Mais qu’est ce que la conscience ? De nouvelles études scientifiques tentent d’apporter des réponses au plus vieux mystère de l’Humanité<!-- --> | Atlantico.fr
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Un cerveau vu par tomographie (photo d'illustration).
Un cerveau vu par tomographie (photo d'illustration).
©Fred TANNEAU / AFP

Avancée

Des scientifiques tentent de comprendre ce qui fait que nous traitons certaines informations de manière inconsciente et d'autres de manière consciente.

Claire Sergent

Claire Sergent

Claire Sergent est professeure de neurosciences cognitives à l’université de Paris. Ses travaux portent sur les bases neuronales de la conscience et notamment le modèle de l’espace de travail global.

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Atlantico : Pour essayer de comprendre ce qu’est la conscience vous travaillez sur l’hypothèse de l’espace global neuronal (GNW). Comment résumer cette théorie concrètement ?

Claire Sergent : La théorie du « global workspace » va chercher à expliquer la différence entre traiter une information de manière automatique sans s’en rendre compte et la traiter consciemment, lorsque l’on est éveillé. On a mis en évidence le fait que, même en éveil, on est constamment en train de traiter des informations et pour la plupart de manière inconsciente. Le premier qui a fait cette analyse c’est Bernard Baars dans les années 1980. Cette idée vient surtout d’observations psychologiques et d’une réflexion informatique. Lorsque l’on construit un ordinateur, constitué de beaucoup de spécialistes, c’est un peu identique à ce que l’on retrouve dans le cerveau car il y a des aires qui y sont spécialisées. La question est : comment faire une tâche qui n’est pas automatique, nouvelle ? Comment faire parler entre eux les spécialistes ? En informatique, on crée un « global workspace » qui les réunit. L’idée, c’est que le traitement conscient permet la communication de différents spécialistes pour permettre une plus grande flexibilité de ce qu’on peut faire avec l’information. On peut démontrer que si on lui présente un mot masqué, subliminal, votre cerveau va le traiter jusqu’à un certain niveau, le reconnaitre quand bien même on aura l’impression de n’avoir rien vu. A l’opposé, si vous avez réussi à prendre conscience de ce mot, non seulement les aires automatiques de reconnaissance du mot vont s’allumer mais il y a un réseau beaucoup plus vaste qui va s’activer et pouvoir envoyer des informations aux aires du langage pour pouvoir le formuler, le verbaliser. Vous allez pouvoir faire un peu ce que vous voulez : l’épeler à l’envers, le traduire, etc. L’idée du « global workspace » veut que la différence entre traitement conscient ou non c’est la création de cet espace global de travail. C’est-à-dire un moment de collaboration entre des spécialistes qui d’habitude ne collaborent pas. Cela montre bien qu’il n’y a pas une aire spécialisée dans la conscience mais une collaboration de plusieurs d’entre elles. Et la forme de cet espace dépend des stimulus dont on est en train de prendre conscience et de ce qu’on en fait. Jean-Pierre Changeux et Stanislas Dehaene sont les premiers à avoir démarré une réflexion plus neuronale sur cette idée. Ils ont cherché à déterminer quelles régions étaient les passages obligés de cet échange global. Ils ont notamment pensé aux régions attentionnelles dans le lobe pariétal et frontal essentiellement qui constitueraient des hubs. Ce sont des régions supra-modales, elles vont recevoir des informations de plusieurs modalités sensorielles différentes. Mais nous en sommes encore au début de l’exploration mais nous avons bien avancé.

A cette théorie de l'espace de travail global on confronte souvent celle de l'information intégrée (IIT) développée par Giulio Tononi, en quoi consiste-t-elle et qu’est ce qui différentie ces théories ?

Ces deux théories ont des points communs mais pour la théorie de l’information intégrée, la prise de conscience est un mode d’intégration particulier entre différents modules. Ce qui peut parfois surprendre, c’est qu’elle n’est pas toujours liée au cerveau. Elle défend l’idée que la conscience est un mode de communication particulier entre des agents qui communiquent. Elle pourrait donc dire que des puces électroniques forment un réseau conscient si elles communiquent entre elles. Il y a toutefois cette idée commune entre les deux théories que la conscience n’est pas une aire finale ou arrive les informations. Cette affirmation reflète bien l’état des connaissances actuelles. Ce qui les distingue fortement c’est que la théorie d’intégration de l’information propose l’idée que la fonction des aires qui travaillent n’a pas beaucoup d’intérêt. Tout ce qui compte est la manière dont elles sont connectées. D’un point de vue très concret, elles vont diverger sur l’implication des aires frontales. Le développement actuel de la théorie de l’IIT voit des papiers proposer l’idée que ce sont plutôt les aires sensorielles, non frontales, qui permettent la prise de conscience lorsqu’un certain type de communication s’établit.

Cette opposition entre les deux théories est-elle féconde scientifiquement ? Est-on en capacité de déterminer qui a raison et qui a tort ?

Il y a un petit aspect de rivalité, mais tout le monde cherche la vérité. Et je trouve ce dialogue, avec ces oppositions, extrêmement fructueux. Chacun va challenger l’autre sur les aspects de sa théorie qui sont les plus fragiles. Certains de nos résultats ont des interprétations différentes selon les théories. L’étude sur laquelle nous travaillons actuellement est directement inspirée des critiques des tenants de l’information intégrée. Dans la théorie du « global workspace », la plupart des expériences qui sont menées demandent au sujet s’il a ou non perçu le stimulus. Et on observe de grosse différente d’activation, notamment dans le lobe frontal, lorsqu’ils nous disent que c’est le cas. Mais récemment, on nous a fait remarquer que, peut-être, l’implication du lobe frontal était liée au fait que les gens doivent faire quelque chose, exécuter une tâche. Ils ont donc émis l’idée que c’était l’action, la prise de décision, qui créait la différence dans les observations conscient/non conscient et non la prise de conscience en elle-même. Donc il nous a fallu essayer de résoudre cette question. C’était une interrogation fascinante sur laquelle nous n’avions pas d’a priori. Nos résultats préliminaires suggèrent que lorsque les gens prennent conscience spontanément d’un stimulus on a un résultat intermédiaire : les activations tardives ne disparaissent pas complètement mais ce n’est pas non plus exactement les mêmes que celles qui surviennent lorsque l’on fait une tâche. Des résultats plus complets devraient être publiés prochainement.

Finalement, je pense que nos théories actuelles sont toutes les deux partiellement fausses. La vérité sur le mécanisme de la conscience sera sans doute plus surprenante que ces deux grandes théories. Chacune a potentiellement une part de vérité, mais je n’aurais aucun problème à les jeter à la poubelle pour déterminer la vérité. On a beaucoup progressé, en commun, sur ces théories car elles permettent de poser la réflexion. C’est un outil de réflexion. In fine, certaines seront plus proches de d’autres mais c’est un peu réducteur de considérer qu’il y aura une fausse et une vraie.

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