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LVMH, l’ascension fulgurante de Bernard Arnault dans l’empire du luxe français
LVMH, l’ascension fulgurante de Bernard Arnault dans l’empire du luxe français
©ERIC PIERMONT / AFP

Bonnes feuilles

Christophe Labarde publie « Les grands fauves » aux éditions Plon. Ce livre retrace l'histoire d’une « bande de copains » qui a changé le visage du capitalisme français. Leurs noms ? Claude Bébéar, Vincent Bolloré, Bernard Arnault, Thierry Breton... Leur point commun ? Une petite association, Entreprise et Cité, sans logo ni locaux, qui se réunit de façon informelle autour d'un match de rugby, d'une bonne table ou d'une virée entre amis. Extrait 1/2.

Christophe Labarde

Christophe Labarde

Diplômé d'HEC, Christophe Labarde est journaliste et entrepreneur. Pendant vingt-cinq ans, il a coaché des responsables politiques de premier plan.

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Si l’appétit de Bernard Arnault a toujours été limité au sens propre, il ne l’a jamais été au figuré. Déjà, à cette époque, il confie son ambition à Antoine Bernheim : il veut être le numéro un mondial du luxe. Rien que ça !

Il ne déviera jamais de cet objectif.

Après avoir revendu une partie de l’empire Boussac, le voici avec 4  milliards en caisse et LVMH en vue.

Dans la corbeille de Boussac, en effet, Bernard Arnault a trouvé Dior. Mais uniquement la maison de couture. Les parfums Dior, eux, avaient déjà été cédés. Il veut maintenant les récupérer chez LVMH.

Il rêve de réunifier l’« univers Dior ». Les mois qui suivent vont lui en donner l’occasion.

LVMH ? Pour ceux qui connaissent la marque mais ignorent son histoire, il faut rappeler que le groupe est né, ou plutôt mal né, d’un mariage bâclé. Ou, pour être plus précis, d’un mariage de raison qui a très vite dégénéré en mariage de passion, au pire sens du terme.

Résumons et simplifions. Le 3  juin 1987, à l’hôtel Plaza Athénée, au cœur de Paris, deux grands patrons annoncent leur union : Henry Racamier, d’un côté, le gendre de la famille Vuitton qui dirige le malletier. Alain Chevalier de l’autre, qui dirige les vins et les spiritueux de Moët Hennessy.

Sur le papier, c’est la naissance d’un géant du luxe. L’ensemble a « une gueule folle », se souvient un journaliste. Mais, en pratique, c’est peu dire que les deux mariés ne s’entendent pas.

Officiellement, tout va bien. On se donne du « dear Henry » et du « dear Alain ». Officieusement, les deux hommes s’opposent sur… à peu près tout. Chevalier, notamment, s’est mis en tête de s’allier avec le géant anglais Guinness pour développer sa branche vins et spiritueux. Ce dont ne veut pas entendre Racamier, qui, lui, rêve de retrouver au plus vite son indépendance…

Comme deux époux feraient chambre à part dès le lendemain du mariage, eux font bureau à part. Un cas d’école.

De même que les couples dans la tourmente espèrent toujours que faire un enfant leur permettra d’en sortir par le haut, les entreprises dans ce genre de situation font systématiquement appel à un « chevalier blanc », censé lui aussi permettre à la fois de se réconcilier et de sortir de l’impasse « par le haut ». Mais, dans la plupart des cas (on l’a vu avec Vincent Bolloré), le chevalier blanc se change en chevalier noir. Lequel finit par rafler la totalité de la dot.

C’est bien entendu ce que fera Bernard Arnault.

Non sans mal…

Le loup et la bergerie

Dans ce qu’il faut désormais appeler « l’affaire LVMH », Bernard Arnault, comme tous les grands patrons, commence par avoir de la chance. Quelques mois après le mariage, le krach d’octobre  1987 fait en effet baisser les cours de Bourse des fleurons du CAC 40, aiguisant les couteaux et les appétits des financiers. À peine né, LVMH est fragilisé.

