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"Macron : le pari osé du pluralisme”, vraiment ? Pourquoi le gouvernement Philippe I est politiquement beaucoup plus uniforme que la plupart des gouvernements de gauche ou de droite des 20 dernières années
©LOIC VENANCE / AFP

Cercle de la raison

Ce 18 mai, le quotidien Le Monde titrait​ " Macron : le défi osé du pluralisme", en faisant référence aux différentes composantes du nouveau gouvernement nommé le 17 mai. Pourtant, en regardant de plus près les personnalités qui le composent, on pourrait parler d'une certaine uniformité dans la pensée, autour du "cercle de la raison".

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Ne peut-on pas y voir dans la composition du gouvernement une forme de reprise en main politique ?

Christophe Bouillaud : Oui, vous avez raison de faire remarquer le côté pour le moins trompeur du titre choisi ce 18 mai par le principal quotidien de référence. Parler de pluralisme à propos du gouvernement nommé le 17 mai est certes sans doute exact du point de vue de l’origine partisane de ses principaux membres, mais cela me parait totalement erroné si l’on considère les grandes options économiques, sociales et culturelles de tous ces nouveaux ministres. Ils sont tous effectivement bien inscrits par leurs paroles, leurs actions, ou simplement par leur carrière précédente à leur entrée dans ce ministère, dans le « cercle de la raison ». On se croirait un peu en 1820 ou en 1840 tant les « capacités » sont présentes dans ce ministère.

Le seul qui parait un peu décalé par rapport à tous ses nouveaux collègues, bien ancrés dans une réussite professionnelle ou politique jouée selon les règles ordinaires de leur métier respectif,n’est autre que Nicolas Hulot,pour autant qu’on se laisse aller à croire à la sincérité de ses convictions. En effet, il  prétend porter un discours écologique et social qui pourrait signifier la rupture totale avec le monde tel qu’il va. Il a cependant lui aussi quelque expérience à faire valoir lui aussi de rapports étroits avec le pouvoir politique de l’heure. Rappelons qu’il a déjà été à l’origine du « Grenelle de l’environnement » au début du quinquennat de Nicolas Sarkozy, puis qu’il a été nommé représentant spécial de la France par François Hollande lors de la « Conférence de Paris »/COP 21. De ce point de vue, il est significatif que le chef de gouvernement ait annoncé la nomination d’un médiateur pour dénouer l’affaire de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Cela correspond d’évidence au fait que N. Hulot veut apparaître comme le garant d’une véritable prise en compte des enjeux écologiques au sein de ce cénacle qui ne parait guère a priori devoir s’en préoccuper.

Je ne crois pas par contre qu’on puisse parler d’une forme de reprise en main politique. Ce gouvernement correspond simplement au centrisme affiché par Emmanuel Macron lors de sa campagne. Il s’agit juste de la mise en œuvre de l’union de tous les modérés. Par contre, il est vrai qu’une partie de l’électorat, avide de renouveler le personnel politique, pourrait se sentir floué en constatant la présence au gouvernement de vieux routiers de la politique comme le nouveau ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb. En même temps, la présence de ces grognards de la politique permet aussi de rassurer ce même électorat centriste qui a voté Macron pour le changement, mais surtout pas pour l’aventure ou l’amateurisme !

Quel est le danger d'une telle uniformité de pensée sur les questions européennes notamment ? En quoi l'absence de contradiction au sein même du gouvernement peut-elle marquer une rupture, notamment face à une population qui semble plutôt "décalée", idéologiquement, sur ces questions ?

C’est sûr qu’à première vue tous ces nouveaux ministres ont une vue très positive de l’Union européenne. Les voix un peu critiques à ce sujet dans les deux grands partis traditionnels de gouvernement, le PS et les Républicains, ne sont pas du tout présents dans ce gouvernement. Ce dernier se trouve ainsi aligné sur la position d’un européisme de stricte obédience. Là encore, il ne s’agit que de la mise en œuvre de ce qui a été annoncé lors de sa campagne par Emmanuel Macron. Ce dernier est à 100% pour l’Union européenne. Il ne veut en plus que des avancées dans l’intégration européenne. Dont acte.

