Manifestations anti passe sanitaire : ce défi que le gouvernement aurait grand tort de snober<!-- --> | Atlantico.fr
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Des manifestants anti pass sanitaire se sont rassemblés ce samedi au Trocadéro, à Paris.
Des manifestants anti pass sanitaire se sont rassemblés ce samedi au Trocadéro, à Paris.
©Alain JOCARD / AFP

Le retour des Gilets jaunes ?

Le ministère de l’intérieur a recensé 161.000 manifestants partout en France ce samedi pour protester contre l’extension du passe sanitaire, ainsi que la vaccination obligatoire pour certaines professions. Un chiffre en forte hausse par rapport à la mobilisation du 17 juillet.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Le ministère de l’intérieur a recensé 161.000 manifestants partout en France pour protester contre l’extension du passe sanitaire, ainsi que la vaccination obligatoire pour certaines professions. Un chiffre en hausse par rapport aux manifestations du 17 juillet, qui avaient réuni 114.000 personnes selon la même source. Que vous inspire cette hausse de la mobilisation ? Les manifestants ont-ils une chance de se faire entendre ?

Christophe Bouillaud : Vu la période de l’année à laquelle cette hausse de la mobilisation se produit, vu aussi le fait que les personnes qui appellent à ces mobilisations sont, soit à la tête de petites organisations (les Patriotes de F. Philippot, ou DLF de N. Dupont-Aignan), soit ne représentent qu’elles-mêmes sur les réseaux sociaux, vu la répartition de ces mobilisations sur l’ensemble du territoire national, outre-mer compris, vu enfin le fait qu’aucune profession ou corporation n’est particulièrement mobilisée (les soignants étant certes présents, mais par petits groupes) , il faut d’abord souligner le caractère tout à fait remarquable de cette hausse, évaluée de plus par un chiffre donnée par un Ministère de l’intérieur n’ayant sans doute qu’une préoccupation, donner le chiffre le plus bas possible, tout en restant dans les limites de ce que peux croire le grand public. C’est donc, selon les chiffres du Ministère, une hausse de 41% de la participation à ces manifestations. On pourrait ajouter que la focalisation médiatique autour du port de l’étoile jaune ou de références au nazisme par certains manifestants lors du premier samedi de manifestations et le déluge de condamnations morales qui s’en est suivi dans les médias aurait pu décourager bien des gens de participer. Or, visiblement, il n’en a rien été.

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C’est donc un très grand succès pour les manifestants. Par contre, nous ne sommes plus sous la Présidence Macron à une époque où les manifestations sont prises en compte par le pouvoir. Les manifestants n’ont donc presque aucune chance de se faire entendre. Il faut en effet bien autre chose en termes de perturbations de l’ordre social et économique que des manifestations pacifiques pour que le pouvoir actuel consente à des corrections de trajectoire, le plus souvent minimes et provisoires d’ailleurs. La surdité ou l’aveuglement, des plus volontaires, du pouvoir perdureront sans doute tant que les sondages lui resteront favorables. Or, sur les choix annoncés le 12 juillet par Emmanuel Macron, ces derniers semblent bien l’être. De plus, la nature des revendications portées par les manifestants est susceptible d’interprétations diverses par l’opinion publique : s’agit-il de refuser toute vaccination, en croyant parfois aux fariboles diffusées sur les réseaux sociaux ? Ou s’agit-il de refuser simplement l’obligation de vaccination au nom d’une conception individualiste de la santé ? Ou s’agit-il d’une protestation face à une restriction des libertés et à une montée en puissance d’une « société de contrôle » ?

On se souvient qu'au début de la mobilisation des Gilets jaunes, le gouvernement avait également mis du temps à prendre la mesure de la colère. C'est l'installation du mouvement sur plusieurs semaines - et sa radicalisation - qui avait finalement incité le pouvoir à réagir. Peut-on envisager le même scénario, ou bien cette mobilisation est-elle amenée à s'éteindre rapidement ?

