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Manif pour Tous, trois ans plus tard : le sondage qui montre que même chez les catholiques et les sympathisants de droite, l’adhésion au mouvement s’essouffle
©Reuters

Info Atlantico

Alors que la Manif pour Tous arpente les rues de Paris ce dimanche, un sondage exclusif IFOP pour Atlantico indique que 24% des Français se disent proches des valeurs et idées défendues par le mouvement, contre 31% il y a deux ans.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Atlantico : Quel est selon vous le principal enseignement de ce sondage ?

Jérôme Fourquet : Cette enquête est réalisée près de quatre ans après le lancement du mouvement de la Manif pour Tous, qui émerge dans le paysage français à l'automne 2012 au moment du débat autour de la loi sur le mariage pour tous, et qui va monter en puissance jusqu'au printemps 2013, avec plusieurs grandes manifestations nationales à Paris et en province qui réuniront plusieurs centaines de milliers de personnes. A l'époque, l'une des questions qui se posait était de savoir quel allait être l'avenir de ce mouvement qui avait surgi de nulle part, que commentateurs et responsables politiques n'avaient pas vu arriver. On se souvient ainsi de la surprise des dirigeants de la droite parlementaire qui avaient à l'époque pris le train en marche, pris de court par l'ampleur de la mobilisation.

Près de quatre ans plus tard, on s'aperçoit que l'audience de la Manif pour Tous reste aujourd'hui non négligeable dans la population (un quart des Français s'en disent proches), mais a incontestablement perdu pas mal de terrain en quelques années. Une mesure intermédiaire réalisée en octobre 2014 montrait en effet qu'un tiers des Français se disaient proches de ce mouvement. Si on regarde le noyau dur, ceux qui se disent très proches du mouvement, on est passé 15 à 8%.

A lire aussi sur notre site : "Manif pour Tous, le retour : que reste-t-il du seul vrai mouvement citoyen de masse qui ait émergé en France ?"

Les idées portées par ce courant continuent donc d'exister dans la société, la "marque" Manif pour Tous n'a pas disparu. Mais l'audience et la proximité au mouvement est en assez nette perte de vitesse (7 points de perdus dans l'ensemble, et noyau dur réduit de moitié en deux ans).

Quand on regarde ensuite dans le détail, il est frappant de voir que la baisse est particulièrement prononcée dans l'électorat de droite. 45% des sympathisants Les Républicains se disaient proches du mouvement en 2014, ils ne sont plus aujourd'hui que 29% (-16 points). Par ailleurs, à l'époque 23% des sympathisants LR se disaient très proches de la Manif pour Tous, contre 7% aujourd'hui (-16 points également). C'est donc d'abord dans l'électorat de la droite classique que la perte de vitesse a été enregistrée.

Plusieurs issues étaient possibles pour ce mouvement. Soit il parvenait à se structurer politiquement ou dans la rue et continuait à organiser des manifestations en trouvant de nouveaux créneaux mobilisateurs, soit il optait pour une stratégie d'influence au sein du grand parti de la droite et du centre, comme certains l'ont tenté en créant le courant Sens commun. Or, pour ce qui est de cette deuxième stratégie, on voit aujourd'hui que la capacité des héritiers de la Manif pour Tous à donner de la voix et retenir l'attention de l'électorat de droite a perdu en vigueur et en intensité.

Si on se livre au même exercice en termes de proximité religieuse, on constate qu'en octobre 2014, on avait encore 59% des catholiques pratiquants qui se disaient proches de la Manif pour Tous. On tombe aujourd'hui à 41% (-18 points). Et pour les catholiques pratiquants se disant très proches du mouvement, on est passé dans la même période de 32 à 17% (-15 points).

Ce sont donc dans les deux composantes principales de ce courant, les catholiques pratiquants et l'électorat de droite classique, que la Manif pour Tous a perdu le plus de terrain.

Dans son livre, Patrick Buisson est revenu sur ce phénomène et assure avoir vu à l'époque dans ce mouvement et ces grands cortèges le signe de l'émergence d'un "populisme chrétien". Selon lui, une droite des valeurs était en train de se structurer, non pas pour défendre un pouvoir d'achat ou un modèle socio-économique, mais pour défendre des valeurs immatérielles, notamment la famille au sens traditionnel du terme. C'était une interprétation possible.

Une autre hypothèse, à laquelle nous souscrivons davantage à l'IFOP, consiste à prendre acte que ce mouvement était certes très puissant, mais conjoncturel et spécifique à un enjeu particulier qui était celui du mariage homosexuel (avec une certaine habileté des organisateurs d'avoir fait évoluer ce débat en un débat sur la défense de la famille traditionnelle). À l'IFOP, nous constations, chiffres à l'appui, qu'on assistait là à une mobilisation très particulière de la part de la droite catholique française, qui était particulièrement sensible à deux causes : le libre choix de l'école et la défense de la famille traditionnelle. Or, si on regarde historiquement, à chaque fois qu'un gouvernement de gauche s'est attaqué à l'un de ces thèmes, il a effectivement engendré un mouvement populaire de masse. On se souvient ainsi des grandes manifestations de 1984 pour la défense de l'école libre. De notre point de vue, les grands cortèges de 2012-2013 étaient le pendant de cette grande mobilisation de 1984.

Quels pouvaient être les débouchés et les prolongements de ce combat ? Si on adopte notre hypothèse, on peut être tenté de dire que ce mouvement n'avait pas forcément vocation à durer dans le temps une fois que le combat avait été mené (et, en l'occurrence, perdu). Il n'y avait effectivement pas forcément de grandes causes de substitution pour maintenir la flamme de la mobilisation à un niveau aussi important.

Le mouvement a par la suite essayé de se relancer en mobilisant sur d'autres sujets tels que la politique familiale du gouvernement ou la recherche sur les cellules souches et les embryons. Or, force est de constater que ces campagnes lancées par la Manif pour Tous n'ont pas du tout rencontré le même écho populaire que celle contre le mariage, ce qui validerait quelque part notre hypothèse.

On note par ailleurs une différence majeure avec ce qu'il se passe aux Etats-Unis, où les milieux chrétiens ont une capacité de mobilisation bien plus importante sur ces problématiques. En France, manifestement, les milieux catholiques sont aujourd'hui assez peu sensibilisés à cela, bien qu'une partie de l'Église alerte régulièrement sur les dangers philosophiques et spirituels de la recherche génétique.

On verra bien le niveau de mobilisation de dimanche, mais il sera très probablement assez en-deçà de ce qui avait été observé à l'époque. Les sujets d'aujourd'hui sont moins mobilisateurs, et même les opposants à ce mariage restent légalistes, pragmatiques, et se disent que le combat a été perdu une fois la loi votée et entrée en vigueur.

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