Bien sûr, comme par ailleurs, comme l’a montré le premier tour de l’élection présidentielle, les électeurs, qu’ils soient de droite ou de gauche, sont très réceptifs à des discours hostiles à l’intégration européenne dans sa forme actuelle, le gouvernement n’a sans doute pas de majorité réelle dans le pays sur ce sujet. Il ferait bien ainsi de se garder de toute consultation populaire sur ce point. En plus, il est bien possible que ce gouvernement arrive par des décisions trop intégrationnistes à mobiliser encore plus la population française contre l’Union européenne. Cependant, beaucoup de décisions intégrationnistes n’ont pas d’impact direct et clair sur la vie quotidienne des électeurs. Par exemple, si l’on va plus loin dans l’intégration au niveau de la défense, cela ne devrait pas énerver grand monde, en dehors peut-être des militaires directement impactés. De fait, Emmanuel Macron semble bien conscient de ces réticences d’une grande part de l’opinion publique, puisqu’il a promis par exemple de concourir à une révision de la Directive sur les travailleurs détachés qui constitue l’un des points de fixation actuel de l’antieuropéisme.

En comparant avec les gouvernements précédents, ne peut-on pas effectivement constater une plus faible hétérogénéité des points de vue notamment sur les questions européennes, aussi bien de gauche (Arnaud Montebourg / Benoît Hamon), qu'à droite (Xavier Bertrand, influence de Henri Guaino à l'Elysée etc..) ?

Oui, c’est vrai. Cela correspond à des différences de stratégie. Aussi bien les Républicains/UMP que le PS comme partis dominants de leur camp avaient tout faitdepuis le début des années 1990 pour garder une ambiguïté sur l’intégration européenne. Ils étaient globalement pour, mais ils ne s’interdisaient pas d’attribuer à l’Union européenne, et si possible aux « bureaucrates bruxellois », tous les maux de la terre frappant la France, ils ne s’interdisaient pas non plus une certaine diversité de point de vue en leur seinentre enthousiastes, tièdes et critiques pour rassembler large. Cette attitude empreinte de faux-semblant et d’ambiguïté correspondait au fait qu’ils savaient bien que leurs électorats respectifs étaient eux-mêmes divisés, et que certains de leurs électeurs traditionnels  étaient attirés par des offres partisanes alternatives (FN et DLF à droite, MRC, PG, PCF, LO, NPA à gauche). Il me semble que les responsables de la grande  majorité centriste qui est en train de se former sous la présidence d’Emmanuel Macronpensent qu’ils peuvent désormais sortir de toute ambiguïté sur l’Union européenne. Ils sont simplement « pour ». L’Union européenne constitue pour eux l’horizon indépassable de notre temps, et il est stupide d’en discuter plus avant. On ne discute pas avec le seul réel qui puisse exister.

Il reste à voir lors des législatives ce que les électeurs vont penser de ce grand « coming out » europhile et intégrationniste des élites gouvernementales de l’heure. Il se peut qu’une bonne part des électeurs ne s’en aperçoivent même pas, plus attentifs qu’ils seront à des enjeux plus immédiats : droit du travail, hausse de la CSG, etc., pourtant liés par ailleurs à l’intégration européenne. Pour que le bonheur de l’affirmation enfin européiste du gouvernement ne soit pas troublé, il ne faudrait pas que les électeurs eurosceptiques des deux bords de l’échiquier politique oublient eux aussi leur identité de droite ou de gauche pour s’en aller voter au second tour « contre » le candidat européiste dans leur circonscription en oubliant toutes leurs préventions. Cela risquerait de donner d’étranges résultats électoraux, mais de fait c’est bien peu probable tant les identités de gauche et de droite restent bien établies aux deux bouts de l’espace politique des simples citoyens.

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