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Manuel Valls au Moyen-Orient : la France entre moralisation à géométrie variable et cynisme marchand
©Reuters

Angélisme et realpolitik

Le Premier ministre Manuel Valls s'est envolé samedi 10 octobre au matin pour une visite de quatre jours au Moyen-Orient. En toile de fond : la gestion de la crise syrienne. Retour sur trois années de politique arabe de François Hollande.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Atlantico : Alors que Manuel Valls entame un voyage de quatre jours en Égypte, Jordanie et Arabie Saoudite, quel est le bilan de l'action de François Hollande au Moyen-Orient depuis le début de son mandat ?

Alexandre del Valle : Le bilan de François Hollande au Moyen-Orient est peut-être assez bon du point de vue économique. Il a réussi à marquer des points en vendant un certain nombre d’équipements militaires aux pays du Golfe et des Rafales puis des Mistral à l’Egypte. Cette dimension économique de la politique internationale semble l'avoir particulièrement intéressé. Le bilan est donc relativement positif, il a même eu des résultats presque supérieurs à ceux de son prédécesseur. Par contre du point de vue géopolitique, on ne peut pas dire que la position de la France en Syrie ait été positive ou même réaliste. Dès le début, la Syrie a été considérée par François Hollande comme un sujet qui devait être géré en fonction des intérêts et vues stratégiques des Saoudiens, des alliés turcs au sein de l’OTAN et des Qataris, trois pôles qui financent et soutiennent depuis le début du printemps arabe les forces islamistes hostiles aux régimes sécularistes-nationalistes. Depuis Hollande, la France est ainsi devenue la championne de l'Arabie saoudite et de la Turquie post-kémaliste d’Erdogan, après avoir été la championne du Qatar sous Sarkozy... ce qui n'est pas mieux !

Étonnamment, alors que François Hollande a rompu des accords commerciaux stratégiques (mistral) puis participé à l’embargo contre la Russie qui ne nous a jamais agressé, sous prétexte que Moscou viole le droit international, il a trouvé tout à fait fréquentable l'Arabie Saoudite championne mondiale de l’excision, des pendaisons et des décapitations et co-fondateur d’Al-Qaïda puis ancien financier de Daech et autres monstres totalitaires qui ont tué des citoyens français… . Aujourd’hui, l’Arabie saoudite continue, avec le Koweït, la Turquie et le Qatar, à financer et armer des djihadistes liés à Al-Qaïda, comme le front Al-Nosra en Syrie et l’ensemble de la coalition du Front islamique syrien et de Jaich al-Fatah... Donc ce qui est étonnant c'est cette politique française qui se veut moralisatrice au nom des droits de l'homme pour certains pays, et pas pour d'autre ... Il y a des pays qui mériteraient l'indignation de la France en matière de respect des minorités ou du droit international, et d’autres aussi ou même plus totalitaires qui ne le mériteraient pas... On voit bien que les intérêts économiques et électoralistes de court terme ont totalement évacué la vision géopolitique et la défense de la civilisation occidentale menacée par le totalitarisme islamiste. Certes, c’est très bien de défendre les intérêts économiques, mais là on est entré dans une dérive assez incroyable qui est celle du suivisme. La France ne suit pas seulement les États-Unis dans un certain nombre de dossiers - presque plus d'ailleurs que la droite gaulliste française et Sarkozy - mais elle suit aussi les Saoudiens, les Turcs, les Koweïtiens et les Qataris… véritables parrains de nos ennemis existentiels islamistes politiques ou terroristes. Et ceci est beaucoup plus inquiétant. Car la France des droits de l'homme qui donne des leçons de morale à certains pays qui les violent est devenue aujourd'hui le suiveur géopolitique et le véritable serviteur des pays islamistes pétroliers du Golfe, qui sont quand même les principaux responsables idéologiques et financiers de l'ascension des mouvements islamistes qui tuent des citoyens français et les embrigadent... 

Revenons sur les États-Unis : on appelait Nicolas Sarkozy "Sarko l'Américain". Qu'est-ce qui a changé dans la relation entre la France et les États-Unis depuis l'arrivée de François Hollande ?

