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Médiation de la Ligue arabe 
en Syrie : de la poudre jetée 
aux yeux des Occidentaux
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Ronde des saisons (arabes)

Dans son plan soumis au pouvoir syrien, la Ligue arabe réclame l'arrêt "immédiat" de la violence, le retrait des chars des rues et l'instauration d'un dialogue entre le régime et l'opposition réfugiée au Caire. Pourquoi ces demandes ne resteront que des vœux pieux.

Vincent Geisser

Vincent Geisser

Vincent Geissert est un sociologue et politologue français. Il occupe le poste de chercheur au CNRS, pour l’Institut du français du Proche-Orient de Damas.

Il a longtemps vécu en Tunisie, où il travaillait à l'Institut de recherche sur le Maghreb contemporain, de 1995 à 1999.

Il est l'auteur de Dictateurs en sursis. La revanche des peuples arabes, entretien avecMoncef Marzouki. (Editions de l'Atelier, 2011)

Et de Renaissances arabes. (Editions de l'Atelier, octobre 2011)

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Atlantico : Au-delà des discours, la Ligue arabe entend-elle réellement peser sur le conflit syrien ?

Vincent Geisser : Depuis longtemps, la Ligue arabe est une institution que nous pouvons qualifier, sur le plan international et géopolitique, de "faible". Elle peut développer des médiations, mais son autorité apparaît aujourd’hui remise en cause et fragile, dans la mesure où nombre des pays qui la composent sont eux-mêmes confrontés à des processus protestataires et à la fameuse "vague du printemps arabe".

En pratique, la position de la Ligue arabe est surtout motivée par deux éléments :

  • La volonté de contenter les Occidentaux avec cette offre de médiation.
  • La volonté de maintenir le statut quo en Syrie pour encourager le régime à adopter un certain jeu d’ouverture,  parce qu’ils craignent par-dessus tout un phénomène de contagion démocratique qui se propagerait à l'ensemble de la région.

    La chute de Kadhafi et sa mort physique montrent une fois de plus que les régimes autoritaires finissent toujours par tomber. De ce point de vue, la Ligue arabe est dans une position ambivalente et ambiguë : les pays arabes qui la composent, même s’ils ne sont pas pro-syriens, craignent que la chute de ce régime clef de la région, marque l'extension de la chute de nouveaux régimes et du processus de transition politique dans l’ensemble de cette zone géographique.

Quels ont été les précédentes interventions de la Ligue arabe dans les conflits du Moyen-Orient ?

La Ligue arabe a perdu une grande part de sa crédibilité. Lors de la crise libyenne, elle a adopté une position que l'on pourrait résumer ainsi : "un pas en avant, un pas en arrière". Elle a soutenu l’intervention de l’Occident, en émettant quelques réserves. Mais dans le même temps, l’Arabie saoudite et les Emirats Arabes Unis envoyaient des chars et des militaires pour réprimer la révolte au Bahreïn.

Sur la crise irakienne et libanaise, elle a été quasiment absente. De ce point de vue là on ne peut pas dire que ce soit aujourd’hui une institution clef. Même si la médiation peut aboutir, rappelons que le processus de répression est indépendant du mécanisme de médiation.

En effet, le régime de Bachar est dans une logique suicidaire. Nous pouvons observer depuis quelque temps une désertion de soldats et d’officiers.  A partir de là,  ce n’est pas un simple arbitrage de la Ligue arabe qui pourra mettre fin à la fois au processus protestataire et malheureusement, et à la politique de répression systématique du régime de Bachar.

Cette médiation est motivée par un instinct de survie de la part des pays composant la Ligue arabe ayant tellement peur de ce processus  qui déstabilise et fait tomber les régimes un à un.

La Ligue arabe est actuellement présidée par la Syrie. N'y a-t-il pas là une ambiguïté ?

L’intervention tardive de l’organisation sur ce conflit le démontre. C’est une intervention prudente, voir même trop prudente, au vue de l’ampleur de la répression syrienne et du développement du processus contestataire.

C’est un coup politique pour rassurer les Occidentaux et favoriser un certain statut-quo par rapport à la crainte des Etats du golfe qui sont les financiers de la Ligue arabe.

Les régimes du Golfe redoutent que les mouvements de contestation gagnent les monarchies, ils utilisent le terme de "médiation" pour calmer les impatiences occidentales, sans avoir véritablement l’intention de peser sur le cours des évènements. Il y a aussi une hypocrisie, ces Etats puissants jouent la carte de la Ligue arabe mais il existe désormais des institutions régionales concurrentes telles que le Conseil de Coopération du Golfe (CCG) qui inclut le Maroc et la Jordanie (qui lui a par ailleurs vocation à faire cavalier seul).

D’une part, ils utilisent la Ligue arabe sans véritablement d’effets et d’autre part ils resserrent les rangs dans des institutions de coopération plus restreintes. La structure est déjà désavouée par le fait même que le Conseil de Coopération du Golfe agit de manière indépendante pour créer une sorte de glacis des monarchies à l’égard de l’expansion des mouvements de protestations.

La Ligue Arabe a-t-elle un réel pouvoir sur les États souverains auxquels elle s'adresse ?

Elle a toujours été très ambiguë sur les grands dossiers de ces dernières années. L’organisation apparaît plutôt en retrait, sur les différentes guerres du golfe, les conciliations ont toujours échouées. Son pouvoir transnational sur un régime autoritaire comme celui de la Syrie est nul. La Ligue arabe a fait preuve d’une certaine incurie.

Elle est prise entre la volonté d’affirmer une position arabe commune et en même temps celle de ne pas froisser les pays européens et les Etats-Unis. Elle prend souvent des positions intermédiaires soufflant le chaud et le froid sans véritable pouvoir d’injonction, ou de pression dans les différentes décisions.

Le Qatar est le pays le plus exemplaire de cette ambiguïté. Il se veut le moteur de cette médiation et abrite la grande chaine internationale qui a joué un rôle important dans le printemps arabe mais il n’a développé aucun processus de transition démocratique dans son propre pays. On voit bien le jeu douteux : satisfaire les Occidentaux et prendre des décisions symboliques mais surtout faire en sorte qu’il y ait un statut-quo et que le mouvement ne gagnent pas les monarchies. C’est une réelle coalition d’Etats qui ne souhaitent pas connaître ce qu’ont connu la Tunisie et L’Egypte. Si ce régime tombe, ce sont eux qui finiront par tomber.

De ce point de vue nous pouvons dire que l’organisation a perdu son pouvoir sur le plan diplomatique. Par ailleurs, cela fait très longtemps qu’elle n’intéresse plus les citoyens arabes.  Au sein même des pays qui la composent le terme "Ligue arabe" fait sourire, c’est pour beaucoup une fourberie qui permet de légitimer les Etats et leurs différentes positions.

Le processus de médiation engagé par l’organisation, peut à court terme empêcher la répression de se durcir en Syrie mais à la fois, il n’empêchera pas le processus protestataire et l’évolution du régime suicidaire de Bachar qui est prêt à sacrifier l’ensemble de son peuple.

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