Mais pourquoi la Hongrie semble-t-elle dénoter dans le soutien unanime des Européens à l’Ukraine ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des manifestants contre la guerre en Ukraine, à Budapest le 9 mars 2022.
Des manifestants contre la guerre en Ukraine, à Budapest le 9 mars 2022.
©Attila KISBENEDEK / AFP

Faux procès

La réaction de la Hongrie depuis le début de la guerre en Ukraine diffère grandement de la Pologne. Viktor Orbán s’est surtout aligné, une fois n’est pas coutume, avec les pays d’Europe occidentale, qui ont une approche plus prudente que celles des la Pologne, la Tchéquie et les pays baltes.

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester dirige le Centre d’Etudes Européennes du Mathias Corvinus Collegium (MCC) à Budapest. Ancien fonctionnaire européen issu du Collège d’Europe, il a notamment été membre de cabinet du Commissaire à l’Éducation et à la Culture de 2014 à 2019. Il a enseigné à Sciences-Po Paris (Campus de Dijon) de 2008 à 2022. Twitter : @rodballester 



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Atlantico : «La Hongrie veut rester en dehors de cette guerre et n'autorisera pas le transfert d'armes vers l'Ukraine», a déclaré Viktor Orban, selon des propos rapportés par le porte-parole du gouvernement Zoltan Kovacs. Une position bien loin de la Pologne, pourtant très proche dans le groupe de Visegrad. Comment expliquer que les deux pays ne réagissent pas de manière similaire à la situation ?

Rodrigo Ballester : Une position certes très éloignée de celle de la Pologne, mais absolument pas de celle de l’Union Européenne ni de celle de l’OTAN. Depuis le début de la guerre, la Hongrie s’est strictement alignée sur les positions de ces deux organisations, y compris en ce qui concerne la livraison et le transfert d’armes dans le cadre d’initiatives décidées de manière commune. Donc, soyons clairs, la Hongrie a soutenu toutes les positions de l’UE et de l’OTAN.

La Pologne également mais, en plus, elle prend les devants politiquement, adopte des initiatives individuelles plus ambitieuses et pousse un agenda plus combattif envers l’agresseur russe dans un groupe auquel se sont joints les pays baltes, la Tchéquie et, dans une moindre mesure, la Slovaquie. Donc, la Hongrie n’est pas alignée avec les pays du groupe de Visegrad, mais, j’insiste, l’est totalement avec l’UE et l’OTAN. Alors, évitons les faux procès !

Pourquoi cette différence majeure avec ses alliés les plus proches et en particulier avec la Pologne ? Historiquement, après avoir été rayée de la carte et envahie par la Russie à plusieurs reprises, la Pologne a gardé un ressentiment tenace contre son voisin, ce qui est tout à fait compréhensible. Mais, ce n’est pas le cas de la Hongrie qui a toujours eu et maintient des relations plus apaisées avec la Russie même si elles restent teintées de méfiance. Surtout, la Hongrie a souvent assumé un rôle pivot, de médiateur, entre l’Ouest et la Russie. Exemple : pendant les dernières années du communisme, quand la chute de l’URSS était inéluctable, c’était à travers le dictateur hongrois Kadar que les Thatcher, Mitterrand et autres leaders occidentaux communiquaient avec les dirigeants soviétiques. 

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Après, il est possible que le groupe de Visegrad devienne l’une des victimes collatérales de la guerre. Il a survécu à plusieurs tempêtes et les divergences de points de vue ne l’ont jamais affecté. Mais cette fois-ci, les différences politiques et émotionnelles sont telles, que l’on peut craindre pour sa survie. 

La vice-Première ministre ukrainienne Irina Verechtchouk avait accusé la Hongrie de «rêver secrètement» d'annexer la Transcarpatie, région de l'Ouest de l'Ukraine où vit une importante communauté magyarophone. Est-ce un vrai sujet ?

Alors que l’Ukraine est bombardée et envahie, comment ne pas se montrer indulgent  ? Il n’en reste pas moins que ces déclarations sont totalement outrancières, mensongères et irresponsables. Elles ont été d’ailleurs formellement démenties dans la foulée par le gouvernement hongrois. 

La Transcarpathie est une partie de l’Ukraine qui fut hongroise et dans laquelle habite une minorité hongroise de plus ou moins 150 000 personnes. La Hongrie y a toujours maintenu des liens affectifs et économiques et a notamment financé des écoles et autres infrastructures. Tout cela en bonne entente avec les autorités ukrainiennes jusqu’à ce que la guerre du Donbass ait poussée Kiev à renforcer l’identité nationale ukrainienne, notamment en imposant la langue ukrainienne… au détriment des droits linguistiques des minorités hongroises, roumaines ou polonaises.  Logiquement, Budapest n’a pas apprécié et dès lors, les relations entre les deux pays se sont dégradées depuis quelques années. 

Mais accuser la Hongrie de rêver secrètement de vouloir reprendre ces territoires c’est simplement délirant, voire malveillant. Cette communication agressive fait partie des armes que le Président Zelenski et les autorités ukrainiennes utilisent volontiers pour parvenir à leurs fins, parfois maximalistes, comme par exemple la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne à laquelle l’OTAN ne s’est pas pliée. Au vu de la situation extrême dans laquelle ils se trouvent et sans mauvais jeux de mots, c’est de bonne guerre, même si cela relève du chantage éhonté. 