Depuis l'arrivée de François Hollande, on ne peut pas dire que ça ait beaucoup changé. Depuis un certain nombre d'années – sans doute la fin du règne de Jacques Chirac - la France est un pays qui s'est beaucoup rapproché des positions américaines. Il existe de réelles convergences de vue au-delà des tendances politiques. De ce point de vue, on peut dire que si « Sarko », Président de droite, était « l'Américain », le socialiste très pragmatique Hollande l'est encore plus aujourd'hui. Je pense qu'avec François Hollande, la France suit encore plus les intérêts des Américains et de leurs alliés. La France n'a jamais été aussi pro-saoudienne et aussi pro-turque, deux piliers du dispositif stratégique atlantique et américain au Moyen Orient. Sous Nicolas Sarkozy, il y avait tout de même des bémols. Il s'était présenté comme un grand ami des États-Unis, et pourtant il s'est rapproché très nettement de Vladimir Poutine dans le cadre d’une vision gaullienne d’axe Paris-Berlin-Moscou, colonne vertébrale d’une Europe forte et indépendante. Et Nicolas Sarkozy était très critique vis-à-vis de la Turquie avec qui il y avait une vraie brouille, alors que ce pays membre de l’OTAN et au double jeu vis---vis des islamistes demeure un allié majeur pour les Américains dans la région. Par contre, François Hollande, qui aurait pu être plus éloigné des Américains en tant qu'homme de gauche, est très proche d'eux à bien des égards. Longtemps sur l'Iran, les Français ont été même plus durs vis-à-vis du régime iranien. Vis-à-vis de la Turquie, la France n'a jamais été aussi pro-turque que sous François Hollande. Donc on peut dire qu'Hollande est à la fois plus américain que son prédécesseur, beaucoup plus anti-russe, et également beaucoup plus proche des grands alliés musulmans des Américains au Proche et Moyen-Orient que sont l'Arabie Saoudite et la Turquie. Et enfin dans le dossier syrien, la France était, comme sur le dossier iranien, encore plus jusqu'au-boutiste que les Américains, en soutenant les intérêts qui étaient ceux des islamistes depuis le début, c'est à dire des Frères musulmans. C'était un peu la position anglo-saxonne: remplacer Bachar Al-Assad par des Frères musulmans. Or ça n'a pas été possible. Donc la France dans tous ces dossiers, est soit suiviste des Américains, soit encore plus royaliste que le roi. 

Qu'est-ce qu'on peut dire de la position française sur la Syrie ? Est-ce qu'il n'y a pas une forme d'angélisme dans sa posture ?

Bien sûr ! Mais c'est un faux angélisme. Au début du Printemps arabe, ou du conflit en Syrie, la France avait tout de suite dit que les Frères musulmans représentaient « l'unique réelle opposition » puis elle faisait de la chute de Bachar al-Assad une exigence et une pré-condition, tout en excluant du dossier Moscou et Téhéran dernière chose à faire…. Ou meilleur moyen de laisser pourrir la situation… Plus que de l'angélisme, c'était en réalité du jusqu'au-boutisme, et c'était une volonté beaucoup moins idéaliste que l'on croit, mais plutôt commandée par les pays islamistes et les Etats-Unis. Cela consistait à dire aux alliés saoudiens et turcs « ne vous inquiétez pas chers amis, on va vous vendre des avions, des armes et pour être bien vus par vous, nous vous rassurons, nous sommes très proches de vos positions et intérêts en Syrie et ailleurs et nous allons les défendre ». Sur le dossier syrien, la France n'a pas adopté une position franco-française ou européenne lucide et pragmatique, mais une position américano-qataro- turco-saoudienne…. La France a voulu, pour des raisons certes compréhensibles d'un point de vue économique, être bien vue par des partenaires qu'elle cherchait à courtiser. A contrario, si Nicolas Sarkozy était présenté comme un pro-américain, il a conservé et même rétabli une relation privilégiée et constructive avec la Russie, puis il était hostile à l’idée de l’intégration de la Turquie dans l’UE. Bien qu’un peu trop lié aux Qataris, Sarkozy était plus souple, plus pragmatique et il pouvait être à la fois pro-américain et en même temps de montrer une certaine autonomie stratégique vis-à-vis de Washington. Regardez la crise en Géorgie, qu’il a su régler d’une façon intelligente en invitant Moscou à la table des négociations et en respectant les visions Russes autant que celles des autres parties. En encore aujourd'hui, sur le dossier ukrainien, l'ancien Président a grosso-modo compris et défendu une partie de la position russe, ce qui signifie de ne pas faire du retour de la Crimée russophone à la Russie et de la crise ukrainienne un casus belli. Au contraire, n constate que M. Hollande, lui, est très proches des positions des pays qui sont en général hostiles à la Russie..

Quelle lecture peut-on faire du déplacement de Manuel Valls au Moyen-Orient ce week-end ?

Tout d'abord, dans la Constitution de la Vème République, c'est le Président de la République qui a la main mise réelle sur les affaires internationales. Mais le Premier ministre a quand même son mot à dire. Il dirige la politique du gouvernement. Et en accord avec le Président de la République, il est légitime qu'un Premier ministre fasse une tournée internationale, surtout dans ce Moyen-Orient en crise où il convient de faire renaître le dialogue et de consolider les positions française dans le cadre d’une recomposition régionale en cours. Deuxième aspect : M. Valls a de très hautes ambitions, comme Nicolas Sarkozy en 2006, et il prépare aussi son leadership international, ce qui est tout à fait logique et même nécessaire pour lui. Et troisièmement, la situation est tellement grave et sismique dans les pays du Proche et Moyen-Orient que M. Hollande ne voit pas de mal à envoyer son Premier ministre tâter le terrain et essayer de faire entendre la voix de la France, celle d'une grande puissance qui a son mot à dire car elle y a des intérêts importants et une présence historique relativement récente (colonisation du Maghreb et Mandats français en Syrie et au Liban sous le SDN puis accords Sykes-Picot qui ont présidé au tracé des frontières actuelles remises en questions par Daech). Cette visite a donc à la fois un aspect politique et un aspect lié à l'agenda personnel de Manuel Valls. C'est important quand on se veut présidentiable, de montrer que l'on a une carrure internationale.

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