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Liberté des femmes : se voiler ou se dévoiler ?
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Bonnes feuilles

Sophie Heine explique que les musulmanes européennes subissent une double contrainte : l'injonction à dissimuler son corps de la part du milieu d'origine et l'encouragement à se découvrir qui prévaut dans la société occidentale. Extrait de "Pour un individualisme de gauche" (2/2).

Sophie  Heine

Sophie Heine

Sophie Heine est docteur en sciences politiques, maître de conférence à Queen Mary University of London, chercheur-associée à l'université d'Oxford. Elle est aussi l'auteur d'Oser penser à gauche.

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Le port du foulard constitue une première réaction possible à l’image de la femme-objet et aux canons de beauté officiels en Occident. Certes, la plupart des femmes voilées arborent ce signe pour des raisons avant tout religieuses ou culturelles. Néanmoins, même si c’est de façon peu explicite, l’opposition aux critères esthétiques dominants transparaît également chez les féministes musulmanes. Si toutes les femmes subissent une domination liée à leur apparence, celle-ci se décline différemment en fonction du milieu d’appartenance. Les musulmanes européennes
évoluant souvent dans des cadres patriarcaux, elles subissent, dès lors, une double contrainte : l’injonction à dissimuler son corps de la part du milieu d’origine et l’encouragement à se découvrir qui prévaut dans la société occidentale. Insistons toutefois sur un point essentiel : si l’islam peut être utilisé pour consolider le contrôle de l’apparence des femmes, il n’en est nullement la cause. Des croyances similaires existent en effet dans des milieux non musulmans. L’idée que les femmes ne devraient pas se vêtir de façon provocante continue en effet à imprégner nos sociétés indépendamment des convictions religieuses et appartenances culturelles particulières.

La volonté de contrôler l’apparence, le corps et la sexualité des femmes caractérise toutes les cultures et toutes les sociétés. Même si elle peut varier en intensité en fonction du niveau d’émancipation plus large accordé aux femmes, cette volonté de contrôle s’oppose clairement à l’intérêt de toutes les femmes à disposer librement de leur corps. L’injonction à être belle, jeune et découverte rejoint par conséquent la norme de la pudeur. Toutes les femmes ont intérêt à revendiquer la libre disposition de leur apparence contre ces diverses volontés de contrôle. Face à cette double contrainte, venant à la fois de leur culture proche et des normes occidentales plus larges, certaines musulmanes européennes ont choisi de porter le foulard de façon décomplexée. Dans leur demande d’égalité sociale et politique avec les hommes, elles s’appuient sur une lecture progressiste du Coran. Le hijab constitue potentiellement un double « renversement de stigmate »1 : en plus du sens culturel ou identitaire qui lui est le plus souvent donné, on pourrait également lui conférer un sens féministe en l’appréhendant comme un renversement des contraintes pesant sur le corps féminin. Ce signe pourrait alors constituer un révélateur de la sexualisation et de la réification du corps de la femme.

En fin de compte, la revendication des musulmanes vivant en Occident de porter le voile si elles le désirent rejoint celle des musulmanes de ne pas le porter dans des pays où il leur est imposé. De même, les féministes occidentales de la deuxième vague dénonçaient dans les années 1970 les vêtements provocants, l’exigence de garder la taille fine, de porter des hauts talons ou de se maquiller comme autant de carcans étouffants et socialement construits. Elles réclamaient ainsi le droit de porter des pantalons, des mini-jupes ou de refuser le soutien-gorge sans être stigmatisées. En apparence opposées, ces diverses préoccupations relèvent en fait d’une logique similaire.

Une autre réaction possible à ces canons de beauté étouffants et étroitement imbriqués à l’image de la femme-objet consiste à se découvrir délibérément. Ainsi, le mouvement des « slut walks » (« marches de salopes ») visait à affirmer le droit des femmes à se dévêtir ou à s’habiller de manière provocante sans être automatiquement victimes de jugements dépréciatifs. Ces manifestations ont été déclenchées en réponse aux remarques offensantes d’un officier canadien. Devant un parterre d’étudiants, ce dernier avait osé attribuer une grande partie des viols à des tenues féminines provocantes, de « sluts » (« salopes »). Malgré leur distance apparente, ces courants contestant les normes d’apparence féminine se rejoignent donc à maints égards. Qu’il s’agisse du droit de porter un foulard ou de celui de se vêtir de façon provocante sans être décriées, la préoccupation est la même : faire en sorte que les femmes puissent disposer librement de leur corps et ne soient plus réduites à leur apparence. Rendre cet objectif commun plus explicite faciliterait sans doute les alliances entre des traditions féministes encore très étrangères les unes aux
autres.

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Extrait de "Pour un individualisme de gauche" (JC Lattès)

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