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Malek Boutih : "Face à la difficulté de détecter des gens qui basculent dans le terrorisme en quelques semaines, il faut surtout détecter ceux qui portent les idées qui y mènent, anti-sémitisme, complotisme, discours anti-francais etc..."
©Reuters / Régis Duvignau

Grand entretien

Pour le député de l'Essonne, auteur d'un rapport sur la radicalisation, l’État doit monter d'un cran dans les réponses à apporter contre le terrorisme islamiste en intégrant l'ensemble des formations politiques dans l'élaboration des décisions.

Malek Boutih

Malek Boutih

Malek Boutih est membre du bureau national du Parti socialiste et député de l'Essonne, auteur du rapport "génération radicale".

Il a par ailleurs été Président de SOS Racisme de 1999 à 2003.

 

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Atlantico : Au lendemain de l'attentat de Nice, François Hollande et Manuel Valls ont décidé de prolonger l'état d'urgence et de renforcer l'intervention française en Syrie et en Irak. Comment jugez-vous cette réaction ? Et qu'avez-vous pensé de ce nouvel attentat ?

Malek Boutih : Ce sont les réactions qu'il fallait prendre au lendemain des attentats. Mais il est clair qu'il faudra augmenter ce niveau de réponse.

Je ne fais pas partie de ceux qui sont vaccinés contre la tristesse face à un tel événement, surtout quand des enfants en bas âge sont touchés. D'une manière générale, je pense qu'il faut toujours essayer de comprendre l'impact réel de ces attentats et ne pas se limiter à les analyser. Beaucoup de Français ont dû se réveiller en se projetant eux-mêmes et en se disant : nous aurions tous pu être sur la promenade des Anglais le 14 juillet au soir.

J'entends beaucoup de formules qui reprennent l'idée que "personne n'est à l'abri". Je pense qu'elles démontrent combien nous avons profondément changé de période politique dans notre pays, et que nous devons en tirer les conséquences. Ainsi, des mesures exceptionnelles devraient être prises par le gouvernement. Je mets de côté les questions de sécurité et de renseignement sur lesquelles on s'exprime beaucoup trop, parfois pour dire n'importe quoi. Je pense qu'il nous faut une nouvelle politique de défense, qui impliquerait davantage la société française. C'est pour cela que je préconise l'instauration d'une Commission nationale de défense et de sécurité, qui associerait toutes les forces politiques du pays pour qu'il ne soit pas l'otage, à l'occasion de l'élection présidentielle à venir, de la pression terroriste. On voit bien que la montée en puissance des attentats correspond au calendrier politique de notre pays. Il faut un front uni, une unité nationale qui ne s'appliquerait pas à tous les sujets, mais à certains d'entre eux. L'opposition, la majorité ainsi que toutes les forces politiques doivent être associées aux informations et aux décisions structurantes pour la politique de défense nationale (à l'étranger ou sur le sol intérieur).

Un gros travail a été fait sur le renforcement de l'appareil sécuritaire. Celui-ci doit continuer. Mais il ne faut pas vendre aux Français des idées qui n'auront pas d'effet à court terme, ou pire des gadgets comme l'idée d'un FBI ou d'une CIA à la française. En revanche, la détection de la radicalité est devenue un enjeu primordial contre le terrorisme. Nos forces de sécurité intérieure peuvent surveiller, mais pas intercepter tous les individus. La détection doit passer, en amont, par un dispositif adapté et qui implique la société. Les corps d'Etat et les acteurs publics doivent y figurer au premier plan. Car la détection de la radicalité ne peut pas être qu'occasionnelle ou hasardeuse comme aujourd'hui. On doit constituer un maillage plus fin qui irait jusqu'à impliquer les familles même. Il ne faut pas non plus chercher à détecter des terroristes, car aujourd'hui ce processus est trop rapide, on peut décider de devenir un tueur, basculer dans la violence en quelques semaines. Tous les exemples le prouvent.

On peut, en revanche, détecter ceux qui portent les idées qui y mènent : le complotisme, l'antisémitisme, une vision radicale de la religion, un discours anti-patriotique et anti-français tenus par des individus qui vivent pourtant dans notre pays... Car c'est parmi les personnes qui tiennent ces discours que se trouvent ceux qui basculeront dans le terrorisme.