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Un chantage d’autant plus déplacé que la Hongrie a accueilli un demi-million de réfugiés ukrainiens dans un esprit de solidarité (tant de la population que des autorités) admirable. Ne l’oublions pas. 

Finalement, sachez qu’un discours très similaire est tenu par l’opposition polonaise, le parti de Donald Tusk, Plateforme Civique. Son ancien Ministre des Affaires Etrangères, Radoslaw Sikorski, désormais député européen, a relayé ces mêmes informations. Pour le coup, c’est inexcusable.  

De fait, la Hongrie semble dénoter dans le soutien unanime des européens à l'Ukraine. A quel point est-ce une réalité ?

C’est absolument faux. En quoi la position hongroise diffère-t-elle de celle de l’Irlande, la France ou l’Allemagne ? Au contraire, Orbán est tout à fait dans le « mainstream » et s’est surtout aligné, une fois n’est pas coutume, avec les pays d’Europe occidentale, qui ont une approche plus prudente que celles des la Pologne, la Tchéquie et les pays baltes. Prenons l’exemple de l’extension des sanctions au domaine de l’énergie : si Varsovie y est favorable, Budapest, comme Berlin, la Haye, Rome et bien d’autres y sont clairement hostiles car ils considèrent que ce serait se tirer une balle dans le pied et faire un cadeau stratégique à Putin en sabordant leurs économies. Par ailleurs, citez-moi une seule mesure, un seul paquet de sanctions, une seule décision de l’UE ou de l’OTAN à laquelle Orbán aurait opposé son véto. Il n’y en a pas. 

Alors que reproche-t-on à la Hongrie au juste, de ne pas se montrer aussi décidée que ses voisins d’Europe Centrale ? Fait-on cependant le même reproche à l’Irlande ou Portugal ? Ou bien certains s’offusquent-ils qu’un pays de neuf millions et demi d’habitants en première ligne du conflit et dépendant du gaz russe, agisse avec prudence afin d’éviter que le conflit ne se propage ? Ou qu’il prenne en compte la situation des 200 000 hongrois qui se trouvent en Ukraine pour décider de faire transiter ou pas des armes en dehors du cadre de l’OTAN? 

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Ces insinuations sont d’autant plus odieuses que la Hongrie a déjà accueilli un demi-million de réfugiés ukrainiens dont une grande partie est restée sur son territoire. En proportion, c’est le pays européen qui en a accueilli le plus et pourtant, certains continuent de lui intenter un procès pour crime de cavalier seul ? C’est de la pure mauvaise foi et c’est à mon avis lié à deux facteurs : le ressentiment tenace que certains nourrissent contre Orbán depuis des années, surtout après la crise migratoire de 2015 et, bien entendu, la campagne électorale des élections législatives du 3 avril.  

A quel point, justement, la réponse à la situation ukrainienne est-elle devenue un enjeu pour la présidentielle hongroise prévue ce dimanche ? Cela pourrait-il expliquer la position d’Orban ?

Sans aucun doute, la guerre en Ukraine a totalement modifié les messages et la dynamique de la campagne électorale en Hongrie. Elle a même exacerbé les tensions entre Fidesz et la coalition menée par Péter Márki-Zay, les deux camps s’arrogeant le monopole de la paix et accusant l’autre de vouloir la guerre. D’un côté, Marki-Zay est dépeint comme un va-t-en guerre, de l’autre, Orbán est décrit comme un suppôt de Putin ou directement comme sa réincarnation européenne. Nous sommes très loin l’union sacrée et non, la guerre n’a pas amélioré la qualité du débat démocratique pendant cette campagne. 

Mais au-delà du tapage et des réductions simplistes par tweets et pancartes interposés, la carte de la prudence jouée par Orban semble être payante. Car, que cela plaise ou pas, la grande majorité des hongrois se reconnaissent plus dans l’approche pragmatique du gouvernement qui a joué le jeu de l’UE et de l’OTAN tout en martelant son intention de ne pas se laisser entraîner directement dans la guerre. En outre, il est probable qu’Orbán (comme Macron, d’ailleurs) bénéficie de l’effet « on ne change pas un capitaine en pleine tempête ». Les sondages, qui ont toujours donné un très léger avantage au Fidesz avant la guerre mais qui restaient très disputés, donnent désormais une avance plus nette au parti sortant. 

La guerre peut-elle expliquer la position d’Orbán ? Non, je pense au contraire qu’elle n’a fait que la confirmer. D’une part, son positionnement géopolitique par rapport à la Russie correspond à l’approche traditionnelle de la Hongrie, tout gouvernements confondus. D’autre part, elle est également cohérente avec la ligne nationaliste habituelle du Premier Ministre. L’opposition, par contre, a tenu un discours plus risqué et émotionnel, au grand dam de certains de ses ténors, d’ailleurs. Qui sera capable de faire incliner la balance en sa faveur ? Réponse dimanche soir. 

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