Visiblement, les organisateurs des manifestations veulent reprendre le même schéma de mobilisations chaque samedi. Or ils auront vraiment du mal à maintenir une telle dynamique en plein été. Ce samedi représente déjà un exploit. S’ils arrivaient à augmenter encore la mobilisation samedi prochain 31 juillet et à la maintenir pendant tout le mois d’août, probablement, nous en arriverions à la situation que nous avons connue lors des Gilets jaunes, avec un pouvoir faisant mine de céder devant l’émeute. Car, nécessairement, l’énervement gagnerait les manifestants. Nous n’en sommes pas là.

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Par contre, on peut imaginer, avec la mise en place effective du « pass sanitaire » dans une multitude de lieux publics à compter du 1er août, que des incidents se produisent, lors de contrôle policier par exemple dans un restaurant, ou bien que de manière totalement décentralisée les mécontents se mettent à harceler les lieux qui appliquent ce dernier. On pourrait imaginer par exemple une importation des méthodes de lutte en vigueur aux Etats-Unis avec un petit groupe de manifestants brandissant des affiches « anti-pass » et criant des slogans de l’autre côté du trottoir de l’entrée d’un cinéma ou d’un musée par exemple. Pour l’instant, les organisateurs connus des manifestations (F. Philippot en particulier) appellent plutôt au boycott des lieux concernés. Or toute baisse de fréquentation, comme celle observée dans les cinémas depuis le 21 juillet, risque de n’avoir pas grande signification politique, puisque bien des gens n’iront pas fréquenter ces lieux tout simplement faute de « passe sanitaire » valide.

C’est donc plutôt à l’automne que les choses vont se jouer. A ce moment-là, vu le cours probable de l’épidémie, le pouvoir risque fort de se faire accuser d’avoir mis en place un « passe sanitaire » qui n’a servi à rien au final pour maîtriser l’épidémie. Les mobilisations pourront alors reprendre face aux probables nouvelles restrictions que le pouvoir devra alors mettre en place. Pour l’instant, ces restrictions (port du masque en extérieur, couvre-feu, etc.) sont réimposées département par département à mesure que l’incidence de l’épidémie remonte. Cela va finir concerner tout le territoire national, et la rentrée scolaire risque d’accélérer encore les choses.

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Contrairement aux mobilisations classiques contre de nouvelles législations, celles-ci concerne des mesures qui ont vocation à être temporaires, le temps de la pandémie. Peut-on parler de mobilisation "de témoignage" plus que d'un mouvement ayant des revendications concrètes ?

En l’occurrence, les manifestants protestent contre une série de mesures très concrètes, résumées dans l’idée de « pass sanitaire » actuellement discutées dans une loi soumise par le gouvernement aux deux Chambres. Leur slogan principal n’est autre que le terme de « Liberté » qu’ils scandent en chœur. Les revendications sont donc à la fois concrètes et symboliques. Et ajoutons bien sûr que la détestation d’Emmanuel Macron fait pour beaucoup de manifestants partie de leurs motivations.

Par ailleurs, vu les récentes déclarations du Président du Conseil scientifique, sur l’arrivée d’un éventuel nouveau variant à l’automne, et sur le fait que la sortie de crise sera peut-être en 2023 et non en 2022, les présentes mesures ont-elles vraiment vocation à être temporaires ? On peut en effet se demander si, faute d’avoir réagi à temps, l’humanité en général et la France en particulier ne se trouvent pas confrontées au défi de devoir s’organiser pour pouvoir supporter la présente permanente de ce virus et de ses divers mutants. De ce point de vue, très pessimiste j’en conviens, notre pays doit trouver une manière réaliste de lutter sur le moyen terme. Les échecs, les improvisations, les mensonges, les revirements du pouvoir actuel n’ont pas aidé à bâtir la confiance de la population. Nous en sommes au stade, avec le revirement sur le « passe sanitaire », où le pouvoir entend se passer complètement de la confiance d’une bonne partie de la population. D’un point de vue de santé publique, il est douteux que cela ne nous mène bien loin. Il faudra bien à un moment élaborer une solution plus consensuelle, plus durable. Quel équilibre voulons-nous trouver entre la santé publique, notre mode de vie, nos libertés ? Mais il est vrai que notre système politique, avec sa délégation de tout le pouvoir à un homme, ne s’y prête guère.

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