Mais pourquoi la productivité française est-elle autant en berne malgré les milliards investis ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron prononce un discours lors d'une réunion de l'U2P, syndicat français des entreprises locales, le 16 septembre 2021.
Emmanuel Macron prononce un discours lors d'une réunion de l'U2P, syndicat français des entreprises locales, le 16 septembre 2021.
©Christophe PETIT TESSON / POOL / AFP)

Plan de relance

Selon le comité d’évaluation du Plan, le plan de relance de 100 milliards a obtenu des effets sur l’emploi ou la décarbonation, pas sur la productivité.

Gilbert Cette

Gilbert Cette

Gilbert Cette est professeur d’économie à NEOMA Business School, co-auteur notamment avec Jacques Barthélémy de Travail et changement technologique - De la civilisation de l’usine à celle du numérique (Editions Odile Jacob, 2021). Son dernier livre s'intitule Travailleur (mais) pauvre (Ed. DeBoeck, à paraître en février 2024).

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Atlantico : Pourquoi la France n'arrive pas à obtenir une forte productivité malgré le plan de relance et les 100 milliards investis ? Quelle est l’évolution de la productivité française depuis 30 ans ?

Gilbert Cette : Tout d’abord, il faut remarquer que le niveau de la productivité est en France assez élevé comparé à beaucoup de pays avancés. Certes, le niveau de la productivité en France par heure de travail est inférieur à celui des États-Unis mais il est supérieur à celui de nombreux pays avancés. L’une des principales, sinon la principale raison de cette performance, est le faible taux d’emploi en France : les personnes qui restent au bord de la route, sans emploi, sont en général moins productives que la moyenne...

Mais qu’en est-il de la croissance de la productivité ?

Un ralentissement de la productivité est observé depuis des décennies dans la totalité des pays avancés. Il n'y a pas là une spécificité française. Ce ralentissement s'étale sur plusieurs décennies, à partir du premier choc pétrolier pour la quasi-totalité des pays avancés et même dès les années 1950 pour les États-Unis qui connaissaient un niveau très élevé de productivité horaire du travail.

En revanche, il y a des spécificités françaises et en particulier sur les quatre dernières années, la productivité en France a connu une évolution moins favorable que dans la presque totalité des pays avancés. Nous avons même connu une baisse de la productivité alors qu'ailleurs, en Europe, on observe plutôt une stagnation de la productivité, qui semble complètement essoufflée. Et il y a plusieurs explications à cette baisse de la productivité en France, proposées dans le débat économique. Il faudra bien sûr un peu de recul pour faire la part entre telle ou telle cause, mais plusieurs explications sont discutées entre les économistes.

Quels sont les facteurs qui expliquent les difficultés de la France sur le plan de la productivité ? Est-ce lié au fait que la France soit une économie de service ? Est-ce que les efforts réalisés pour intégrer un maximum d’apprentis ont une incidence sur la productivité ?

Plusieurs causes à cela. D'abord, l’augmentation du taux d'emploi, au sens le plus large du terme. Le taux d'emploi des jeunes a augmenté grâce au développement de l'apprentissage et l'alternance sur les dernières années, ce qui a un effet négatif sur la productivité horaire du travail. Le taux d'emploi des moins qualifiés et des seniors a lui aussi augmenté sur les dernières années, ce qui est également défavorable à la productivité moyenne du travail. Mais c'est néanmoins une bonne nouvelle pour l'économie, parce que les effets négatifs sur la productivité, évidemment, ne l'emportent pas sur l'effet positif de l'augmentation de l'offre de travail qui aboutit à une augmentation du produit intérieur brut.

Ensuite, ce ralentissement peut s’expliquer par l’absentéisme, ou encore un comportement de rétention de main d'œuvre de la part des entreprises, qui peut s'expliquer lui-même par des difficultés de recrutement. Les entreprises gardent des effectifs qu'elles auraient peut-être licenciés dans d'autres circonstances, mais elles peuvent craindre de ne pas retrouver ces effectifs compte tenu des difficultés de recrutement, si la conjoncture repartait.

Enfin, on a assisté à un accès facile aux financements qui, pendant plusieurs années, a maintenu en activité et en vie des entreprises qui étaient assez peu performantes mais qui trouvaient malgré tout plus facilement qu'auparavant les moyens de se financer.

Il y a donc une constellation d'explications possibles entre lesquelles on pourra trancher quand on aura davantage de recul.

À partir de ce constat, vous pensez qu'il n’est pas utile de s’appuyer sur les 100 milliards investis pour relancer la productivité. En quoi la productivité en berne est un vrai problème pour l’économie française ? 

Les 100 milliards investis n'ont pas comme seule finalité d'augmenter la productivité. Ces milliards investis ont comme finalité, entre autres, de réindustrialiser la France et de ramener des entreprises en France. C'est une bonne chose, bien évidemment, mais la productivité n'est pas le seul objectif de ce type de politique.

Il est nécessaire voire impératif que la productivité augmente en France, comme dans les autres pays avancés. Parce que si la productivité ne venait pas à croître, nous pourrions à moyen et long termes connaître de grandes difficultés pour financer tous les défis qui sont devant nous, à savoir la transition énergétique, le désendettement de l’Etat et le vieillissement de la population. Ainsi, bien sûr, que les attentes en termes de pouvoir d’achat. Les deux sources de financement de ces défis sont une très forte augmentation du taux d'emploi et une accélération de la productivité.

Que faudrait-il faire dans les années à venir pour relancer cette productivité ?

Pour relancer la productivité, il faut évidemment investir dans la formation, faciliter l'accès aux technologies les plus pointues, les plus avancées, faire baisser le prix de la prise de risque pour les chefs d'entreprise. En France, comme dans d'autres pays européens d'ailleurs, il faut impérativement réduire les régulations sur le marché des biens et sur le marché du travail, pour faire en sorte que les entreprises fassent toujours le choix des technologies les plus performantes, quel que soit leur domaine d'intervention.

Chaque révolution technologique appelle des changements des institutions sur le marché des biens et sur le marché du travail, ainsi que des modes d’intervention de l’Etat, si on veut en bénéficier pleinement. Sinon, on risque de passer à côté de ces révolutions technologiques. Et il en va de l'intelligence artificielle comme des précédentes révolutions technologiques. Il faut souligner d'ailleurs, et c'est un point important, que la révolution technologique associée aux technologies de l'information et de la communication n'a pas eu les effets escomptés sur la productivité. On attendait une dynamisation très forte et durable de la productivité, or ce n’est pas ce que l’on a observé. Il faut espérer que l'intelligence artificielle, elle, nous apportera des gains de productivité. Mais une condition pour que cela puisse se réaliser, c'est bien sûr l'adaptation de nos institutions sur le marché des biens, sur le marché du travail, sur le marché du crédit, l'adaptation de l'Etat aussi. Sinon on pourrait passer à côté des effets favorables de cette révolution technologique et connaître alors un déclassement économique et de grandes difficultés sociales et politiques.

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