Affolé, Chevalier en profite pour suggérer à son associé d’accélérer l’accord avec Guinness. Racamier, lui, ne veut pas en entendre parler et suggère de trouver plutôt un investisseur français.

C’est ici que se situe un épisode peu connu et probablement même jamais raconté. Claude Bébéar, lui, s’en souvient parfaitement : « J’étais chez moi lorsque j’ai reçu un coup de téléphone vers 10 heures du soir. C’était Henry Racamier… » Très vite, après les politesses d’usage, Racamier va à l’essentiel. Il cherche donc un investisseur français pour conforter le développement du nouveau groupe. Bébéar, à l’époque, est incontournable dans le paysage. Le coup de téléphone ne le surprend donc pas. Mais il décline la proposition qui lui est faite ce soir-là d’entrer au capital de LVMH. « J’ai expliqué à Racamier que j’avais déjà beaucoup trop de travail à consolider et développer mon propre groupe. Et que je ne me voyais pas me développer dans le secteur du luxe. Je lui ai donc suggéré d’appeler Bernard Arnault. C’est lui, à mes yeux, qui avait tout l’intérêt et toutes les qualités nécessaires pour investir dans LVMH. »

Comme il le fera quelques années plus tard chez Vivendi, Bébéar jouera donc ici les rabatteurs, et non pas les chasseurs. Les deux hommes en restent là. Mais, sans le savoir, Bébéar a probablement donné, ce soir-là, une impulsion fondamentale à ce qui restera comme l’une des plus grandes si ce n’est la plus grande bataille du capitalisme français contemporain. Et assurément la plus grande victoire de Bernard Arnault.

Bien sûr, Bernard Arnault, déjà à l’affût, avait déjà commencé à racheter des titres sur le marché. Mais, à la suite de cet échange, c’est Henry Racamier lui-même qui se déplacera… chez Bernard Arnault ! Obsédé par son envie de faire échouer Chevalier, il ne comprend pas qu’il est en train, tout simplement, d’ouvrir au loup la porte de sa bergerie.

Pour Bernard Arnault, c’est le début des grandes manœuvres. Comme souvent, il le fera par la manière forte, à travers une OPA. S’ensuivra une incroyable bataille boursière, actionnariale et managériale qui, une fois encore, marquera le grand capitalisme français et tiendra en haleine tous les lecteurs de la presse économique pendant plusieurs mois. Car tout, dans le luxe, est luxueux. Sauf les coulisses, qui n’ont souvent rien de ragoûtant.

Tous les coups sont permis. Y compris en dessous de la ceinture, fût-elle griffée Dior…

Chaque fois que je me replonge dans mes propres archives de l’affaire, j’ai le même sentiment étrange d’y retrouver la comédie humaine portée à son paroxysme, mélange d’une mauvaise pièce de Labiche, d’un roman de Paul-Loup Sulitzer (c’est encore l’époque…) et d’un James Bond haletant. Permis de tuer compris.

Jouant sur les divisions entre les deux hommes, et avec le soutien indéfectible du fidèle Antoine Bernheim, Arnault manœuvrera de main de maître, s’alliant tantôt avec l’un, tantôt avec l’autre, pour finalement se débarrasser de tous !

C’est ainsi que, le 13 janvier 1989, par une journée froide et pluvieuse, Bernard Arnault est élu président du directoire de LVMH. « À l’unanimité », fait-il rajouter sur le communiqué de presse. Et pour ceux qui n’auraient pas compris, il explique de vive voix : « Le patron, c’est moi. Dès lundi matin, je serai là et je dirigerai personnellement l’entreprise. »

Papy fera bien encore un peu de résistance, mais, après Guinness et Chevalier, « dear Henry » (Racamier) sera définitivement évincé à son tour.

