu'il avait mis si longtemps à préparer. "Bois et tu sauras ! Comme pour le Hakanaii, change ta perception et aiguise ton esprit", m'affirma-t-il d'un ton quasi martial. 

Je pris du bout des doigts l'objet d'où émanait une odeur âcre, peu engageante. […] Le liquide coula, d'abord froid, dans ma gorge, puis je sentis une chaleur intense m'envahir et la substance, acide, passer dans mon estomac. Pris d'une violente douleur, je m'effondrais en me tenant le ventre, puis laissais mon esprit divaguer.
[…]

J'arpentais des couloirs sombres dont la logique géométrique ne correspondait à rien. Les murs étaient gravés de signes indescriptibles qui, parfois me rappelaient les hiéroglyphes d'Egypte antique, à moins que ce ne fut le Guèze de la lointaine Ethiopie, mais le plus effroyable était toutes ces formes qui se mouvaient au sol et sur les murs, tels des insectes. J'avais l'impression de glisser ou de ramper parmi eux, au milieu d'une multitude d'êtres désincarnés perdus dans un monde hors du temps " P. 142

L'AUTEUR

Robin Fischhoff est officier de police judiciaire au sein de la gendarmerie nationale. Notamment commandant de compagnie en Polynésie française pendant 3 ans, il en connaît bien les spécificités. Il est aujourd'hui chargé de mission au sein du cabinet du Procureur général de la Cour de cassation. Mekiro est son premier roman. C'est la première fois depuis la création du prix du roman de la gendarmerie que le lauréat fait partie du corps de la gendarmerie.