Il existera toujours une minorité pour dire que la réponse sécuritaire opprime les libertés en France, mais elle est marginale. Il nous faut constituer un bloc très solidaire, et évacuer le débat purement politicien sur les questions de sécurité pour aller vers plus de facilité. La meilleure idée pour protéger le pays doit être prise, peu importe d'où elle vient. Le message qui doit être porté est de deux ordres : premièrement, il n'y aura pas l'ombre d'un espace au sein de la démocratie française pour influencer l'élection présidentielle et les grandes décisions des Français. Deuxièmement, il faut resserrer les liens, et faire en sorte que certaines "libertés", dont ces individus en processus de radicalisation pouvaient profiter, doivent être réduites au maximum, pour leur couper l'oxygène à la base. 

Qu'entendez-vous par "prendre en otage l'élection présidentielle" ? Voulez-vous dire que le thème sécuritaire risque d'occuper une place trop centrale durant la campagne ?

L'ambition des terroristes est de créer de la division, de semer la peur et d'influencer en partie notre politique étrangère. L'enjeu crucial et la montée en puissance des attentats à laquelle nous assistons est liée à notre intervention en Irak. Quelle que soit notre décision, d'y rester ou d'en partir, nous devons la prendre seuls et sur la base de nos intérêts, pas avec un couteau sous la gorge. C'est en cela qu'une Commission telle que je la propose, qui réunit toutes les formations politiques du pays, est importante.

En 2012, Mohammed Merah attaquait des juifs et des militaires. En 2015, des journalistes étaient pris pour cibles, puis des civils indifférenciés. Quels enseignements tirer de cet élargissement des cibles des terroristes ?

Aucun. Une des raisons pour laquelle nous sommes parfois en difficulté dans nos réponses, c'est que nous sommes un pays qui a parfois l'habitude de se couper les cheveux en quatre sur des sujets qui méritent d'être abordés très simplement. Il faut mettre fin à la période des débats sur l'exégèse du salafisme et du radicalisme, ou encore sur la manière de déjouer les attentats. Le procès fait à la police ces derniers jours est d'ailleurs honteux au regard de leur sacrifice. Il faut comprendre ce qu'est le mot "guerre" ; et celle que nous vivons n'est ni celle de 1914-1918, ni celle de 1939-1945, ni basée sur la forme des guerres coloniales. Mais nous devons en prendre conscience. Les débats du passé doivent être passés, une page doit être tournée dans la vie politique du pays. C'est le moment. 

Vous êtes un acteur du terrain. Qu'observez-vous dans les quartiers défavorisés ?

Aucune circonstance ne peut expliquer les attentats, ni aucun contexte. J'ai écrit un rapport (Génération radicalendlr) que j'ai remis au gouvernement il y a un an où je décris ce processus transversal dans la société, qui implique des bouleversements dans notre modèle démocratique, et une ouverture de période d'instabilité dans laquelle le radicalisme islamiste est en train de s'engouffrer. C'est un mouvement de fond. 

Pensez-vous qu'il existe un déficit de parole ou de visibilité de la communauté musulmane ?

Les esprits ont beaucoup évolué ces derniers mois. Un geste significatif : après le meurtre des deux policiers à Magnanville, plus de 5 000 personnes se sont rassemblées pour former la plus grande manifestation de soutien à cette occasion. On sent que des esprits sont en train de basculer. Ce qui peut manquer en revanche, c'est une prise de conscience chez certains leaders dans le domaine sportif, artistique, scientifique, économique. Ce n'est pas de la communauté dont nous devons attendre une réaction, mais de figures de proue. Lancer des polémiques sur la composition de l'équipe de France ne doit pas être laissé sans réponse.

Parmi les offres politiques existantes, quelles sont les personnalités qui ont selon vous des propositions à la hauteur des événements ?

Chez les grands responsables politiques expérimentés, chacun porte une part d'analyse. Maintenant, tout le monde est obligé de constater que l'Histoire s'est accélérée, en France ou ailleurs, et que personne n'a eu le temps d'évaluer des réponses politiques pertinentes. La France le pourra si elle est unie. Je pense qu'il n'y a plus d'espace pour une différenciation sur le terrain sécuritaire. Quelle que soit la personne qui gagnera la présidentielle, elle aura besoin des autres camps pour réussir à protéger la France. 

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