Il faut bien un vainqueur. Ce sera Bernard Arnault.

Après des mois et des mois de batailles sanglantes et de recours juridiques aussi techniques qu’interminables, le verdict définitif tombe le 16  mai 1989  : la Commission des opérations de Bourse (COB), le fameux gendarme de la Bourse, valide définitivement son OPA.

Arnault jubile.

Il a 40 ans.

Le patron, c’est lui.

World Company

Les années qui suivront seront, pour le tycoon du luxe, l’occasion de racheter méthodiquement, frénétique‑ ment presque, sans jamais les revendre, des dizaines de marques toutes plus prestigieuses les unes que les autres.

Bien sûr, tout au long de ce parcours hors normes, il y aura aussi quelques renoncements et échecs  : La Redoute, qu’il ne réussira pas à acheter en 1987 ; Hermès, un vieux rêve qu’il ne réussira pas non plus à concrétiser ; la première révolution du Web, un autre rêve brisé par l’effondrement de la bulle Internet et le 11 Septembre. Il y aura surtout l’autre terrible bataille, en 1999, pour le contrôle de Gucci, qui achèvera de le brouiller avec son « meilleur ennemi », François Pinault. Encore faut-il relativiser toutes ces péripéties, qui lui amèneront aussi, parfois, de confortables plus-values financières. Comme dans l’affaire Gucci : « On peut considérer que nous sommes condamnés, mais à une bien bonne nouvelle, constate le fidèle Pierre Godé à l’issue de la bataille. On aimerait bien des punitions de ce genre tous les jours. »

À tous ses adversaires qui l’accusent parfois de faire des coups financiers, Bernard Arnault n’a pourtant aucun mal à rétorquer qu’il investit « dans la durée ».

Aujourd’hui, le « catalogue » du groupe LVMH donne le tournis, que ce soit dans la mode et la maroquinerie (Louis Vuitton, Céline, Fendi, Givenchy…), mais aussi dans la distribution sélective (Le Bon Marché, Sephora…), les parfums et cosmétiques (Christian Dior, Guerlain…), les vins et spiritueux (Hennessy, Moët  &  Chandon, Dom Pérignon…), ou dans les montres et la joaillerie (Bulgari, Tag Heuer, Hublot…).

Inlassablement, il continue à bâtir et à consolider, sur la durée, ce leader mondial du luxe dont il a toujours rêvé. À son idée, à son rythme et à sa main. Une vie de travail acharné pour un homme « tendu comme un arc sur son objectif ultime », comme me le résume l’un de ses proches. Car Bernard Arnault, à l’image des plus grands dirigeants, s’il peut se montrer souple sur la tactique, reste intraitable sur la stratégie.

Tout le monde connaît son style de management : il laisse toute latitude à chacune de ses 75 « maisons ». En même temps, il vérifie tout. Les Américains parle‑ raient d’un control freak. Dans son dernier livre, Thank You for Disrupting, le grand publicitaire et président de TBWA Jean-Marie Dru confie que cette implication totale de Bernard Arnault lui rappelle celle de Jonathan Ive, le fameux Chief Design Officer (CDO) d’Apple jusqu’à la fin 2019, avec lequel il a également beaucoup travaillé. « Il m’est arrivé d’être en désaccord avec lui sur certains points, mais la manière dont il s’impliquait personnellement m’a toujours impressionné. Elle est révélatrice du niveau d’exigence requis dans les secteurs d’activité où opère LVMH. […] En un mot, je dirais que Bernard Arnault a donné au management de la créativité son véritable statut. »

Dernière acquisition en date, juste avant qu’éclate la pandémie de Covid-19, la marque américaine Tiffany, créée en 1837 et rendue mythique par Audrey Hepburn dans Diamants sur canapé, avec laquelle il espère reproduire le succès de Bulgari, repris en 2012.

Extrait du livre de Christophe Labarde, « Les grands fauves », publié aux éditions Plon

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